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Comme nous venons de le préciser, les premiers travaux qui s’intéressent à l’effet de l’enseignement sur les apprentissages des élèves s’inscrivent dans le cadre du paradigme processus-produit. Des revues de la littérature et des notes de synthèse, anciennes et plus récentes (Bianco & Bressoux, 2009 ; Bressoux, 1994, 2003 ; Crahay, 2000, 2006 ; Doyle, 1978), offrent des analyses détaillées permettant clairement de comprendre les fondements théoriques et méthodologiques des travaux inscrits dans ce paradigme, ainsi que leur évolutions et leurs limites.

Ce qui caractérise globalement ce paradigme, comme le rappelle Bressoux (1994), c’est qu’il se centre sur l’enseignant et adopte un schéma de recherche «input – output » (entrant-sortant). Plus précisément, celui-ci repose sur le postulat que la qualité des apprentissages dépend de l’enseignement définit comme étant le « processus », et les résultats des élèves comme étant le « produit ». L’enseignement reçoit le statut de variable

2 indépendante et joue donc un rôle primordial. En d’autres termes, ce paradigme opère selon le principe que les caractéristiques personnelles et ou les comportements des enseignants (variables « processus ») prédisent les résultats des élèves (variable « produit »). A la différence de l’enseignant, le rôle attribué à l’élève est minimisé et il a donc un statut

« neutre ». Il importe de souligner que bien qu’adoptant une démarche conceptuelle et méthodologique simplifiée pour étudier les relations de l’enseignement et de l’apprentissage, un certain nombre de travaux ont été réalisés depuis les premières réflexions à propos de l’efficacité de l’enseignement (Gage, 1963, Rosenshine, 1986), qui ont tenté de mieux opérationnaliser ce que l’on qualifie comme relevant de l’enseignement, d’une part, et de l’apprentissage, d’autre part. Car comme l’évoque Crahay (2006), la principale limite des études inscrites dans le cadre de ce paradigme, consiste à ne pas prendre en compte la complexité de l’enseignement et de l’apprentissage, ainsi que leur complémentarité. Ainsi, les premiers travaux conduits se centrent sur les caractéristiques personnelles des enseignants, considérées comme variable « processus » en vue de déterminer dans quelle mesure celles-ci sont associées aux acquisitions des élèves, définies comme variable « produit » et mesurées la plupart du temps à l’aide de tests de performances. En d’autres termes, ce qui est visé, c’est de pouvoir détecter le profil ou encore la personnalité de l’enseignant, efficace à partir des conceptions a priori du bon enseignant (intelligent, sympathique, etc.). Les résultats de ces travaux n’aboutissent pas à de résultats concluants (pour revue : voir Bressoux, 1994 ; Crahay, 2006). Ce qui amène d’autres chercheurs, plus tard, à s’intéresser non à ce que l’enseignant est mais à ce qu’il fait en classe (Bressoux, 1994). Différentes variables relevant du comportement de l’enseignant sont différenciées et opérationnalisées, tels que ses interactions avec les élèves, ses styles d’enseignement ou encore ses attentes à l’égard des élèves ou ses feed-back (Brophy & Good, 1974, 1986). Toutefois, un problème méthodologique persiste toujours. La majorité des travaux recourent à des analyses corrélationnelles sur la base des fréquences d’interaction ou des profils de comportements des enseignants qui sont mis en relation avec les performances des élèves. Le schéma causal qui est au cœur même de ce paradigme n’est ainsi pas adopté.

Pour résumer, l’approche exposée plus haut, vise à déterminer les effets du comportement de l’enseignant, qualifié comme le « processus » sur les résultats des élèves, qualifiés comme des « produits ». Parmi les variables « processus » celles qui ont été le plus souvent étudiées sont le feedback, le temps, les consignes, les méthodes d’enseignement, les modalités de décision. Quant aux variables produits, celles-ci sont souvent mesurées par le biais des tests ou en termes d’attitudes.

Ces dernières années, les travaux de ce courant adoptent des démarches conceptuelles et méthodologiques de plus en plus sophistiquées (Bianco & Bressoux, 2009). Les variables

« processus » prises en compte se sont diversifiées (méthodes d’enseignement : direct, transactionnel ou réciproque des stratégies cognitives) ainsi que les variables « produit »-résultats des élèves (niveau scolaire et certaines caractéristiques des élèves). Les analyses recourent à des plans expérimentaux ou mixtes (transversal/longitudinal) et à des analyses multiniveaux. Les résultats convergent et semblent plutôt convaincants, démontrant que certaines méthodes et conduites d’enseignement (explicitation, analyse et structuration des activités, position de guide de l’enseignant) favorisent les apprentissages des élèves, mêmes des plus jeunes (de deuxième année du primaire). En dépit de ces résultats prometteurs et l’affinement des travaux actuels, Bianco et Bressoux (2009) appellent à la prudence en précisant « qu’il n’existe pas de méthode miracle qui soit valable pour tous les élèves, en tout temps, en tout lieu et pour toute tâche » (p.53) ». Par ailleurs, ces auteurs mais aussi d’autres (Bru, 1991, 2006 ; Crahay, 2000, 2006, 2009 ; Doyle, 1978 ; Trottier, 1981) insiste sur le fait que le schéma conceptuel initial ne change pas véritablement car il sous-estime, voire ignore,

3 les situations d’apprentissage et surtout le rôle et la capacité des élèves à percevoir, à interpréter et à réagir à ce qui se dit et se passe en classe.

Dans les années 70, dans le cadre des études sur les processus d’enseignement, une autre série de travaux voit le jour. Celle-ci s’intéresse à ce que pense l’enseignant (voir pour revue : Durand, 1996 ; Schulman, 1986). Des tentatives de description et de modélisation de l’activité cognitive (entre autres des conceptions pédagogiques) de l’enseignant sont réalisées afin de mieux comprendre ses décisions et pratiques pédagogiques. Plusieurs recherches indiquent que les conceptions pédagogiques comptent parmi les principaux déterminants des pratiques pédagogiques, dans le sens qu’elles prédisposent et guident les comportements et les actions des enseignants (Anning, 1988 ; Calderhead, 1996 ; Clark & Peterson, 1986). Les décisions concernant le choix des activités, des conduites d’évaluation, des méthodes d’enseignement, du redoublement seraient ancrées dans des croyances à l’égard de l’enseignement, de l’évaluation, de l’apprentissage, de l’efficacité pédagogique, de la nature de l’intelligence, de l’élève (Bandura, 2003 ; Doudin & Martin, 1999 ; Elbaz, 1988 ; Hoy &

Woolfolk, 1993 ; Nisbett et Ross, 1980; Smith, 1990 ; Woolfolk & Hoy, 1990 ; Woolfolk, Rosoff & Hoy, 1990). Les représentations des enseignants concernant les différents élèves de leurs classes affectent fortement leurs comportements à leurs égards (Good & Brophy, 2000 ; Smith, Jussim & Eccles, 1998).

Si ces travaux attestent de l’évolution en vue de mieux différencier certains paramètres concernant le « processus l’enseignement, ceci n’est pas le cas pour la variable « produit »-l’élève qui reste essentiellement appréhendée par des tests standardisés.

1.2. L’analyse de l’enseignement et de l’apprentissage du point de vue du paradigme des processus médiateurs

Ce n’est que dans un autre cadre qui est celui du paradigme des processus médiateurs que le rôle de l’élève est mis en avant.

En s’appuyant sur une série de résultats de recherches qui démontrent que la variabilité des résultats des élèves résulte de leurs procédures mentales de traitement et de sélection de l’information reçue, Doyle (1978) suggère de tenir compte de ces éléments et de les intégrer dans la recherche sur les effets de l’enseignement. Plus précisément, cet auteur propose un modèle à trois composantes dans lequel l’élève n’a plus de place de récepteur, mais de médiateur actif. Les trois composantes sont :

 les stimuli pédagogiques ayant le rôle de « catalyseurs » et non de cause directe. Sous le terme stimulus pédagogique, nous pouvons entendre qu’il s’agit des pratiques d’enseignement (Gage, 1985) mais également de l’environnement motivationnel de classe ou encore des messages qui transitent en classe de manière explicite ou implicite (Ames) ; le rôle catalyseur de l’enseignant peut être compris comme le fait d’activer ou d’inhiber les processus cognitifs des élèves (Shuell, 1996);

 les processus de perception, de traitement et de sélection des stimuli pédagogiques par l’élève, considérés comme variables médiatrices. En d’autres termes, il est question de la perception et de l’interprétation que l’élève se fait de ce qui se dit et fait en classe (Ames, 1992 ; Chouinard, 2002 ; Urdan, 2004);

 le stimulus effectif qui correspond à ce que l’élève s’est réellement approprié, ce qu’il a réellement retenu et compris. Ici, on peut inclure non seulement le rendement et les

4 acquisitions des élèves mais aussi ses représentations, ses postures et engagements dans les apprentissages (Gage, 1985 ; Ryan & Patrick, 2001)

La différence entre ce paradigme et celui du processus-produit ne repose pas seulement sur l’intégration simple d’une variable médiatrice. Dans le cadre du paradigme des processus médiateurs, les relations entre les trois éléments constitutifs sont de toute une autre nature, plus complexe et interactive : c’est bien à partir de l’enseignement que l’élève construit ses connaissances mais en filtrant et en transformant de manière sélective les savoirs (Crahay, 2006). Dit autrement, « l’effet qu’à l’enseignant sur les élèves est déterminé par les réponses psychologiques des élèves à ce que l’enseignant fait et, dans une large mesure, c’est cette médiation des comportements pédagogiques de l’enseignant par les élèves qui fait de l’étude des effets-enseignants une démarche psychologique » (Shuell, 1996, p.734).

Deux autres différences fondamentales existent entre les deux paradigmes de recherches :

 Le paradigme des processus médiateurs a pour objet l’étude des processus cognitifs humains implicites (procédures et représentations mentales : perceptions et interprétations des activités, des tâches scolaires), alors que le paradigme processus-produit se centre dans la plupart des cas sur des comportements directement observables (pratiques, temps scolaire, méthode, contenu, matériel didactique) et sur les résultats des élèves.

 A la différence des comportements observables de manière isolée et indépendante dans le cadre du paradigme des processus-produit, les processus cognitifs humains implicites qui sont au cœur du paradigme des processus médiateurs sont envisagés au pluriel. Ceci se traduit par le fait que l’élève peut percevoir et se représenter son activité et les tâches scolaires mais également les informations provenant de la part de l’enseignant à propos de ces domaines (Doyle, 1978).

Comme Doyle (1977, 1978), nous pensons que le paradigme des processus-médiateurs offre des pistes prometteuses pour déterminer la manière dont l’enseignement exerce ses effets, mais comme le souligne l’auteur, avant d’étudier l’interaction des trois éléments constitutifs (stimuli nominal, variable médiatrice, stimuli effectif), il est fondamental d’identifier les différents types de variables supposées entrer en jeu.

Des tentatives ont été réalisées dans cette perspective. Ainsi, Crahay (2006) souligne la nécessité de dépasser les limites du paradigme processus-produit en suggérant d’abord de considérer l’enseignement et l’apprentissage comme des processus distincts mais complémentaires et dont les indicateurs ne peuvent se réduire seulement à la facette observable et finale (conduite d’enseignement - acquisition des élèves). Il suggère aussi qu’il serait pertinent de s’intéresser aux processus cognitifs implicites des enseignants et des élèves et que pour pouvoir « coordonner l’analyse de l’enseignement et des démarches d’apprentissage, il semble nécessaire de prendre en considération deux types de représentations que se construit l’élève » (p. 137) :

 d’une part, des représentations que l’on peut appeler « généralisées » : ici, le chercheur cite les représentations de l’enseignant, de ses objectifs d’apprentissage, d’évaluation, de sa vision de ce qu’est la capacité d’apprendre, etc.

 d’autre part, des représentations que l’on peut appeler « situationnelles » ou spécifiques : il s’agit des représentations de l’élève de la tâche spécifique ou encore du type de savoir qu’il est question de s’approprier.

5 Par ailleurs, un certain nombre de travaux ont investigué le climat motivationnel de la classe ces dernières années, en s’inspirant du paradigme des processus médiateurs et en partant donc du postulat que plus que les comportements et les pratiques des enseignants, c’est bien l’interprétation qu’en fait l’élève qui affecterait ses propres conceptions, positionnement et engagement dans les apprentissages ; ses perceptions et interprétations joueraient donc le rôle de médiateurs (Ames, 1992 ; Chouinard, 2002 ; Sarrazin, 2000). La plupart de ces études démontre le rôle des perceptions qu’ont les élèves de l’enseignant, de ses interactions avec lui, des buts et des finalités qu’il poursuit pour ses engagements scolaires (Anderman &

Anderman, 1999 ; Eccles, 2005 ; Galand, Philippot & Frenay, 2006 ; Genoud, 2006 ; Midgley, Feldlaufer & Eccles, 1989 ; Roeser, Midgley & Urdan, 1996 ; Ryan & Patrick, 2001). Leur limite, en revanche, consiste dans le fait qu’ils focalisent :

 soit sur l’examen de la relation des pratiques enseignantes (climat de classe, style, finalités évaluatives) et la perception qu’on en fait l’élève ;

 soit sur l’examen de la relation de la perception de l’élève et sa motivation ou performances scolaires.

En procédant de cette manière, les résultats ne permettent pas de savoir dans quelle mesure et comment les enseignants contribuent à activer ou à inhiber certains états internes des élèves (Sarrazin, Tessier & Trouilloud, 2006). Dit autrement, nous ne savons pas, si oui, et dans quelle mesure les conceptions des enseignants sont perçues et intégrées par les élèves.

Pourtant, ce n’est pas le support théorique et conceptuel qui manque. En s’inspirant de la théorie des buts d’accomplissement, Ames et ses collaborateurs (1992, Ames & Archers, 1988) modélisent l’influence des pratiques d’enseignement par le biais des perceptions ou conceptions des élèves. C’est autour de ces travaux que nous avons développé une grande partie de la problématique générale de notre recherche doctorale. Mais en quoi consiste exactement cette modélisation? Avant de poursuivre notre réflexion, nous présenterons brièvement ses points essentiels.

1.3. Les travaux sur le « climat motivationnel » à la lumière des