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Chapitre 3. Cadre méthodologique

3.8 L’analyse des données

Du point de vue de l’analyse, j’ai fait appel à l’analyse de discours ainsi qu’à l’analyse de contenu (Dépelteau, 2000; Lefebvre, 1989). L’objectif de faire appel à ces deux méthodes est d’apporter un éclairage sur le sens que donnent les différents acteurs à ce que veut dire être francophone en Colombie-Britannique à partir de deux types de données qui s’entrecroisent et se complètent. D’une part, il y a les données dites « manifestes » (Dépelteau, 2000), soit ce qui m’est dit directement par les réponses des participants, par exemple ce qui m’informe sur les éléments de contexte, les pratiques, les faits historiques, etc. Ce sont ces données qui ont fait l’objet d’analyse de contenu. D’autre part, il y a les données de discours, ou données « latentes » (Dépelteau, 2000), soit ce qui m’est dit quand quelque chose est dit ou ce qui m’informe des éléments implicites et symboliques présents dans les réponses, telles que les idéologies et les représentations évoquées par les participants. Ce travail

d’analyse et d’interprétation de deuxième niveau a été mené en m’inspirant des approches de l’analyse critique de discours, telles que définies en introduction.

Étant donné le volume important de données collectées, une analyse préliminaire et informelle (sans codage) a débuté au cours de l’enquête de terrain. Cela m’a permis de valider des éléments factuels auprès des informateurs, de tester certaines de mes premières interprétations, puis d'orienter les étapes formelles de l’analyse (avec codage). Pour la même raison, j’ai fait appel au logiciel d’analyse de données QDA Miner afin de m’assister dans le processus de codage et de catégorisation des données35.

Les données qui ont été codées et analysées sont celles tirées des transcriptions et des artéfacts produits lors des ateliers (élèves), et des entrevues (adultes). La convention de transcription utilisée dans le traitement de ces enregistrements est disponible à l’annexe 7. Les transcriptions se veulent le reflet le plus précis possible des interactions enregistrées. Pour cette raison, il n’y a pas eu de corrections apportées aux formulations jugées fautives et les éléments en anglais n’ont pas été traduits. Des éléments extra-linguistiques tels que les bruits, les rires, les soupirs et les gestes ont été transcrits, lorsque possible. Toutefois, comme le soulignent (Boutet et Maingueneau, 2005), malgré les efforts pour rendre les transcriptions fidèles aux verbalisations, il continue d’exister un décalage entre les représentations graphiques des activités de langage en situation sociale.

Il convient de mentionner le défi important qu’a représenté le travail de transcription des interactions tirées des ateliers. Les élèves devaient le plus souvent accomplir une tâche tout en répondant à mes questions. De plus, ils étaient libres de discuter entre eux, de commenter et de poser des questions. Ainsi, les enregistrements et les transcriptions des ateliers témoignent de ce joyeux chaos : il y a du bruit qui couvre les propos des interlocuteurs; il y a de multiples interventions qui se chevauchent et des conversations en parallèle; les propos sont parfois incomplets; il y a plusieurs digressions et sources de distractions; etc. Lors de la transcription et de la sélection des extraits cités

35 Je noterai toutefois qu’il n’y a pas eu d’analyse de contenu de type quantitatif (Dépelteau, 2000; Lefebvre,

dans la thèse, j’ai fait le choix de laisser des traces de ce chaos afin de rendre compte du déroulement naturel de la conversation et d’en garder toute la richesse et l’authenticité.

Je rappellerai par ailleurs que l’analyse et l’interprétation des données recueillies lors des ateliers sont de nature compréhensive, à l’image des travaux de Christiane Perregaux qui a adopté une démarche de « recherche de compréhension de ce que l’enfant dit des langues à travers son dessin et le commentaire qu’il en fait » (Perregaux, 2009, p. 33). En ce sens, les artéfacts produits lors des ateliers sont considérés essentiellement comme des éléments de discours, au sens de Castellotti et Moore (2009, p. 53) : « nous nous intéressons ainsi plus aux discours qui accompagnent la mise en sens des représentations graphiques des enfants qu’à la valeur sémiotique du dessin produit ». Les notes d’observations et les archives ont été utilisées comme appui à l’interprétation, à la mise en contexte et à l’illustration des données, sans avoir été l’objet d’une analyse formelle.

Le codage des données avait pour but de les trier et d’en dégager des éléments qui permettraient de répondre à trois types de questionnement, au sens de Heller (2011) : 1) des données descriptives qui permettent de comprendre comment se déroulent les phénomènes à l’étude, dans quels contextes et circonstances; 2) des données explicatives qui permettent d’appréhender des phénomènes à partir du sens qu’en donnent les participants à la recherche; et 3) des données qui apportent des indices sur les conséquences de ces phénomènes pour les acteurs impliqués. Pour ce faire, j’ai codé et catégorisé les données en fonction des thèmes liés aux questions de recherche tels que les idéologies linguistiques, les pratiques langagières, les représentations identitaires, le contexte scolaire, les trajectoires familiales, etc. Le processus de codage s’est fait de manière itérative (Deslauriers et Kérisit, 1997), c’est-à-dire que le livre de code s’est développé et s’est modifié au fur et à mesure que les données étaient analysées, en fonction des catégories et des éléments clés qui ressortaient des verbatims. J’ai donc fait appel à la fois à un processus déductif (codage à partir de mes catégories initiales) et à un processus inductif (codage à partir de nouvelles catégories qui émergeaient des données) (Dépelteau, 2000; Deslauriers, 1997). J’ai volontairement gardé le livre des codes assez simple et peu hiérarchisé afin d’éviter une trop grande compartimentation et une fragmentation des données. Le livre des codes est disponible à l’annexe 8.

Le codage des verbatims tirés des ateliers a été plus complexe à réaliser que le codage des entrevues, en raison des différentes catégories d’interactions qui se chevauchaient. Par exemple,

pendant qu’un élève répondait à une question, deux autres pouvaient se raconter une blague, alors que la quatrième personne me demandait en quoi consistait la prochaine tâche. Un extrait comme ceci m’informerait sur une multitude d’aspects : sur le contenu de la réponse du premier élève, sur les discours implicites de sa réponse, ainsi que sur ses pratiques langagières lorsqu’il s’adresse à moi pour répondre à une question d’entrevue. En même temps, j’en apprendrais sur les pratiques langagières des deux autres élèves qui s’échangent une blague alors que mon attention est ailleurs (moins supervisés), en plus d’en apprendre sur ce que cette blague révèle (ou non) à propos de leurs références, de leurs expériences ou de leurs réseaux d’amis, etc. Enfin, j’en apprendrais sur les pratiques langagières du quatrième élève qui s’adresse à moi sans avoir été sollicité, en plus de m’informer sur son engagement envers l’activité et sur sa position relative de soumission à mon autorité. Entre autres.

Devant l’ampleur de cette tâche, j’ai donc adopté la stratégie suivante : d’abord, chaque atelier a été codé à partir du point de vue de chaque élève. C’est-à-dire que j’ai codé le même verbatim plusieurs fois, selon le nombre d’enfants y ayant participé. Pour un atelier réalisé auprès du groupe « C » avec Amy et Laura, je faisais deux lectures et deux séances de codage d’un même verbatim. Cela me permettait de faire ressortir les réponses individuelles et les pratiques langagières de chaque élève en plus de m’assurer de coder toutes les interactions. Ensuite, je codais non seulement les réponses à mes questions, mais l’ensemble des interactions : les réponses aux questions, les interactions entre élèves, les interactions spontanées avec moi, ainsi que les « monologues », soit les moments où les élèves parlent ou chuchotent sans s’adresser à quelqu’un en particulier. Cette dernière forme d’interaction était fréquente lorsque les élèves étaient en période de réalisation de tâches (dessin) ou lorsque d’autres élèves monopolisaient la conversation.

À partir des extraits codés, j’ai tâché de faire ressortir les éléments de discours et de contenu qui me permettaient de répondre à mes questions de recherche. J’ai particulièrement porté mon attention sur les récurrences de certains éléments centraux, mais aussi sur les éléments contradictoires ou marginaux, afin de tenir compte d’un plus grand nombre possible de perspectives. Ce processus d’analyse implique tout de même la mise à l’écart d’éléments certes intéressants, mais moins pertinents dans le cadre de cette thèse. Plusieurs extraits de verbatim codés n’ont donc pas contribué à la construction et l’élaboration des résultats de recherche présentés aux chapitres suivants. Ils feront