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PARTIE I : EXPLORATION DES CONCEPTIONS DES ENSEIGNANTS ET DES ELEVES

5.3. Hypothèses

5.5.4. Quel est l'impact du jugement scolaire et de l'appartenance sociale sur

L'analyse de variance que nous avons réalisée permet d'observer quelques différences entre les groupes d'élèves de statut scolaire différents pour trois des cinq facteurs : l'apprentissage implicite, le rôle négatif de l'erreur et le facteur opposant la conception constructiviste et reproductive. Globalement, comme on peut le constater à la lecture du tableau 3, les élèves "faibles", voire "très faibles" pensent davantage qu'on peut apprendre de manière non-intentionnelle, que la répétition est importante et qu'il faut éviter de faire des erreurs.

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Tableau 3 : effet du jugement scolaire sur les conceptions de l’apprentissage

Jugement scolaire F η2

3 –Apprentissage implicite 0,14 (0,88) 0,21 (0,86)b -0,05 (0,79)c

5-Compréhension/Répétition -0,05 (0,88) -0,15 (0,86)b

* pour chaque facteur, les moyennes avec des indices différents indiquent une différence significative à p<0,05 (test de Tukey)

En ce qui concerne l’appartenance sociale, des différences significatives apparaissent également. Les élèves d'origine sociale défavorisée (catégories "ouvriers", "employés") semblent attribuer à l'erreur à la fois une place constructive et négative, contrairement aux élèves d'origine favorisée (« cadre supérieur ») pour qui l'erreur paraît plutôt inacceptable. La répétition semble également plus importante pour les élèves d'origine sociale défavorisée que pour les élèves d'origine favorisée (voir le tableau 4).

Ces résultats confortent l'H5. Conforment aux résultats des travaux antérieurs (Lee, Johanson & Tsai, 2008 ; Tsai, 2004), les élèves moins performants et d'origine sociale défavorisée semblent plus attachés à l'apprentissage par répétition et se réalisant implicitement.

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Tableau 4 : effet de la catégorie socioprofessionnelle du père sur les conceptions de l'apprentissage

Catégorie socioprofessionnelle du père F η2

Autre

* pour chaque facteur, les moyennes avec des indices différents indiquent une différence significative à p<0,05 (test de Tukey)

5.6. Discussion et conclusion

Dans cette recherche nous nous sommes centrées sur l’étude de la structuration des conceptions de l’apprentissage chez les élèves en fin du primaire. L'examen de la littérature a montré que cette question a peu été investiguée de manière approfondie. Une autre problématique a également reçu peu d'intérêt constant à ce jour. Il s'agit de savoir si tous les élèves partagent les mêmes conceptions. C’est à ces deux questions principales que notre recherche a tenté de répondre en formulant une série de d'hypothèses et en prenant ancrage dans les travaux antérieurs et diverses théories de l'apprentissage.

Les analyses ont permis de confirmer globalement notre première hypothèse.

Conformément à celle-ci, la majorité des élèves en fin de primaire sont capables de concevoir la pluralité de l'apprentissage. De ce point de vue, notre recherche s’éloigne des recherches de Lee, Johanson et Tsai (2008) et Tsai (2001) qui avaient constaté que les jeunes élèves peuvent concevoir l’apprentissage seulement selon l’opposition reproduction/construction. Le questionnaire que nous avons élaboré et soumis à plus de mille élèves a permis de mettre en évidence diverses conceptions de l'apprentissage plutôt cohérentes du point de vue de leur contenu : apprentissage par déclic, apprentissage implicite, apprentissage par compréhension et par erreur, inutilité de l’erreur, compréhension opposée à la répétition.

100 Contrairement à ce que suggèrent certains travaux (Marton et al, 1993, Tzai, 2004 ; Sajo, 1979), nous n'avons observé ni des oppositions ni des liens forts entre la plupart des conceptions, hormis celle observée au sein du facteur opposant la compréhension à la répétition. De ce point de vue, nos résultats nous rapprochent de la position de Schommer (1990) qui soutient que les conceptions des élèves forment des entités plus ou moins indépendantes.

Rappelons cependant que ces interprétations doivent être considérées avec précaution puisque la structure des conceptions mise en évidence présente quatre facteurs sur cinq comportant seulement deux items. En revanche, il faut noter que les items composant ces facteurs ont des poids factoriels importants et que la structure d’ensemble a été validée par une analyse confirmatoire. Dans de futures investigations, il faudra porter attention à l'amélioration de la formulation de certains énoncés et ajouter de nouveaux items afin de consolider les structures.

Un autre résultat intéressant qui mérite d'être souligné concerne le lien entre le jugement scolaire de l’enseignant et la manière dont les élèves considèrent l’apprentissage (H5) : comme supposé, les élèves jugés faibles scolairement par leur enseignant adhèrent davantage à la reproduction des connaissances que les «bons » élèves qui semblent plus soucieux de comprendre et de s’investir activement dans les apprentissages. C’est au même constat qu’avaient abouti les recherches menées par Lee, Johanson et Tsai (2008) et par Tsai (2004) dans des contextes culturels différents (en Chine, Taiwan). Par ailleurs, une autre observation nous paraît importante à faire en ce qui concerne la perception de l’erreur.

Comme nous l’avons constaté, il s’est avéré que les élèves faibles ont une vision négative de l’erreur. Pour ces élèves, l’erreur est probablement révélatrice de leurs difficultés qu’ils attribuent à des causes internes, à savoir leurs capacités intellectuelles comme cela a été avancé par Dweck et Legget (1988). Pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, d’autres études sont évidemment nécessaires.

Nos analyses ont également permis de confirmer l’existence de différences interindividuelles sur le plan des conceptions et ceci en conformité avec la première partie de notre hypothèse 4. Plus précisément, nous avons pu dégager trois possibilités de les combiner, mais les trois profils mis en évidence par l’analyse par cluster présentent des incohérences Ainsi, pour un groupe majoritaire d’élèves, l’apprentissage se fait par déclic. Cette conception s’accompagne d’une posture très favorable à l’égard d’un cheminement compréhensif émaillé d’erreurs dont le rôle serait favorable à l’apprentissage ; ce qui, sur le plan théorique, ne va pas de soi. Autre étonnement : les élèves du deuxième profil sont à la fois d’accord avec l’idée que l’erreur peut être constructive et avec celle considérant que l’erreur est inutile, voire empêche de progresser. Enfin, le troisième groupe d’élèves n’adhère de façon nette à aucune de conceptions dégagées par l’analyse factorielle. Ces incohérences peuvent peut-être s’expliquer par l’âge des élèves interrogés. Rappelons que Lee, Johanson et Tsai (2008) et Tsai (2001) concluent de leurs recherches que les jeunes élèves ont une conception limitée de l’apprentissage, se réduisant à l’opposition reproduction versus construction. Nos résultats semblent indiquer que les élèves français de 10-11 ans ont des conceptions diversifiées de l’apprentissage, sans que celles-ci soient déjà articulées de façon cohérente. Ainsi, il semble que la notion d’erreur renvoie, pour les élèves interrogés, à divers aspects qui sortent du cadre dichotomique positif/négatif que suggère le modèle de Dweck et Legget (1988). Ces constats incitent à penser que la présente investigation pourrait être enrichie par des études longitudinales pour saisir l’évolution des conceptions de l’apprentissage des élèves et par des analyses qualitatives afin de mieux comprendre comment ils articulent leurs diverses conceptions.

101 Les conclusions de la présente recherche ne sont pas toutes parfaitement nettes. Il convient de les replacer dans le contexte du domaine exploré. Rappelons en effet que cette recherche est une des rares réalisées dans le contexte francophone, à avoir exploré les conceptions de jeunes élèves relatives à l’apprentissage, ainsi que leur perception du statut de l’erreur. De ce point de vue, sa contribution est non négligeable. De plus, comme nous l’avons constaté, elle a apporté des résultats intéressants et a soulevé de nombreuses interrogations qui justifient que l’étude soit répliquée sur d’autres échantillons. Sur le plan méthodologique, des efforts devraient être fait pour consolider l’échelle de mesure que nous avons élaborée.

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Annexes

Moyenne

Ecart-type Variance Asymétrie Aplatissement Minimum Maximum

1. Répéter comme un perroquet, ce n'est pas apprendre 2,86 1,128 1,273 -,425 -1,259 1 4

2. Apprendre par coeur ne sert à rien lorsqu'on a bien compris 2,38 1,167 1,363 ,158 -1,448 1 4

3. L'erreur nous empêche d'apprendre 1,92 1,065 1,134 ,735 -,841 1 4

4. Certains élèves ne comprennent pas tout de suite, mais le déclic peut arriver plus tard. 3,38 ,654 ,428 -,960 1,344 1 4 5. Quand on a appris quelque chose, on est capable de réussir de nouveaux exercices. 3,39 ,707 ,501 -1,081 1,074 1 4

6. Pour apprendre il faut comprendre. 3,75 ,541 ,292 -2,393 6,198 1 4

7. Lorsqu'on on fait des erreurs, on risque de recommencer. 2,50 ,977 ,955 -,098 -,994 1 4

8. Pour résoudre un problème, il faut avoir compris la matière avant. 3,12 ,919 ,845 -,864 -,083 1 4

9. Apprendre, c'est retenir des idées. 3,08 ,890 ,791 -,790 -,060 1 4

10. Quand on apprend quelque chose on ne peut pas le comprendre du premier coup. 3,16 ,863 ,745 -,844 ,094 1 4 11. Lorsqu'on apprend quelque chose de nouveau, on commence toujours par faire des

erreurs.

3,19 ,829 ,688 -,865 ,220 1 4

12. Pour apprendre, il faut avoir une bonne mémoire. 2,63 1,001 1,003 -,182 -1,031 1 4

13. Apprendre, c'est éviter de faire des erreurs. 2,96 1,041 1,084 -,659 -,762 1 4

14. Si on ne comprend rien, il est impossible d'apprendre. 2,65 1,218 1,484 -,211 -1,533 1 4

15. Pour apprendre, il faut souvent répéter les mêmes choses. 2,92 ,963 ,928 -,578 -,616 1 4

16. Lorsqu'on apprend de nouvelles choses, il arrive un moment où il y a un déclic. 3,23 ,669 ,448 -,733 1,089 1 4

17. On peut réussir des exercices sans avoir compris les règles. 2,13 1,009 1,019 ,398 -,996 1 4

18. On apprend réellement lorsqu'on comprend. 3,44 ,707 ,500 -1,261 1,571 1 4

19. Pour résoudre des problèmes, il ne faut pas nécessairement avoir tout compris des explications de l'enseignant.

2,45 ,964 ,930 -,010 -,971 1 4

20. Pour apprendre, il faut faire des erreurs et puis les corriger. 3,39 ,912 ,832 -1,426 1,015 1 4

21. Quand un élève ne comprend pas tout de suite quelque chose, il ne faut pas croire qu'il le comprendra une autre fois.

1,99 1,136 1,291 ,661 -1,069 1 4

22. Au début, certains élèves n'arrivent pas à comprendre une nouvelle chose. Puis d'un coup ils comprennent.

3,27 ,687 ,472 -,831 1,020 1 4

Annexe 1 : statistiques descriptives

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Annexe 2 : analyse factorielle confirmatoire

105

Chapitre 6 : Conceptions et postures des enseignants du primaire à propos de l’intelligence

Résumé

L'importance des conceptions de l'intelligence des enseignants est souvent évoquée dans la littérature mais peu explorée de manière empirique. En s'inspirant de différents courants de recherche abordant la question de l'intelligence et de son développement, cette recherche se propose d'investiguer les conceptions des enseignants du primaire avec l’aide d’un questionnaire et selon deux problématiques complémentaires: d'abord, en s’intéressant à la structuration de leurs conceptions et recourant à des analyses factorielles (exploratoires et confirmatoires), et ensuite en examinant le positionnement qu’ils adoptent face aux conceptions ainsi identifiées, en réalisant des analyses typologiques. Les résultats montrent que les enseignants conçoivent l’intelligence selon cinq dimensions distinctes mais qu'ils sont enclins à les combiner pour les intégrer dans leur posture personnelle. L’intérêt de ces résultats est discuté en fin d’article, ainsi que l’utilité du questionnaire développé en vue d’appréhender les conceptions de l’intelligence des enseignants.