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DEUXIÈME PARTIE CHAPITRE 2

1. Choix d’une méthodologie d’analyse

1.1 Définition : analyse de contenu vs. analyse du discours et rappels rapides

Nous avons conscience que de considérer les contenus de pensée comme facilement accessibles, dans ce qui est dit par nos interlocuteurs, est un risque. Il faut prendre cette précaution, puisque le débat important de la recherche en sciences humaines depuis plusieurs décennies, oscille entre analyse de contenu et analyse du discours.

Revenons à la définition de l’analyse de contenu. Elle se stabilise dans les années 40-50, avec les travaux de Berelson et Lazarsfeld : « l’analyse de contenu est une technique de recherche pour la description objective, systématique et quantitative du discours manifeste de la communication » (Berelson, 1952)54.

De manière générale, on peut dire que le détour par les méthodes d’analyse de contenu correspond aux visées suivantes : le dépassement de l’incertitude, […] (en d’autres termes ma lecture est-elle valide et généralisable ?), et l’enrichissement de la lecture (si un regard immédiat, spontané est déjà fécond, une lecture attentive ne peut-elle en augmenter la productivité et la pertinence ?) (Bardin, 1977: 32).

Le dépassement de l’incertitude, nécessite de se poser la question de ce que nous voyons, ce que nous entendons dans les entretiens, et est-ce que ce qui est entendu, lu, vu, peut être partagé avec d’autres ? Et comment ? Cette lecture peut être améliorée, peut être creusée passant à une lecture enrichissante. Comment cette richesse peut-elle apparaitre ? Y-a-t-il du discours, des structures, des thèmes, des propos, des éléments qui pourraient être mis à jour, mis en évidence et qui construiraient cette richesse ? La description de structures et de mécanismes apparaissant dans ces structures, permettent-ils une compréhension plus large du discours dont nous disposons ?

L’analyse de contenu a par la suite été critiquée pour sa « naïveté linguistique » et enrichie par les apports des sciences du langage, tant sur le plan de la définition même de « contenu » que sur celui des techniques de mise en forme et de description du corpus.

L’expression analyse de contenu, qui s’utilise dans le champ des sciences humaines et sociales, pose d’emblée un problème de définition. A un premier stade, elle est assimilée à une analyse littéraire classique, une technique de recherche pour une description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste des communications ayant pour but de les

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interpréter, alors qu’elle renvoie à un certain, nombre de méthodes en vigueur dans les sciences de l’homme (Berelson, 1952 : 11-25).

Le concept de contenu est à éviter car il a été l’objet de critiques définitives en analyse du discours : il semble considérer que le sens est contenu dans les mots directement, de manière stable et transparente, et qu’on y accède simplement en lisant ce qui est écrit. Ce n’est pas le cas : les mots sont des machines à produire du sens qui nécessitent un interprète et donc le sens n’est pas un contenu mais un effet de discours. Donc si on veut être objectif on doit dire qu’on accède à des formes discursives manifestes (ce qui est enregistrable). On ne parle plus d’« analyse de contenu » datée et controversée mais d’« analyse de discours », qui ne prétend pas accéder au « contenu » mais à la machine linguistique, laissant à plus tard le moment de l’interprétation (Maingueneau, 2012 : 10).

Toutefois, nous avons fait le choix de conserver le terme analyse de contenu dans le sens contemporain de Content analysis, en gardant en tête cette réserve, dès lors que nous passons des formes discursives observables à des catégories sémantiques et à donc à une interprétation, et que nous souhaitons travailler sur des formes discursives qui vont au-delà de l’unité mot ou énoncé.

Nous sommes à la recherche, discutable et tâtonnante, de contenus et d’intentions de pensée dont les discours sont les traces, et nos interprétations se présentent clairement comme des reconstitutions hypothétiques, des interprétations. On gardera bien en tête ces précautions théoriques lorsque nous utiliserons le terme « contenu » par la suite.

Bien que l’analyse du discours n’ait émergé que dans les années 1960, aujourd’hui nous avons facilement tendance à considérer que son existence va de soi et à travailler à l’intérieur de tel ou tel cadre théorique ou méthodologique sans nous interroger sur les caractéristiques de l’ensemble de ce champ, sans doute parce qu’il apparaît particulièrement hétérogène (Maingueneau, 2012 : 22).

Nous nous retrouvons, avec des réserves, dans des formes d’analyse de contenu défendues par André Robert et Annick Bouillaguet (2007) ou Laurence Bardin (1977).

Au-delà de la variabilité des définitions, il est à noter que la définition même de l’analyse de contenu a évolué depuis. De la définition donnée par Berelson, l’un des pionniers de l’analyse de contenu un peu restrictive et contraignante parce qu’elle ne serait qu’analyse littéraire : « une technique de recherche pour une description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste des communications ayant pour but de les interpréter », est passé à une définition plus complète. Celle de Laurence Bardin qui précise que, l'analyse de contenu est « un ensemble de techniques d'analyse des communications visant, par des procédures

systématiques et objectives de description du contenu des messages, à obtenir des indicateurs (quantitatifs ou non) permettant l'inférence de connaissances relatives aux conditions de production / réception (variables inférées) de ces messages » (Bardin, 1977 : 43-47).

D’une part, l’exigence d’objectivité se fait plus souple, ou plutôt certains s’interrogent sur la norme léguée par les années antérieures qui faisait confondre objectivité et scientificité avec la minutie fréquentielle. Et on accepte mieux la combinaison de la compréhension clinique avec l’approche statistique. Mais surtout, l’analyse de contenu ne se considère plus comme à portée uniquement descriptive (cf. les inventaires de journaux du début du siècle), mais prend conscience que sa fonction ou sa visée, est l’inférence. Que cette inférence se fasse sur la base d’indicateurs fréquentiels ou, de plus en plus, à l’aide d’indicateurs combinés (cf. analyse des co-occurrences), on prend conscience qu’à partir des résultats d’analyse on peut remonter aux causes, voire descendre aux effets, des caractéristiques des communications. » (Bardin, 1977: 25).

Cette définition plus fine, nous fait comprendre que les méthodes valident différemment de simples techniques de relevé et de comptage. En outre, le « sens » des discours ne peut être établi mécaniquement à partir de ces relevés. C’est pourquoi nous avons choisi une démarche à la fois déductive et inductive : nous avons projeté sur les corpus nos quatre axes d’analyse (l’axe du rapport à l’œuvre, l’axe de la conception personnelle de l’art et l’axe de l’agir professionnel, le quatrième axe résultant du troisième, pour le développement professionnel conscient), et en retour nous avons ajusté ces catégorisations à partir des verbatims. Il y aura à traiter deux types de contenu dans nos entretiens : le contenu manifeste et le contenu implicite.

Le contenu « manifeste » est ce qui est factuellement exprimé sous la forme d’énoncés attestés, d’actes de langage explicités, comme les opinions, les croyances, la foi, les certitudes, les espérances, les évidences, les dogmes, les doutes, les hypothèses, les appréciations, les idées, les convictions, les sentiments, les jugements. En ce sens, nous poserons des catégories et des items pour analyser cet ensemble et en faire ressortir des thèmes ou unités sémantiques abordés les plus pertinents pour notre recherche. Les unités lexicales clés, nommés « occurrences » font l’objet d’une liste donnée en annexe55, ont été repérés puis confrontés pour validité, aux résultats du logiciel Trope©, donc nous faisons une courte étude plus en avant. Enfin, les prises de position et les arguments invoqués pour les justifier trouveront leur place dans l’organisation en trois axes principaux évoqués dans la première partie : l’axe du sensible, l’axes du réfléchi et l’axe de l’agir enseignant, centrés sur la rencontre avec l’œuvre, noyau essentiel de la recherche.

Pour étudier le contenu implicite, il est nécessaire de faire jouer de manière plus risquée la notion d’inférence utilisée par Bardin (1977). Nous procéderons à l’interprétation des textes retranscrits, pour les entretiens, tout en maintenant le contenu manifeste en évidence.

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L’examen du contenu implicite pourrait mettre en lumière la signification de la place accordée à chaque catégorie ou thème ou leur absence dans le discours. En outre, la notion de contenu implicite peut servir à rendre justice à des contenus non exprimés par des énoncés mais par des formes d’action qui impliquent des jugements.

1.2 Présentation de nos choix en matière de méthode d’analyse de