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PREMIÈRE PARTIE CHAPITRE 3 L’AXE DE L’AGIR ENSEIGNANT

4. Dispositifs de l’enseignement des arts plastiques et concepts concepts

4.6 L’amateur « éclairé » entre pratique, réception et discours

L’éducation du sensible n’est pas séparé d’une éducation de l’intelligence. Le programme d’Histoire des arts précise :

L’enseignement de l’histoire des arts a pour objectifs :

- d’offrir à tous les élèves, de tous âges, des situations de rencontres, sensibles et réfléchies, avec des œuvres relevant de différents domaines artistiques, de différentes époques et civilisations ;

- de les amener à se construire une culture personnelle à valeur universelle fondée sur des œuvres de référence ;

- de leur permettre d’accéder progressivement au rang d’ « amateurs éclairés », maniant de façon pertinente un premier vocabulaire sensible et technique, maîtrisant des repères essentiels dans le temps et l’espace et appréciant le plaisir que procure la rencontre avec l’art ;

- de les aider à franchir spontanément les portes d’un musée, d’une galerie, d’une salle de concert, d’un

cinéma d’art et d’essais, d’un théâtre, d’un opéra, et de tout autre lieu de conservation, de création et de diffusion du patrimoine artistique ;

- de donner des éléments d’information sur les métiers liés aux domaines des arts et de la culture. (Encart - BO n° 32 du 28 août 2008 : 2).

On retrouve dans cette liste : un programme didactique dont le pivot est la rencontre qui associe le sensible et le réfléchi, adressé à un sujet défini comme un « amateur éclairé », qui sait parler de ces deux faces de l’expérience en usant d’un vocabulaire « sensible » aussi bien que « technique », « maîtrisant des repères » et « appréciant le plaisir ». Cet amateur éclairé est doté de dispositions et de conduites culturelles (franchir aisément les portes…) et même connait les métiers de l’art.

Les arts plastiques, comme toutes les autres disciplines, l’accompagne dans ce devenir citoyen et plus particulièrement un devenir d’amateur « éclairé » :

Programme du collège

L’enseignement des arts plastiques au collège assure un rôle spécifique dans la formation générale des élèves, tant pour le développement de la sensibilité et de l’intelligence que pour la formation culturelle et sociale. Il fait partie des enseignements obligatoires et contribue ainsi à l’acquisition du Socle commun de connaissances et de compétences (BO N° 6 28 août 2008 : 2).

L’enseignement des arts plastiques, de l’école maternelle au lycée, construit un idéal d’individu qui articule le savoir culturel, la pratique artistique et le discours. L’amateur « éclairé » apprend à faire, à produire, apprend à entrer dans une pratique ; il apprend à parler sur ce faire sur sa propre pratique et sur celle des autres, en respectant, en argumentant, en construisant, par la rencontre avec les œuvres ; il apprend à parler de ce qu’il fait par rapport à des œuvres parce que l’enseignant construit avec lui les modalités de cette prise de parole. Il rencontre une œuvre, en confrontation, en opposition, en comparaison ; il apprend à prendre en charge la parole qu’il a à émettre sur l’œuvre. La didactique des arts plastiques réserve à la verbalisation, une place fondamentale comme lien entre le sensible et le réfléchi. Elle éduque cette parole qui progressivement devient autonome et devient celle de l’élève même. L’enjeu de l’école est donc de favoriser une éducation artistique et culturelle.

4.7 Créativité

Le terme surgit dans les années 50, dans le champ de la psychologie. La créativité peut être définie par l’ensemble des mécanismes qui conduisent à la réalisation de produits originaux dont la valeur est reconnue dans le champ social. Les enjeux de la créativité sont la production d’idées nouvelles et la combinaison de ce qui a été produit. Guilford établit un modèle de la créativité qui identifie cinq opérations, parmi lesquelles les processus de production d’informations nouvelles nous intéressent : pensée convergente et pensée divergente (Beaudot, 1973 ; Guilford, 1950). La première est contrainte par les informations fournies, elle s’oriente vers la solution unique ou correcte, tandis que dans la pensée divergente s’oriente dans diverses directions et facilite une production de multiples réponses pertinentes. Guilford en définit quatre propriétés : la fluidité, la flexibilité, l’originalité et l’élaboration. La fluidité permet de proposer de nombreuses réponses. La flexibilité correspond à la diversité des productions. L’originalité dénote le caractère unique, singulier ou rare des réponses. L’élaboration consiste au dépassement de l’information, se structurant sur des détails ou le développement de procédures. Il y a libre circulation des représentations

sans canalisation prématurée dans des formes conventionnelles, mais sans submersion d’un flux irrépressible (Anzieu, 1981 : 178-193).

En ce qui concerne plus spécifiquement l'enseignement des arts plastiques, la créativité a été, positivement, le moteur du changement. Elle a permis de libérer les arts plastiques de l'académisme en ouvrant à la diversité. La créativité, telle une vague puissante, a déferlé en France au tout début des années soixante-dix et notamment a fait irruption dans l'enseignement des arts plastiques avec d'autant plus de force qu'elle s'est située dans la foulée des « événements de 68 », véritable révolution culturelle. La mise en question globale de la société s'est effectuée dans le sens de la libération des mœurs, de l'hédonisme et de l'individualisme le plus affirmé (Pélissier, 2006 : 1-3).

Étienne Souriau est lui plus prudent et invite à interroger les illusions de la notion, qui surinvestit la spontanéité aux dépends des mécanismes effectifs de créativité.

La vérité est que dans la notion de créativité telle qu’on l’emploie le plus souvent, c’est l’idée même de création qui est insuffisamment définie. Les facteurs d’originalité et d’innovation qu’elle implique ne sont pas critiqués : on y prend surtout acte d’un pouvoir de réalisation, tantôt sans évaluation du résultat, mais avec valorisation de l’acte exécutif lui-même, tantôt avec une valorisation superstitieuse de ce résultat et une évaluation téméraire de la spontanéité (Souriau, 1990 : 524).

L’idée de créativité ne peut être acceptée dans une définition naïve, où il serait question d’un créateur tirant de nulle part l’œuvre qu’il crée ; c’est pourtant la définition première du dictionnaire, puisqu’on y trouve : tirer du néant. Ni la psychologie de la créativité (Lubart, 2003 ; Simonton, 2004), ni la sociologie de la production artistique (Péquignot, 2007), n’attestent d’une création ex nihilo radicale, mais de points de rupture dans les mécanismes de reproduction à l’identique qui peuvent être volontairement recherchés et intensifiés, mais qui dépendent aussi d’une sorte de « méthode intentionnelle ». En particulier, Roberts parme d’expérimentation fait place au hasard et est mise en avant par sa capacité à tirer profit d’un résultat aléatoire disponible : (serendipity) notion de sérendipité de Roberts (1989).

En arts plastiques la pratique artistique qui y est développée, cherche à faire comprendre aux élèves que les œuvres n’apparaissent pas ex nihilo, pas plus que les idées, d’ailleurs. La confrontation à cette pratique les engage dans une recherche, qui les met directement dans l’exploration d’idées.

Didier Lockwood37, président du Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle (HCEAC) fait valoir un point de vue d’artiste : « la créativité est la capacité à faire advenir de la nouveauté et une nouveauté personnelle et singulière » (Lockwood, 2006 : 7-8).

Nous tirons de cette phrase deux important verbes inventer (la capacité à faire advenir) et

découvrir (une nouveauté), qui s’ajustent à la pratique plastique. Si les deux termes ne

permettent cependant pas de décrire une pratique artistique dans sa créativité, ils permettent de donner un aperçu de comment elle aborde la création, non pas comme les textes officiels le proposent sous l’angle d’une expression personnelle de l’élève, mais bien dans l’organisation de règles et de contraintes, qui orientent l’élève dans son parcours esthétique (sensible et réfléchi). Ce qui définit la pratique artistique.

Elle est une pratique plastique liée à la création, parce qu’elle débouche sur l’analyse de cette pratique et devient donc une pratique critique en regard du fait artistique. Elle ouvre les champs de l’art, de l’histoire de l’art, de l’histoire des arts, et des œuvres, où l’enseignant conduit les élèves pour accompagner la rencontre avec les œuvres. Elle permet de comprendre les enjeux du fait artistique, du faire artistique, des conditions techniques, technologiques, et matérielles (ce qu’est un tableau, un bronze, une installation…), mais cette pratique artistique donne aux élèves les moyens de comprendre comment l’œuvre est composée d’un point de vue intellectuel et du point de vue de son organisation générale : structures, lignes,

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composition, symboles… On voit tout l’intérêt de la transdisciplinarité, qui offre le partage de cette compréhension de l’œuvre aux autres disciplines.

Dans le même temps à cette pratique éclairée, s’intègre l’aspect créatif de la pratique. L’expression personnelle n’est alors pas une simple libération d’élans spontanés, mais l’exploration systématique de possibles dans un milieu didactique générateur de trouvailles, , permettant une expression d’autant plus personnelle que l’élève possède les outils nécessaires à son actualisation, à son opérationnalisation, dit Bernard-André Gaillot.

L’expérience artistique se vit, la sensibilité s’acquiert par cette expérience vivante du faire artistique, lié à la création.