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Pour des raisons de convention et de compréhension l’expression arts plastiques remplacera souvent celle d’arts visuels. Plusieurs arguments peuvent être évoqués : tout d’abord, d’après notre expertise de formatrice, nous pouvons dire qu’il y a plus d’arts plastiques dans les écoles, que d’arts visuels. Ensuite le terme arts visuels est un terme de convention européenne, assez peu précis en France, qui permet de contenir le domaine des arts plastiques et devient le domaine des arts du visuel. Ce qui brouille un peu plus les pistes, reconnaissons-le. Le terme arts visuels est repris dans les programmes d’histoire des arts comme un domaine donc et comme enseignement et non comme une discipline. Ce qui signifie que les programmes du collège se font prendre en étau entre les arts plastiques, discipline et un enseignement des arts du visuel, entre autre (il y a six domaines). Enfin nous faisons remarquer que les programmes de l’école primaire ont fait disparaitre les arts plastiques au profit des arts visuels, alors que dans les programmes du collège, le terme arts visuels est utilisé une et une seule fois.

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56MEP27 juin 2009 Tu peux expliquer un peu en quoi « on est à l’aise » ?

57SR27 juin 2009 En fait je crois que les œuvres qu’elles côtoient, ne leur font plus peur, ils acceptent de ne pas connaitre et ça fait rien, ça leur fait plus rien, ils laissent les élèves, on en revient à ce que tu disais « lâcher prise », exactement, ça amène des tensions en moins / … /

Les collègues de Stéphanie ont pris parti dans le projet pour le construire avec elle. L’œuvre représentait sans doute un danger, elles en avaient peur : « je crois que les œuvres qu’elles côtoient, ne leur font plus peur ». Il est assez difficile d’expliquer cette attitude, mais si on écoute Stéphanie, ce blocage empêchait ses collègues de laisser travailler les élèves : « on en revient à ce que tu disais " lâcher prise" ». Signalant la détermination par des logiques profondes (Bucheton et al., 2010), cette peur des œuvres les gênent. Stéphanie les a initiées, accompagnées et leur a permis de franchir cette frontière de l’œuvre danger : celle qui fait peur. Elle nous éclaire sur le fait d’être à l’aise finalement devant les œuvres. L’aurait-elle communiqué à ses collègues ? Dorénavant les œuvres ne leur « font plus peur », elles avancent dans leur progression de la rencontre avec l’œuvre car elles acceptent de ne pas connaitre les œuvres qu’elles vont faire rencontrer aux élèves. Enfin la « tension » qui d’habitude se sentait lors de cette rencontre diminue.

61SR27 juin 2009 Le fait de savoir, auprès d’eux, je pense,… je pense, moi aussi ! Ca m’a fait un peu cet effet de trouille au début, je me disais qu’il fallait dire des choses, que les élèves devaient apprendre des choses de l’œuvre…la peur du silence, le silence c’est le vide et il ne peut pas y avoir de vide dans la classe, tu sais, c’est idiot cette idée-là, c’est culturel, c’est ancré dans le professionnel, enfin je crois….

Un autre élément important dans la rencontre avec l’œuvre est le poids du savoir prétendument exigé. Tout d’abord il y aurait des choses précises à dire « je me disais qu’il fallait dire des choses » ; il y aurait une obligation à apprendre de l’œuvre « les élèves devaient apprendre des choses de l’œuvre » ; il y aurait une recommandation à combler les vides ou le silence.

Ces trois principes dont parle Stéphanie illustrent le postulat de l’existence de logiques profondes. Elle en donne l’origine d’ailleurs : « culturelle » (peut-être même familiale) et « professionnelle » (est-ce la formation, le terrain, les deux ensemble, l’expérience de ce terrain ?).

Nous pensons avoir quelques indices sur ce que pouvait éprouver ces collègues lorsqu’elles parlaient de peur : peur de ne pas savoir combler le silence, donc de ne pas pouvoir discourir sur l’œuvre, donc peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas avoir de compétences ou de connaissance, bref de ne pas se sentir capable d’accompagner des élèves dans la rencontre avec les œuvres. Ce qui pèse est une sorte de loi intériorisée, un « théorème-en-acte » : les élèves doivent apprendre des choses, et ces choses sont transmises par une parole savante dont l’enseignant a la charge

Stéphanie rapporte cette attitude interdisant des situations pédagogiques simples de rencontre avec l’œuvre. Évoquée dans d’autres entretiens, cette règle d’action implicite consiste à éviter le silence, à éviter les vides, à combler les creux, par hantise de montrer un manque de culture ou parce que le modèle traditionnel de l’enseignant impose que ce soit lui et lui seul qui parle.

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des élèves, c’est pas possible

716SR 7juin 2012 C'est-à-dire qu’à un moment donné avec ton expérience, tu vois là je savais qu’en changeant de support, je connaissais les résultats, un petit peu !

718SR 7juin 2012 Je prenais pas de risques dans l’expérimentation !

719 MEP 7juin 2012 Ouaih, c’est bien ce que tu dis, « pas de risque » parce que justement ?

720SR 7juin 2012 Eh bah non, parce qu’on peut, y a, quelquefois quand on, au début quand on tâtonne nous aussi, on prend un risque, on sait pas du tout

722SR 7juin 2012 Ce qu’on va avoir, mais !

724SR 7juin 2012 Alors que là le risque il était maitrisé

725 MEP 7juin 2012 C’est une compétence aussi, ça des enseignants ? Non le fait de la prise de risque ? 726SR 7juin 2012 Oui, de la maitriser et de l’apprendre aussi, oui

727 MEP 7juin 2012 De la maitriser et de l’apprendre ? Et le travail sur les œuvres d’art, ça amène cette prise de risque ou pas ? (/ … / temps de réflexion) du coup on y va plus vite ou ?

728SR 7juin 2012 Ben, surtout quand on est quelqu’un qui est pas formé, à, l’œuvre …euh 730SR 7juin 2012 Ben c’est comme tout, quand on est dans un domaine qu’on ne maitrise pas ! 732SR 7juin 2012 Il y a forcément une prise de risque

734SR 7juin 2012 T’es pas scientifique, si t’as tendance à faire des sciences ! 736SR 7juin 2012 C’est une prise de risques

Dans cette interaction, où plusieurs épisodes s’enchainent, on notera sept occurrences du mot « risque », ce qui lui donne une importance singulière, par rapport au nombre de tours de parole. Ces échanges nous éclairent sur ce que Stéphanie veut distinguer dans la notion de risque. Nous avions vu plus haut que l’expression était assez vague dans l’extrait que nous avions observé. Nous approfondissons ici.

Il semble que ce ne soit pas vraiment Stéphanie qui prenne des risques, mais les collègues qui ne sont pas formées à l’œuvre : « ben, surtout quand on est quelqu’un qui est pas formé, à, l’œuvre ». La prise de risque vient du fait que la rencontre avec l’œuvre est à la charge de l’enseignant et elle est injonction ; on l’a vu dans les programmes de l’école. L’enseignant doit : « insuffler ».

560SR 7juin 2012 On les analyse, les différents outils, euh pas pour dire leur donner des outils et après faîtes ! Mais comme nous quand nous, on en parlait, je fais un saut tiens tu vois, sur la culture, parce que s’approprier une œuvre c’est pareil la curiosité, on peut pas créer à partir de rien

Elle le disait déjà quelques tours de parole auparavant : « on ne peut créer à partir de rien », malgré la définition du dictionnaire70, qui nous enseigne le contraire : « tirer du néant ». Mais elle précise bien que l’enseignant ne peut attendre « tout des élèves ».

Elle part de la pratique des élèves, on infère que la pratique est proposée à partir d’œuvres, il est question « d’analyse d’outils », « de donner des outils », mais elle met immédiatement en question l’idée que ces outils suffiraient : « pas pour dire leur donner des outils et après faites », qu’on peut paraphraser : paradoxalement, ils ont besoin d’outils tout en sachant que ces outils ne suffisent pas, et que leur utilisation mécanique n’est pas ce qui est demandé. C’est en quelques mots toute la différence entre une conception transmissive et une conception constructiviste du développement de la compétence professionnelle.

Elle déclare qu’au début, elle « tâtonne ». Le rapport à l’œuvre, qu’elle a, est déterminant dans ce qu’elle apporte aux élèves : la possibilité d’expérimenter, l’acceptation de ne « pas tout maitriser » et acceptation de se retrouver face aux élèves avec cette lacune. Il y a là des risques qui touchent la professionnalité et son efficacité (Wittorski, 2008), ou plus encore les limites d’un mythe (Bourdoncle, 1993). N’oublions pas que Stéphanie reproche au milieu « professionnel » des conceptions traditionnelles, ce qui crée une « tension » (61, 06/12 et 57, 6/12).

720SR 7juin 2012 Eh bah non, parce qu’on peut, y a, quelquefois quand on, au début quand on tâtonne nous aussi,

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Nous prenons ici une définition la plus basique donnée par un outil, traditionnellement utilisé : Micro-Robert, définition 1 : « donner l’existence, tirer du néant », page 296, 2010.

on prend un risque, on sait pas du tout

D’ailleurs la manière dont elle amène le terme de « tâtonne » est en cohérence avec la signification des expressions qui le précède : tout d’abord « Eh bah non », puis « parce qu’on peut », ensuite « y a », « quelquefois quand on ». On sent qu’elle cherche à se faire comprendre sur ce que le verbe « tâtonne » signifie pour elle ; en fin de phrase « au début quand on tâtonne nous aussi ». Tâtonner serait-il une reconnaissance de l’expérimentation qu’elle a comme bagage dans son rapport à l’œuvre ? On comprend un peu mieux le risque encouru, si un enseignant offre les balbutiements de son enseignement aux élèves : « tâtonner » alors est un risque.

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832SR 7juin 2012 A partir d’un truc ! Tout simple !

834SR 7juin 2012 Mais y en a eu plein, parce que même quand on fabriqué des boites noires et qu’on a fait le tirage nous-mêmes avec les élèves c’était magique

835 MEP 7juin 2012 Oui, oui, ah c’est bien ce mot « magique » ? 836SR 7juin 2012 Ouaih !

838SR 7juin 2012 C’est magique, ouaih y a ce côté magique de l’œuvre, ouaih

870SR 7juin 2012 Parce que justement il faut que ça garde ce côté, un peu magique, un peu exceptionnel !

Stéphanie développe l’idée qu’il y un « côté magique de l’œuvre ». La magie de l’œuvre l’a rend « exceptionnelle » dit-elle. Elle ne précise pas en quoi l’œuvre est magique. Si on cherche à analyser le contenu thématique de l’expression, on identifie à la fois le mystère (l’œuvre produit un effet qui n’est pas conceptualisable, et qui sans doute ne gagne pas à l’être) et la dimension eu-phorique de l’expérience, qui renvoie à la thématique du plaisir produit spécifiquement par l’activité esthétique (ici, en réception).

On peut aussi rapprocher cet élément d’une autre situation d’expérience eu-phorique. Dans l’histoire racontée par l’artiste Enzo, aux élèves (chapitre 3, de cette partie), on peut approcher cette dimension magique de l’œuvre par le biais d’une mise en jeu plaisante de l’imaginaire.

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824SR 7juin 2012 Et en fait il nous avait amené dans son imaginaire, il avait dit « voilà, là !» il avait écrit un truc alors, il l’a récupéré depuis, c’était un genre de cité, euh je sais plus en quoi il l’avait fait, il l’avait faite, je sais plus, et dans cette cité il y avait tout un imaginaire et il avait dit « voilà, c’est là où habitent les sabliosses ! »

826SR 7juin 2012 Tu vois le truc, et en fait quand on a lancé les élèves, là-dessus

828SR 7juin 2012 Nous on avait, bon on a écrit l’histoire, … ils voyaient des sabliosses partout !

830SR 7juin 2012 (Rire) et donc ça, ça avait super bien fonctionné, tu vois cette histoire de petits personnages qu’on voit pas qui sont cachés, on sait pas s’ils nous observent

Sur le chemin d’un rapport à l’œuvre, l’imaginaire a sa place. Stéphanie protège cet espace de l’imaginaire que l’artiste ici, dans cet exemple construit : « on les a lancé, on a construit l’histoire, ils voyaient des sabliosses partout ». L’équipe, les enseignants et l’artiste mettent en place un mode singulier de présentation de rencontre avec l’œuvre : raconter une l’histoire. Elle devient ensuite un jeu dans lequel l’imaginaire se développe au point qu’« ils voyaient des sabliosses partout ».

Les œuvres s’apprivoisent. Une règle du modèle traditionnel de l’enseignant (issu du milieu familial, culturel, professionnel), veut qu’il prenne la parole. Dans la rencontre avec les œuvres, l’obligation ressentie de devoir parler, tourne au cauchemar pour les enseignants, qui comble comme ils peuvent les vides, les silences. Stéphanie montre la différence qu’elle opère entre une conception transmissive et une conception constructiviste du développement de la compétence professionnelle. Tâtonner serait-il une reconnaissance de l’expérimentation que Stéphanie a comme bagage dans son rapport à l’œuvre ? Elle accepte de ce fait de se trouver face aux élèves avec cette nécessité de tâtonner. Les

œuvres sont un réservoir d’histoire dans lequel Stéphanie n’hésite pas à puiser. Cette dimension eu-phorique renvoie à la thématique du plaisir produit spécifiquement par l’activité esthétique (réception).