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Chapitre 1 : L’espace et le langage

3) La 3 ème section sera consacrée au développement verbal et gestuel de l’expression du mouvement et aux études dans ce domaine

2.2 L’acquisition du langage et le rôle des gestes co-verbaux

Cette section présentera rapidement des théories de l’acquisition du langage jusqu’à prise en compte du rôle du geste dans le développement précoce, puis elle évoquera le développement tardif et le rôle des gestes dans le récit.

2.2.1 Le développement communicationnel dans les études classiques

Traditionnellement, les études dans le domaine du développement du langage étaient axées sur les aspects lexicaux et syntaxiques de la langue ou bien même sur les analyses de discours. Les études classiques privilégient donc fortement l’aspect linguistique de la communication, avec ce que cela comporte d'acquis. On pressent alors le débat qui va se faire entre la tendance à l’innéisme et la tendance à l’empirisme. Ce débat va être très important dans le domaine du développement et de l’acquisition du langage. Commençons par l'école qui privilégie l'empirisme.

L’empirisme est dominé par l’idée que toute connaissance humaine dérive directement ou indirectement de l'expérience. Par exemple Pavlov (1927) a travaillé sur les réflexes conditionnés chez les animaux, évoque le caractère behavioriste du développement communicationnel. Le mouvement behavioriste défendra l’idée que le comportement langagier dépend des conditions environnementales au travers d’une processus séquentiel stimuli/réponse. Ce jeu semble se faire sans intervention du processus cérébral, interne au cerveau (Volckaert-Legrier et al., 2009).

Avec un chemin qui lui est propre, la théorie du développement cognitif de Piaget (1966) s’explique par l’interaction de l’enfant et de son milieu ou l’environnement. L’enfant serait un participant actif dans le processus de développement. Il n’attend pas forcément les stimuli externes mais il se développe à travers des expériences et des contacts avec l’environnement selon un double processus d’assimilation et d’accommodation. Pour Piaget (1966), quatre étapes générales définissent le développement mental : 1) Période sensori-motrice,

2) le stade de l’intelligence préopératoire, 3) la période des opération concrètes, 4) le stade des opérations formelles.

Les deux premières années de la vie seraient une phase sensori-motrice. C'est la période où l’enfant explore son environnement et expérimente les conséquences des actions et des relations entre actions.

La deuxième étape du développement de l’enfant, toujours selon Piaget est le stade de l’intelligence préopératoire, (entre 2 ans à 6 ans). L’enfant développe ses connaissances sur l’espace et le temps mais aussi sur le fonctionnement symbolique. Les mots sont des symboles. Ils peuvent représenter des objets ou

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des groupes d'objets. Un objet ou un mot peut en représenter un autre. Un enfant de trois ans monte sur un cheval à bascule en bois, joue dans sa chambre et imagine que c'est un vrai cheval.

Troisième période du développement selon Piaget, 6 ans à 12 ans, l’enfant est capable d'appliquer des opérations mentales sur des objets. Il peut bien saisir la réversibilité et la flexibilité de concepts tel que le volume, le poids, la longueur, etc. La compréhension et la classification de divers objets prennent place à ce stade, ainsi que la stabilité.

Enfin, dernière période, « le stade des opérations formelles ». Ce stade apparait l'adolescence et s'étend de 11 à 16 ans et au-delà jusqu’à l’âge adulte. C’est le stade le plus élevé et le plus parfait de la qualité cognitive. La capacité de penser d'abstraire, d'imaginer pour mieux comprendre. Le raisonnement déductif et la compréhension de la probabilité se stabilisent à cette époque chez les adolescents.

Le point de vue du développement cognitif de l’enfant introduit par Piaget, fait de l’enfant un participant actif du processus de développement. Sa définition des quatre périodes de Piaget (1966) donne une bonne approche du processus du développement. On peut penser qu’aujourd’hui les linguistes avec l'arrivée de nouveaux outils, vont avoir la possibilité d'observer plus finement le comportement de l’enfant. De nouveaux moyens d’analyse tel que l’imagerie cérébrale, l'enregistrement audio et vidéo, les capacités des logiciels informatiques devraient permettre d'autres analyses des données.

Contre ce puissant mouvement de l’empirisme, le nativisme en psychologie apparait comme un sous-système des théories innéistes. L'esprit possèderait en soi certaines structures qui lui sont inhérentes. Des compétences innées existeraient dans le cerveau dès la naissance. La grammaire universelle, théorie linguistique développée par Chomsky (1972), s'attaque aux positions de Piaget : le cerveau humain serait spécifiquement programmé pour apprendre la langue ; existerait une grammaire universelle innée. Les connaissances linguistiques se produiraient sans avoir besoin d'éducation et c'est la raison pour laquelle toutes les langues naturelles partagent des caractéristiques communes. Pour Chomsky (1972), l’enfant déjà avant sa naissance possède une capacité innée qu’il l’appelle Language Acquisition Device (LAD) qui lui permet de se développer rapidement. Pour lui, la grammaire n'applique pas des règles mais est une capacité à générer une infinité de phrases. Cette théorie a attiré l’attention de beaucoup de chercheurs intéressés par le développement.

Le conflit entre adeptes de l'hérédité et ceux qui privilégient l'expérience (les innéistes et les empiristes) s'est renouvelé. La controverse, autrefois défi majeur entre les premiers psychologues, s'atténue aujourd'hui au vu de la complémentarité des points de vue. Le comportement humain peut être vu à la fois comme héritage et comme résultat de l'expérience.

Ceci étant acquis, reste une théorie de l’interaction sociale qui théorise le développement du langage en mettant l'accent sur l'interaction entre l'enfant et les membres de sa société. Cette théorie a été lancée avec les théories socioculturelles de Vygostky (1971). Pour lui, l’interaction joue un rôle capital et est le moteur principal du développement langagier. C’est à travers l’expérience que l’enfant acquiert la langue. Des

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règles sociales influencent la communication langagière des enfants. Le développement selon cet auteur se fait sous deux formes : inter-psychologique et intra-psychologique.

Dans le cadre inter-psychologique, l’adulte relie au réel l’énoncé produit par l’enfant. Il permet à l'enfant d'entrevoir les implications sociales de tel ou tel énoncé. Peu à peu, l'enfant entre alors dans une phase intra-psychologique : connaissant les implications d’un énoncé, l’enfant va être capable de les produire « pour lui-même ». Il va se créer des instruments pour parvenir aux fins qu’il se propose. Cette théorie est positive car elle prend en compte l’interaction dans l’acquisition du langage. Elle reste assez intellectualiste et n'accorde aucune place au rôle des gestes dans l’acquisition du langage. Après ce survol rapide des théories d’acquisition du langage, la section suivante va pouvoir se focaliser sur les études qui privilégient le geste dans le développement communicationnel.

2.2.2 Le rôle du geste dans le développement communicationnel

Depuis plusieurs décennies, les chercheurs en linguistique et psychologie se sont intéressants aux divers composants de la communication. Le plus étudié est la langue, ce qui a détourné l’attention qui peut être porté à la composante kinésique, qui s'intéresse aux gestes, à la proxémique, aux mimiques faciales, à la direction du regard. Ces recherches sur la gestualité dans la communication se sont multipliés après les publications des précurseurs qu’ont Kendon (1972, 1980, 2004) et de McNeill (1992, 2000), qui tout deux plaident pour que gestes et paroles soient étudiés en tant que processus de communication unique. Ils se fondent sur le fait que gestes et paroles s'intègrent étroitement dans la communication. Elles sont utilisées pour les fonctions référentielles et dans la pragmatique du discours.

Des études récentes (e.g., Golden-Meadow, 2003a, 2003b ; Colletta, 2004 ; Brookes, 2005 ; Guidetti & Nicoladis, 2008 ; Iverson & Golden-Meadow, 1998 ; Boyatzis, 2000 ; Gullberg et al., 2008a) prennent en compte un système sémiotique important dans la communication et le développement du langage : celui des gestes coverbaux. Le rôle du geste manuel dans l’apprentissage chez l'enfant a été privilégié. Il apparait que l’expression gestuelle et langagière sont étroitement liées. Non seulement l’enfant utilise la main pour communiquer au cours de sa première année, et cela même avant d'utiliser la parole (le geste de pointage), mais plus tard, l’enfant continuera de produire des gestes pour renforcer, enrichir ou même pour remplacer le message (Colletta, Pellenque et Guidetti, 2010). Les études sur le développement de la parole et du geste partent dans de nombreuses directions : certaines se focalisent sur le rôle du geste de la main dans l’acquisition du langage de la période pré-linguistique (préverbal), tels les travaux de Capirci et al., (1996) dans le développement précoce ; Colletta (2004) insiste surles développements plus tardifs, entre 6 et 11 ans, ou même sur l'adulte ;d’autre s’intéressent au rôle des gestes dans l'apprentissage scolaire tels Golden-Meadow (2005) et ses collègues. Tous ces études établissent peu à peu la place du geste dans le développement linguistique.

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Pour l’acquisition du langage, concernant cette multimodalité de la communication, les chercheurs de plus en plus croient en l’acquisition multimodale, par deux voies la parole et le geste. Ils poursuivent le même chemin d’apprentissage et le même but. Plusieurs séries de recherches ont cherché comment se constituait et comment évoluait la relation entre gestes et paroles, en insistant sur le rôle du geste dans ce processus et dans tous les phénomènes importants du développement multimodal de l’expression.

Les chercheurs ont montré que le lien entre la parole et le geste s'opère dès les premières phases de l’évolution de l’enfant (Iverson et Thelen, 1999 ; Iverson et Fagan, 2004). Le geste de pointage en est la première forme (Bates et al., 1975, 1979 ; Liszkowski, 2005). Les premiers exemples multimodaux composés de deux unités que sont le mot et le geste sont l'œuvre de nombreux auteurs. (Iverson et al., 1994 ; Capirci et al., 1996 ; Butcher et Goldin-Meadow, 2000 ; Özçalişkan et Goldin-Meadow, 2005 ; Pizzuto et Capobianco, 2005). On a pu montrer que la relation entre geste et parole continue son évolution au-delà de l’âge de trois ans, et touchent même l’évolution des capacités cognitives et discursives. A été mis en parallèle à l’évolution et le développement d’une grande variété de gestes dans les différents degrés d’abstraction (McNeill, 1992 ; Colletta, 2004, 2009). Une évolution l’évolution linguistique qui part de formes concrètes pour aller vers des formes symboliques plus abstraite se constate sur le plan gestuel comme sur le plan verbal, (McNeill,1992). Cela se constate, et les premiers gestes de pointages sont suivis de gestes plus complexe : les gestes iconiques et représentatifs commencent à apparaitre.

La recherche a débordé aussi le seul indicateur quantitatif. Le nombre de gestes qui accompagnent la parole augmente avec l’âge, le répertoire des gestes s’enrichit également avec l’âge, mais on constate aussi un changement qualitatif. L’apparition de certains gestes se fait jour avec des contenus plus abstraits et métaphoriques, et les gestes sont utilisé dans le discours à des fins pragmatiques, et aussi pour structurer la parole. (Colletta, 2004, 2009). Colletta (2004) a montré que dans des récits d’enfants âgés de 6 à 11 ans, que l’évolution des capacités verbales et gestuelles progresse simultanément. Si, sur le plan verbal, une évolution quantitative et qualitative des marquages syntaxiques (longueur des productions), textuels (connecteurs diverses) et discursifs (densité des informations) peut se constater, sur plan gestuel, naissent des comportements posturo-mimo-gestuels. Cette évolution se fait avec des comportements très subtils, passant de postures figées peu expressives à des gestes à fonction pragmatique et textuelle enrichies.

Nous chercherons pour notre part à montrer la relation entre l’évolution des compétences linguistiques et le développement des gestes représentatifs dans l’élaboration d’un discours narratif. Plus précisément, nous nous focaliserons sur les gestes représentationnels du mouvement. Nous nous demanderons comment les éléments du mouvement comme la trajectoire ou manière se codent tant dans la verbalisation que dans les gestes de locuteurs natifs de régions linguistiques différentes, et nous tenteront de suivre le développement de ces capacités.

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En résumé, il semble difficile aujourd'hui d’analyser les capacités discursives dans un récit narratif en prenant en compte que les aspects linguistiques. Les gestes apportent des précisions sur les plans représentationnels et expressifs, mais tout aussi bien sur les plans du cadrage et de la structuration discursive. La production langagière, et plus particulièrement la production narrative, évolue avec l’âge, certes, mais elle sollicite des ressources linguistiques et non linguistiques multimodales de plus en plus riches.

2.3 Les études sur comparaison inter-langue et inter-âge de l’expression de