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L’école comme agent de socialisation : quelques précisions d’ordre théorique

Chapitre 2. Cadre conceptuel

2.3 La socialisation langagière

2.3.1 L’école comme agent de socialisation : quelques précisions d’ordre théorique

Au chapitre 1, il a été question du rôle de l’école comme agent de socialisation en contexte francophone minoritaire au Canada. Dans la présente section, je complèterai cette discussion par quelques rappels, remarques et précisions d’ordre théorique à propos des processus de socialisation langagière et d’identification.

Sauvage et Demougin (2012) considèrent que l’école prépare les élèves à la vie en société par la transmission « d’une culture commune, au sens large du terme, qui [leur] permet de devenir des pairs » (p. 9). Selon ces auteurs, l’école joue un rôle de socialisation en tant qu’outil de transmission de savoirs, mais aussi d’héritages linguistiques et culturels. Ce rôle de socialisation langagière de l’école, s’il est largement accepté et valorisé en milieu minoritaire canadien, est cependant peu abordé dans

une perspective critique. Tel qu’évoqué au chapitre 1, la diversité linguistique et culturelle qui caractérise nombre d’écoles francophones en contexte minoritaire oblige par exemple la complexification d’une conception souvent « monoculturelle » et monolingue de l’héritage à transmettre aux élèves. L’école contribue au contraire (ou peut contribuer) à la construction d’identités complexes, subjectives et singulières des élèves, notamment par l’entremise d’expériences langagières et culturelles diverses (Bernard, 1997; Bronckart, 2012; Coste et Simon, 2009; Duff, 2010; Kasper et Omori, 2010; Sauvage et Demougin, 2012; Yon, 2003).

L’école est un agent de socialisation linguistique en raison de son rôle de producteur de discours sur les langues et en tant que régulateur de pratiques sociales et langagières dans le cadre des activités scolaires et parascolaires (Ching Man, 2008; Duff, 2010; Jaffe, 2007; Kasper et Omori, 2010; Pilote, 2010; Thamin, Combes et Armand, 2013; Yon, 2003). Par exemple, les règlements et politiques linguistiques encouragent certaines pratiques linguistiques et langagières et en découragent d’autres. Plusieurs types de politiques linguistiques peuvent être instaurés dans le but de contrôler les pratiques des élèves, mais aussi du corps enseignant et des parents. Il peut s’agir de politiques implicites ou explicites, elles peuvent être coercitives ou basées sur des principes de valorisation et de motivation (Duff, 2010; Pilote, 2010; Thamin et al., 2013). Les règlements et les politiques linguistiques régissent typiquement toutes les activités de l’école : en classe, en récréation, lors d’activités parascolaires et d’activités spéciales, etc. Par ces politiques, les élèves sont socialisés en tant que locuteurs de certaines langues (ou variétés) au détriment d’autres variétés (Duff, 2010; Jaffe, 2007; Thamin et al., 2013). Comme vu plus tôt, en contexte minoritaire, il est attendu de l’école qu’elle favorise le sentiment d’appartenance des élèves à la communauté linguistique, généralement associé à celui de fierté, ce qui apparait souvent explicitement dans les politiques linguistiques et dans les mandats scolaires (Heller, 1998; Pilote, 2010).

Il faut rappeler que ce processus de socialisation en contexte scolaire en est un de négociation entre les adultes (professeurs, parents, etc.) et les élèves (Kasper et Omori, 2010). La socialisation langagière demande une certaine intériorisation par les élèves (les novices), des normes, des valeurs et des idéologies transmises par les adultes (les experts) (Duff, 2010; Yon, 2003). Or, les jeunes, en tant qu’acteurs investis d’agentivité, peuvent résister ou contourner les règles, les politiques et les pratiques langagières attendues d’eux (Duff, 2010). Pilote (2010) illustre ce phénomène par les changements apportés au fil des années aux politiques linguistiques d’une école de Fredericton, au Nouveau-

Brunswick, en raison de l’échec des politiques antérieures auprès des élèves qui défiaient notamment la règle qui interdisait l’usage de l’anglais. Les élèves peuvent aussi créer de nouvelles pratiques, de nouveaux codes et de nouvelles normes linguistiques auxquelles ils n’ont pas été exposés ou socialisés par les experts. Ces nouvelles pratiques deviennent des marques de solidarité chez les jeunes, le plus souvent au déplaisir des plus vieux (Duff, 2010).

Pilote (2010) ajoute qu’au-delà de la bonne volonté des administrateurs, des éducateurs et des parents, il n’est pas facile pour le milieu scolaire d’atteindre les objectifs linguistiques et culturels fixés :

Le défi est à la fois de rendre attrayants les produits culturels présentés aux élèves tout en touchant la réalité des jeunes qui est loin de se limiter à l’expérience scolaire. Ces derniers n’évoluent pas au sein de la communauté francophone comme dans un cocon (p. 38).

Pilote (2010) rappelle ainsi que l’expérience des jeunes en milieu minoritaire n’est pas limitée par le contact avec les membres de cette communauté linguistique minoritaire. Ils sont en contact au quotidien avec les membres de la communauté majoritaire et utilisent la langue majoritaire dans plusieurs sphères de leur vie, que ce soit au sein de la famille, dans les loisirs, les services, les médias, les produits culturels, au travail, etc. C’est pourquoi elle affirme que « [l’école] ne peut faire fi des autres expériences qui contribuent à la construction identitaire des jeunes » (Pilote, 2010, p. 38). À ce propos, Sauvage et Demougin (2012) soulignent que bien que l’école y joue un rôle fondamental, la socialisation et le processus d’identification n’y commencent et n’y finissent pas : « l’identité [...] est à considérer comme la résultante de plusieurs forces agissantes, interne et externes à l’école » (p. 12).

Enfin, Kasper et Omori (2010) rappellent que l’école n’est pas, et n’a jamais été, un espace homogène. Au-delà de la diversité linguistique et culturelle qu’on y retrouve en raison des différents profils et trajectoires des élèves, des familles et des professeurs, il y a des différences peut-être moins visibles, mais tout aussi signifiantes : les différences de classe sociale, d’orientations politiques, de genre, de sexe, de religion, etc. Il serait donc illusoire de penser l’école comme un agent de transmission d’une seule « culture » commune à l’ensemble de la communauté scolaire. Comme le remarquent d’ailleurs Colombel et Fillol (2012) en contexte plurilingue, les politiques linguistiques à l’école basées sur des idéologies monolingues qui valorisent une seule langue ou variété peuvent avoir comme conséquence de rendre difficile pour les élèves de vivre le développement langagier et le processus