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PARTIE I : EXPLORATION DES CONCEPTIONS DES ENSEIGNANTS ET DES ELEVES

4.4. Etude 1 : analyse factorielle exploratoire des conceptions de l’apprentissage

Cette première étude vise à appréhender la structuration des conceptions de l’apprentissage chez les enseignants.

4.4.1. Méthodologie

Dans un premier temps, nous avons utilisé la technique de l’analyse factorielle exploratoire qui permet d’identifier un modèle structural sous-jacent aux données. Ensuite nous avons examiné la fiabilité interne de la structure obtenue et la corrélation entre les facteurs identifiés.

4.4.1.1. Instrument

Un questionnaire multidimensionnel de 33 items a été développé par les deux auteurs de la présente recherche pour explorer les conceptions de l’apprentissage chez les enseignants.

Sept dimensions hypothétiques ont été distinguées : six, en s’inspirant des différentes théories

75 de l’apprentissage ; une, se basant sur les résultats d’une recherche qualitative portant sur les perceptions des difficultés d’apprentissage en lecture (Crahay, non publié). Chacune des dimensions renvoie à une vision de l’apprentissage et à des mécanismes distincts :

1. La dimension « répétition » s’inspire de la loi de l’exercice de Thorndike et met en avant l’importance de l’exercice dans l’apprentissage. Elle se compose d’items qui permettent de voir le rôle qui est accordé à l’entraînement et à la reproduction dans l’apprentissage ;

2. La dimension « déséquilibration » se base sur la théorie piagétienne de l’équilibration qui préconise que l’apprentissage passe par une phase de perturbation qui est générée par la confrontation de l’élève à un obstacle ou problème (Crahay, 2010). Elle se compose d’items qui se réfèrent au principe de déséquilibration.

3. La dimension « apprentissage implicite » véhicule l’idée que l’apprentissage peut-être perçu comme un processus non intentionnel, découlant de l’expérience de l’élève et produit en quelque sorte à son insu (Logan, 1988 ; Seger, 1994).

4. La dimension « compréhension » permet de voir l’importance que les enseignants accordent à cette notion qui constitue le cœur de l’apprentissage explicite requérant des efforts délibérés et conscients nécessaires à la création du sens.

5. La dimension « intégration des connaissances antérieures » repose sur l’idée que l’apprentissage ne part pas d’un vide mais de la mobilisation des connaissances antérieures et leur incorporation à des nouvelles (Crahay, 2010).

6. La dimension « transformation des anciennes conceptions » part du principe que conceptions des élèves sont erronées et qu’ils doivent les abandonner au profit des connaissances nouvelles, « valides » ; par conséquent l’apprentissage serait perçu en tant que tel (Bachelard, 1970, Weil-Barais, 1994).

7. La dimension « déclic » trouve son origine dans le discours des enseignants lorsqu’ils évoquent les difficultés en lecture et mettent en avant l’idée que l’apprentissage se réalise ou se déclenche de manière brusque résultant d’une sorte d’insight. Cette dimension apparaît également lorsque les enseignants expliquent leur décision d’imposer le redoublement à un élève chez qui le « déclic » ne s’est pas fait en cours d’année et ce malgré l’enseignement reçu (Marcoux & Crahay, 2008).

Ces sept manières de concevoir l’apprentissage se décline, dans notre questionnaire, en une série de propositions par rapport auxquelles les enseignants sont appelés à exprimer leur accord ou désaccord en se positionnant sur une échelle de type Likert, en 4 points allant de 1 (pas du tout d’accord) à 4 (tout à fait d’accord). Nous sommes volontairement orientés vers une échelle en quatre points afin d’empêcher les répondants de se réfugier dans un point central et neutre.

4.4.4.2. Participants et procédure

Un échantillon de convenance de 119 futurs enseignants du primaire a été constitué dont 85 enseignants stagiaires et 34 étudiants en dernière année de formation à l’IUFM de Bonneville (département de la Haute-Savoie, France). L’échantillon comporte 105 femmes (89 %) et 14 hommes (11 %), âge moyen de 27 ans et 6 mois (écart-type : 6 ans et 7 mois). Le questionnaire se composant de l’échelle sur les conceptions de l’apprentissage ainsi que des questions d’ordre personnel, a été soumis à ces enseignants au cours d’une séance collective, organisée à la fin d’un cours à l’IUFM.

76 4.4.2. Résultats

Afin d’obtenir un modèle factoriel pertinent, nous avons mené une série d’analyses (degré d’asymétrie et d’aplatissement de la distribution des items, examen de la matrice de corrélation), ceci afin de nous assurer que les données forment un ensemble suffisamment cohérent, pour qu’il soit justifié de chercher des facteurs. Tous les items présentaient des degrés d’asymétrie et d’aplatissement acceptables (voir annexe 1). La valeur du test de sphéricité de Bartlett (χ2 (253)=1151,062, p < 0,001) et de l’indice de Kaiser, Meyer et Olkin (0,71) montrent que la matrice de corrélation des items est acceptable et qu’on peut recourir à l’analyse factorielle exploratoire.

Les analyses factorielles ont été donc conduites (logiciel SPSS, version 18) avec rotation oblique (Promax) qui présume l’existence de corrélations entre les facteurs et en suivant la méthode de maximum de vraisemblance, adaptée lorsqu’il y a un faible écart par rapport à la normalité (Joreskog & Sorbom, 1993). Le nombre de facteurs à extraire a été déterminé en fonction de deux critères concomitants : celui de Kaiser-Guttman (suggérant de conserver les facteurs ayant une valeur propre initiale supérieure de 1) et le test du Coude de Cattell (interprétation du graphique et conservation des facteurs situés avant le point d’inflexion du graphique ou rupture du coude). Les items présentant des coefficients de saturation faibles (< 0.30) et se répartissant sur plusieurs facteurs ont été exclus de l’analyse factorielle. Au final, l’analyse a produit une solution à 6 facteurs dont la valeur propre est supérieure à 1, saturant fortement 23 items (10 items ont donc été supprimés) et expliquant en tout 57,71% de la variance totale observée (voir le tableau 1). Les 23 items retenus se repartissent de manière très cohérente et forment des facteurs qui s’organisent autour de six dimensions théoriques latentes, mais aisément identifiables selon nous. Les deux premiers facteurs expliquent une part plus importante de la variance totale observée : respectivement 15,06% et 13,67%. Le premier facteur regroupe les quatre items qui véhiculent l'idée que l’apprentissage ne nécessite ni la compréhension, ni une mobilisation intentionnelle de la part de l'élève ; ceci correspond à ce que l’on nomme désormais l’apprentissage implicite. A la différence de ce premier facteur, le deuxième réunit les items décrivant l'apprentissage comme une confrontation de l'élève à des situations-problèmes qui suscitent des déséquilibrations permettant des dépasser les obstacles et de les transformer en schèmes cognitifs. Ce facteur peut être désigné comme apprentissage par « déséquilibration ». Le troisième facteur expliquant 10,53% de la variance regroupe les items porteurs de l’idée que l’apprentissage résulte des séquences répétitives et que la place de l’exercice est primordiale.

On peut par conséquent nommer ce facteur « répétition ». Les 4e et 5e facteurs se partagent des parts de variances plus ou moins équivalentes (respectivement: 7,43% et 6,65%). Le 4e facteur se compose de trois items considérant que l'apprentissage nécessite l’abandon des conceptions inappropriées. Il véhicule donc l’idée de l’importance de la rupture qui doit s’opérer entre différents niveaux cognitifs pour aboutir à la restructuration et la création des connaissances plus élaborées. On peut nommer ce facteur apprentissage par « changement conceptuel par transformation des conceptions anciennes ». Les items qui forment le 5e facteur ont pour point commun de mettre en avant le rôle des connaissances antérieures et leur intégration dans un réseau de connaissances nouvellement élaborées. Le 6e facteur expliquant 4,37% de la variance, s’organise autour de quatre énoncés relatifs à la dimension

« déclic » et considérant que le processus d’apprentissage se déclenche de manière inattendue et soudaine.

Après avoir identifié ces facteurs, nous avons examiné leur fiabilité à l’aide de l’indice de l’alpha de Cronbach. Les six facteurs ont une très bonne consistance interne (voir tableau 1).

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Tableau 1 : analyse factorielle et analyse de fiabilité des conceptions de l’apprentissage chez les enseignants

Méthode d'extraction des facteurs : Maximum de vraisemblance.

Méthode de rotation : Promax avec normalisation de Kaiser.

Facteur

1 2 3 4 5 6

13. Il n'est pas toujours nécessaire de passer par " une phase de compréhension " pour apprendre.

,928

12.On peut apprendre sans comprendre, par l'expérience directe des choses.

,863

11.Il n'y a pas toujours besoin de comprendre pour apprendre. ,761 14.On peut apprendre par la pratique ; pas toujours besoin de

comprendre.

,735

4.Les apprentissages les plus importants passent par une phase de perturbation où l'élève, face à une situation problème, ne sait pas d'emblée comment il va s'y prendre pour la résoudre.

,900 ,310

2.Pour apprendre, il faut d'abord être placé devant un obstacle à surmonter.

,827

3.Pour apprendre, il faut être confronté à un problème que l'on cherche à résoudre

,769

1.Pour développer des compétences, l'enfant doit être placé face à des situations problèmes qui suscitent un déséquilibre.

,682 ,335

8.Apprendre, c'est répéter de nouvelles aptitudes ou connaissances jusqu'à ce qu'elles soient intégrées.

,743 ,380

7.Il faut réaliser un certain nombre de fois le même type d'exercices pour apprendre.

,653

9.On a appris une nouvelle notion lorsque l'on parvient, à force d'entraînement, à reproduire le contenu qui s'y rapporte.

,635 ,313

6.On apprend en mettant en pratique de façon répétitive. ,623

10.La répétition est essentielle à l'apprentissage ,480

19.Apprendre, c'est supprimer des conceptions antérieures et les remplacer par des conceptions nouvelles.

,838

20.Pour apprendre, il faut d'abord abandonner ce qu'on savait auparavant de quelque chose.

,804

21.Apprendre, c'est pouvoir remplacer une connaissance par une autre. ,797 24.Apprendre, c'est intégrer des informations nouvelles dans un réseau

de connaissances déjà là.

,825

23.Pour apprendre, il faut partir de ce que l'on sait déjà. ,786

26.Apprendre, c'est établir des liens entre de nouvelles informations et des savoirs possédés antérieurement

,700

16.Certains élèves ne comprennent pas d'emblée mais on peut espérer que le déclic survienne.

,758

17.Lorsque les élèves ne comprennent pas une notion au moment voulu, il faut parfois attendre que le déclic se fasse par la suite.

,301 ,736

18.Lors de l'apprentissage d'une nouvelle notion, à un moment ou à un autre survient le déclic

,342 ,569

15.En début d'apprentissage, on tâtonne. Puis, survient le déclic. ,389 ,554

% de VARIANCE EXPLIQUEE 15,06 13,67 10,53 7,43 6,65 4,37

CONSISTANCE INTERNE PAR FACTEUR- alpha de Cronbach 0,87 0,89 0,85 0,75 0,80 0,76

L’analyse des relations entre les facteurs montre des corrélations positives allant de faibles à modérées mais significatives entre (voir tableau 2) :

1. le facteur « déséquilibration » et le facteur « changement conceptuel par transformation des conceptions anciennes» ;

78 2. le facteur « déséquilibration » et le facteur « intégration des connaissances

antérieures »

3. le facteur « répétition » et le facteur « changement conceptuel ».

4. le facteur « répétition » et le facteur « déclic ».

5. le facteur « changement conceptuel » et le facteur « déclic ».

Deux observations peuvent être faites à la suite de ces résultats. D’une part, les relations positives observées entre certaines conceptions suggèrent qu’on peut retenir l’hypothèse d’une complémentarité entre elles et montrent que, conformément au modèle théorique avancé, l’apprentissage est bien perçu comme un processus complexe reposant sur plusieurs modalités pas forcement incompatibles entre elles et intervenant en fonction du type des connaissances visées. D’autre part, l’absence des relations négatives et significatives ne permet pas d’avancer l’hypothèse que certaines conceptions seraient antinomiques du point de vue des enseignants.

Tableau 2 : corrélation des facteurs des conceptions de l’apprentissage chez les enseignants

Corrélations entre les facteurs 1 2 3 4 5

1 –Apprentissage implicite

2 - Déséquilibration -,146*

3 – Répétition ,111 ,030

4 –transformation des connaissances antérieures -,107 ,297** ,224**

5- Intégration des connaissances antérieures -,055 ,287** ,046 ,088

6 - Déclic ,033 ,195* ,451** ,228* ,028

*p < 0,05 **p < 0,01

4.5. Etude 2 : analyse confirmatoire des conceptions de