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Chapitre 3. Cadre méthodologique

3.5 Collecte de données auprès d’élèves ayant recours aux services de francisation

3.5.1 Les ateliers

La forme de collecte de données principale auprès des élèves est celle des ateliers31 qui consistaient en de courtes séances durant lesquelles ils devaient réaliser une tâche ludique et répondre à des questions liées au thème de la séance. Cette technique de collecte de données est largement inspirée de méthodologies qualitatives utilisées en sociolinguistique et en didactique des langues dans le cadre de recherches sur les représentations des enfants plurilingues, dont les travaux de Perregaux (2009), Moore (2006), Castellotti et Moore (2009) et Pilote (2004)32. Cependant, chacune des activités présentées dans la thèse est originale. Elles ont été créées, développées, adaptées et réalisées spécifiquement pour répondre aux besoins de cette recherche doctorale. Le tableau i - Description des activités par ateliers est présenté aux pages 120-121. Ensuite, les consignes particulières, les modèles et les artéfacts produits par les élèves sont disponibles aux annexes 10 à 14.

Les ateliers ont eu lieu de novembre à juin à une fréquence moyenne d’une rencontre par mois, par groupe. Ils étaient organisés sur l’heure du diner afin d’éviter les interruptions d’études. Les ateliers duraient de 20 à 25 minutes, en fonction de l’âge des enfants et des activités. En tout, six ateliers ont été menés en plus de l’activité brise-glace en début de collecte de données. Sauf exception, les interactions verbales ont été enregistrées (audio) lors des ateliers et il y avait une prise de notes

30 Ces difficultés ont été nommées par sa mère, son professeur titulaire et l’orthopédagogue de l’école. 31 Au départ, j’ai nommé ces activités de recherche des « focus groups animés », termes qui se retrouvent dans

les formulaires de consentement. J’y ai par la suite préféré le terme « ateliers » et c’est celui qui sera utilisé dans la thèse.

32 D’autres chercheurs ont également utilisé le dessin auprès d’enfants et d’adolescents afin d’étudier leur

identification ou leurs représentations linguistiques. Dallaire et Denis (2005); Krumm (2008); Lavoie et Joncas (2015); Prasad (2013); Razafimandimbimanana (2008); Vieux-Fort et Pilote (2010). Pour un exemple d’analyse de discours d’éléves concernant leurs représentations et leurs pratiques langagières, voir les travaux de Krüger (2012). Ces travaux et auteurs n’ont cependant pas été mis à contribution lors de l’élaboration ou de la mise en

d’observations durant ou après l’activité. Les artéfacts ont été conservés après chacun des ateliers, avec l’accord des parents33.

Le choix du format des rencontres de type « atelier » plutôt que de type « entrevue » se justifie par les objectifs méthodologiques, l’âge des élèves et par la nature des thèmes explorés. Le premier objectif des ateliers était d’établir un climat de confiance où les élèves pouvaient s’exprimer librement, sans crainte de représailles de ma part ou de la part de leurs enseignants. Le format ludique permettait de distinguer les ateliers des activités régulières menées en classe, en plus de rendre les tâches plus agréables. J’ai particulièrement fait appel au dessin, au bricolage et à la bande dessinée, mais aussi au jeu de rôle. Les élèves savaient que ces activités ne faisaient pas l’objet d’évaluation. Les ateliers étaient dirigés en français, mais les élèves ont été encouragés tout au long du processus à s’exprimer dans les langues de leur choix. L’impact du choix de la langue sur les résultats de la recherche sera discuté plus loin dans la section des limites méthodologiques (3.9)

.

33 Certains parents ont toutefois refusé que les artéfacts soient reproduits dans la thèse ou dans le cadre

Tableau i - Description des activités par ateliers

Activités Objectifs Consignes générales Date / groupe Nombre d’élèves /

groupe Activité brise-glace

*Oral

Présenter la recherche et faire connaissance

1. Présentation de la recherche et explication des modalités de participation

2. Jeu de connaissance : « ta couleur et ta collation préférée »

23/11/2010

(tous) Total : 5 élèves

1. Visite guidée de l’école

*Oral et dessin en commun

1. Connaitre les espaces de l’école occupés par les élèves

2. Connaitre les langues en usage selon les espaces

1. Promenade dans l’école (intérieur) et description des lieux (intérieur et extérieur). Les élèves me font faire une visite commentée de l’école : endroits favoris, endroits qu’ils fréquentent ou pas, description des lieux et de leur occupation, etc.

2. Dessin en commun de l’école. Mention des espaces favoris et des langues utilisées selon les lieux

A- 26/11/2010 B- 26/11/2010 C- 30/11/2010 D- 30/11/2010 A-2 B-2 C-2 D-0 Total : 6 élèves 2. La toile d’araignée des langues *Dessin individuel 1. Connaitre le répertoire des langues des élèves et les contextes d’usage 2. Explorer les représentations des langues

1. À partir d’un canevas préétabli, où « égo » est situé au centre d’une toile d’araignée, ils doivent identifier les langues

Parlées à la maison et avec qui? Parlées à l’école et avec qui? Qu’ils aiment

Qu’ils n’aiment pas

Qu’ils aimeraient apprendre Qu’ils ne désirent pas apprendre

2. Les élèves doivent dessiner deux langues : une langue qu’ils aiment et une langue qu’ils n’aiment pas

A- 14/01/2011 B- 17/01/2011 C- 11/01/2011 D- 18/01/2011 A-2 B-2 C-2 D-2 Total : 8 élèves 3. Une journée multilingue *Bande dessinée individuelle 1. Explorer les représentations des langues et des identités 2. Explorer l’usage du répertoire linguistique

1. Les élèves doivent créer une bande dessinée relatant une journée dans la vie d’une personne multilingue.

2. Ce peut être une journée et activités typiques ou une histoire fictive. A- 08/03/2011 B- 07/03/2011 C- 15/02/2011 D- 22/02/2011 A-4 B-3 C-2 D-3 Total : 12 élèves 4. Le journaliste *Jeu de rôle

1. Explorer les discours sur l’école et la francisation

2. Aborder la question de l’expérience du milieu scolaire

À tour de rôle, les élèves pigent ou choisissent une question parmi un pool préétabli. Ils posent la question choisie à un autre élève du groupe. Ils sont aussi encouragés à répondre à la question posée. A- 26/04/2011 B- 13/05/2011 C- 19/04/2011 D- 20/04/2011 A-3 B-3 C-2 D-3 Total : 11 élèves

Activités Objectifs Consignes générales Date / groupe Nombre d’élèves / groupe 5. Autoportrait

*Bricolage individuel

Connaitre des éléments d’identification

1. Les élèves sont invités à compléter la phrase: « Je suis... » écrite sur des petits bouts de papier afin de se décrire. Ils peuvent aussi écrire leurs propres phrases qui commencent par « j’ai… » ou « j’aime ».

2. Bricolage: à partir du matériel disponible, ils doivent créer un autoportrait. Ils doivent y ajouter 3 à 6 phrases « je suis » parmi celles qu’ils ont écrites en première partie.

A- 16/05/2011 B- 02/06/2011 C- 10/05/2011 D- 11/05/2011 A-4 B-3 C-2 D-3 Total : 12 élèves 6. Entrevue de groupe *Oral et dessin individuel 1. Compléter la collecte de données

2. Aborder les questions identitaires

Les élèves peuvent faire un dessin de leur choix pendant qu’ils répondent aux questions.

*Les ateliers 5&6 (autoportrait et entrevue) du groupe B ont été fusionnés. A- 06/06/2011 B- 02/06/2011 C- 25/05/2011 D-31/05/2011 A-4 B-3 C-2 D-3 Total : 12 élèves

Le format en atelier plutôt qu’en simple mode d’entrevue visait également à favoriser les échanges entre les participants, à susciter des interactions spontanées et authentiques, malgré les limites du cadre de l’activité. Les élèves savaient par exemple que leurs interactions étaient enregistrées et que leurs propos seraient utilisés ensuite dans mes travaux. Le contexte décontracté des ateliers, le format des activités et les consignes données ont permis l’émergence d’interactions de façon plutôt naturelle, comme en témoigneront les extraits de verbatim cités dans la thèse.

Lors de ces rencontres, j’ai animé des activités à propos de thèmes souvent abstraits comme les représentations identitaires et linguistiques. Les activités ludiques telles que le dessin ou le bricolage avaient l’avantage d’être des outils adaptés à l’âge des informateurs et elles pouvaient lesaider à construire leurs discours, à expliciter leurs représentations ainsi qu’à les partager avec leurs camarades et moi. Ces activités donnaient l’occasion aux élèves rencontrés de s’exprimer avec autorité et confiance. Je reprendrai en ce sens les arguments de Castellotti et Moore (2009) :

[Le dessin] est un moyen privilégié pour qui mène une recherche avec des enfants : il leur permet de s’exprimer sur un mode qu’ils maitrisent au moins aussi bien (souvent mieux, même) que leurs interlocuteurs et qui leur attribue d’emblée une voix d’autorité et un statut légitime. Ils sont, en effet, en position d’auteurs, qui se réapproprient leur dessin et vont proposer des clés pour en construire, en interaction, une interprétation (p. 45).

Comme ce fut le cas pour ces auteures, les dessins et les bricolages n’étaient pas utilisés dans le but d’en faire des produits à interpréter seuls, dans leur aspect graphique. Ils étaient plutôt pensés comme des outils favorisant l’explicitation de discours et de représentations, en plus de faciliter les processus de narration et d’interaction. Les artéfacts ont été ainsi été codés au même titre que les verbatims et certains seront présentés dans les chapitres de résultats.

La flexibilité avec laquelle étaient menées les activités ludiques a enfin permis aux élèves d’exercer un certain contrôle sur le déroulement, les paramètres et les aboutissants des ateliers. Par exemple, durant l’atelier des autoportraits, la consigne de base consistait à faire des phrases qui commençaient par « je suis… ». Les élèves se sont vite sentis limités par cette structure et ont demandé à faire des phrases avec le verbe avoir (j’ai…) et aimer (j’aime…), ce qui a nettement enrichi les discussions et les résultats de l’exercice. L’activité du journaliste offrait aussi la possibilité aux élèves de choisir les questions qu’ils désiraient poser à leurs camarades. Par conséquent, tous les élèves n’ont

pas répondu aux mêmes questions. Ensuite, le brouillement des frontières entre la fiction et la réalité dans plusieurs activités (bande dessinée, autoportraits, représentations des langues…) donnaient un espace aux élèves pour négocier leur participation aux ateliers. Les élèves répondaient aux consignes et aux questions avec sérieux, mais aussi avec créativité et souplesse. À certains moments, des élèves ont utilisé le caractère fictif des dessins pour contourner les consignes ou simplement refuser de répondre aux questions, ce qui a été respecté (voir par exemple l’image A12.5 – « Une journée multilingue – Ana » à l’annexe 12).