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L’accès effectif à la justice des plus démunis comme corollaire d'un État démocratique

Section 1 : Sens et portée du droit d’accéder à la justice

B- L’accès effectif à la justice des plus démunis comme corollaire d'un État démocratique

« La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans la force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut mettre ensemble Justice et Force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste » 97.

89. Le droit, politique par essence, participe à l’organisation de la cité98. Il sert à organiser les rapports entre gouvernants et gouvernés et régit aussi les rapports entre gouvernés. Le droit occupe donc une place fondamentale dans la vie sociale au point que certains juristes aimeraient qu’il soit omnipotent. Le droit, régulateur de la vie sociale, trouve sa légitimité dans sa nécessité sociale99. Or, le droit serait dépourvu d’efficacité s’il n’était pas rendu à

l’effectivité par la voie de la justice, étatique ou arbitrale (1). L’arbitrage répondant aux mêmes fins ne doit être admis qu’à la condition de son effectivité. La juridicité étant le critère du droit, l’accès au juge doit donc être assuré aux plus démunis pour préserver l’état de droit (2)100.

1)- Droit au recours effectif et justice démocratique

« La Convention a pour but de protéger des droits, non pas théoriques et illusoires, mais concrets et effectifs » (CEDH 9 oct. 1979, Airey c. Irlande, série A, n° 32).

90. La justice doit être effective, et pour ce faire, accessible101. En France, dans la décision

Statut de la Polynésie française en date du 9 avril 1996102, dans le cadre d’un déni de justice,

le Conseil constitutionnel déduit de l’article 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, qu’« en principe, il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des

97 Pascal, Pensées, n° 298 éd. Brunschvicg.

98 Mais il ne faut pas entendre la politique comme la stratégie de conquête du pouvoir. Ici, il s’agit du politique (le politique) c'est-à-dire de l’exercice du pouvoir dans la cité. La notion de droit n’a de sens qu’en société, il suppose la présence de l’autre. Il organise les rapports sociaux, à la différence de la morale, il n’a pas son siège dans le for intérieur des hommes : ubi societas, ibi jus. Le droit se compose par définition de choix de société. Il est indispensable à la société, à sa cohérence.

99 Pour une étude plus approfondie des fins du droit et de la justification du caractère coercitif de la règle, V. AUBERT (J.-L.), Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 10 éd. Ed Armand colin, 2004 p. 8 et s. Spéc. p. 16 et s.

100 FRISON-ROCHE (M.-A.), Le droit d’accès à la justice et au droit, in CABRILLAC (R.), FRISON-ROCHE (M.-A.), REVET (TH.) (sous la direct. de), Libertés et droits fondamentaux, 12 éd. Dalloz 2006 p. 449 : « On peut considérer que l’accès à la justice contient tous les autres droits […]On mesure que la pauvreté budgétaire de l’institution juridictionnelle n’est pas seulement question de bonne ou mauvaise gestion des deniers publics. Elle interfère directement avec l’équilibre politique des pouvoirs » (n° 572).

101 La justice institution n’est pas l’émanation directe du peuple, c’est une médiation qui permet de faire une distinction entre la justice et la vengeance, distinction que les tribunaux populaires ignorent. Elle doit, pour être acceptée par le peuple, revêtir certaines qualités. La justice doit s’exercer selon les lois connues de tous pour ne pas se réduire à l’appareil répressif de l’État. En conséquence, la justice doit être indépendante de l’opinion publique et du pouvoir politique. Pour une analyse du droit au juge comme une condition de citoyenneté V. FRISON-ROCHE (M.-A.), Le droit d’accès à la justice et au droit, in CABRILLAC (R.), FRISON-ROCHE (M.-A.), REVET (TH.) (sous la direct. de), Libertés et droits fondamentaux, 12 éd. Dalloz 2006 p. 449 spéc. n° 588.

102 Cons. Const. 9 avril 1996, 96-373 DC, Polynésie française, JO 13 avr. p. 5724, Justices 1997/5.247 obs. Drago, AJDA 1996 p. 371 note O. Scharmek et N. Molfessis ; Pour une étude du lien entre les droits de la procédure et la protection de l’effectivité des droits substantiels : GUINCHARD (S.) Menaces sur la justice des droits de l’homme et les droits fondamentaux de procédure, in Justice et droits fondamentaux, études offertes à J. Normand, Litec 2003 p. 209.

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personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction » car « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution ». En conséquence, le Conseil consacre le principe selon lequel la garantie des droits, et partant l’état de droit, n’est assurée que par un recours effectif au juge, faute de quoi il n'y a pas de Constitution.

L’effectivité des droits doit être assurée, peu importe le caractère fondamental ou non de ceux-ci. « Cette sorte de droit à un tribunal est porteur d'un droit au jugement, car on peut supposer qu'un recours n'est véritablement effectif que lorsque non seulement il peut être concrètement pratiqué, mais encore en ce qu'il aboutit à un jugement, car c'est celui-ci qui donne sens à l'action »103. En conséquence, un jugement portant uniquement sur la

compétence sera insuffisant à satisfaire les exigences de l’état de droit. Donc, la décision judiciaire prise en application du principe de compétence-compétence ne peut assurer l’état de droit si elle aboutit à une impossibilité factuelle d’assurer l’accès au juge et donc l’effectivité des droits.

91. La justice, de par sa fonction sociale, revêt indirectement une fonction politique. Elle est un instrument au service de la démocratie104. En effet, il n’y a pas de démocratie sans

justice démocratique. Le lien qui unit la justice et la démocratie permet de mettre en lumière les fonctions sociales de la justice. La justice est facteur de démocratie et acteur du lien démocratique, notamment par l’accès libre et égal au droit et à la justice. La justice démocratique est une justice accessible à tous de façon égale. Elle doit être accessible intellectuellement, humainement et financièrement. Ces trois qualités sont recherchées dans les démocraties contemporaines. Ainsi, la justice envisagée comme une composante nécessaire de l’état de droit ne doit sous aucun prétexte suivre la loi du marché ou de la concurrence, ni être soumise à la rationalité économique malgré les tentations. Or, plus la justice se démocratise, plus son accès est facilité et, de fait, apparaît alors un problème inédit105, celui de l’encombrement des tribunaux du fait de leur accès le plus large possible106.

92. Néanmoins, le premier des droits dont doit disposer un individu dans une société démocratique est celui de pouvoir voir sa cause entendue en justice. Cette faculté est l’un des éléments constitutifs de la notion de « prééminence du droit », consacrée par l’article 6 de la CESDH. En effet, des propres termes du Conseil constitutionnel, « la défense constitue pour toute personne un droit fondamental à caractère constitutionnel et son exercice effectif exige que soit assuré l’accès à chacun au juge chargé de statuer sur sa prétention »107. La

possibilité pour chacun de faire valoir ses droits, au besoin en saisissant le juge, est donc une composante de l’état de droit et de la démocratie. Les notions d’accès au droit et à la justice expriment cet impératif. Elles sont comprises comme permettant « à tout citoyen d’aborder ou de parvenir à un État idéal de justice distributive, au moins élémentaire mais difficilement « accessible » pour beaucoup »108. Pour être démocratique et préserver l’état de droit, la justice doit être accessible y compris aux plus démunis.

103 FRISON-ROCHE (M.-A.), BARANES (W.), Le souci de l'effectivité du droit, D. 1996 p. 301.

104 V. pour une étude de la notion de démocratie : PAULIAT (H.), La justice, un instrument de confiance dans la démocratie ? inJustice et démocratie, Pulim, d’Agusseau (textes réunis par S. Gaboriau et H. Pauliat) p. 487.

105 Pour une évaluation économique des système juridiques par la banque mondiale : http://www.français.doing business.org.

106 CADIET (L.), NORMAND (J.), AMRANI MEKKI (S.), Théorie générale du Procès, Thémis droit PUF, 1 éd. 2010 p. 24 : « les juristes français, dans leur grande majorité, ne sont pas prêts à accepter la vision caricaturale d’une justice assimilée à une entreprise comme les autres […] s’il y a place pour une analyse économique de la justice et du procès, c’est à la condition d’en borner le domaine et de ne pas en exagérer la portée, afin de ne pas passer « insensiblement de la justice servante de l’économie à la justice asservie à l’économie » (L. CADIET, Introduction in De l’économie de la justice, RIDE 1999-2 p. 143) ».

107 Cons. Const. 9 avril 1996, AJDA 1996 p. 371 note O. Scharmek ; Ass. Plén. 30 juin 1995 JCP II 22478 concl. Jeol, note Perdiau ; CEDH, Golder, 21 février 1975, Série A n° 18 § 36 : « le principe selon lequel une contestation civile doit pouvoir être portée devant un juge compte au nombre des principes du droit civil universellement reconnus ».

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2)- Droit effectif au recours et accès matériel des plus démunis

93. Le droit au recours effectif est avant toute chose un droit effectif au recours. Cet accès à la justice se conçoit alors comme une sorte de devoir élémentaire de l’État, devoir à la charge de la puissance publique, plus large que la simple organisation des institutions.

L’effectivité de l’accès à la justice implique de ne plus s’en remettre au grand principe d’organisation judiciaire. Cet accès traduit la possibilité de voir reconnaître ses droits sans nécessairement recourir à l’institution judiciaire. Tout citoyen doit être en mesure d’accéder au droit et à la justice. Les politiques judiciaires mettent en avant l’amélioration de la compréhension des mécanismes juridiques et judiciaires par les citoyens et de l’accès financier à la justice.

En France, le droit d’accès aux tribunaux a été longtemps conçu au regard du principe d’égalité, donc d’égal accès, devant le service public de la justice. Le droit d’accès fait l’objet d’un traitement identique face à un service public régalien sans que le contenu du droit ou les ressources influent. Cependant, à travers sa jurisprudence pragmatique, la Cour européenne des droits de l’homme permet aux juristes romano-germaniques de vérifier si la force de leurs principes n’est pas inversement proportionnelle à leur respect effectif. En d’autres termes, le droit d’accéder au juge reçoit-il une consécration effective109 ?

94. Chaque citoyen a un droit égal à la justice, tous doivent pouvoir saisir le juge d’un litige et « cette liberté demeurerait une liberté formelle si n’était pas institué un système permettant aux justiciables d’assumer les frais »110. C’est pourquoi, depuis la Révolution, le

principe de gratuité de la justice est un principe fondamental de l’ordre juridique français111

complété par des systèmes permettant aux plus démunis d’accéder au juge. Certes, le choix d’une justice onéreuse n’est pas en soi illicite ni même condamnable et l’arbitrage est une institution importante pour le commerce international qui revêt de nombreux avantages. Cela étant, si le caractère onéreux de cette justice devait avoir pour effet d’interdire l’accès à toute justice, la sanction ne saurait être l’incompétence des juridictions étatiques. En effet, afin de garantir l’état de droit et la démocratie, il importe, arbitrage ou pas, de garantir l’accès au juge.

L’acceptation d’une convention d’arbitrage ne valant pas renonciation au droit au juge, l’état français doit donc mettre en place des mécanismes juridictionnels permettant d’assurer le droit effectif au jugement, quand bien même une convention d’arbitrage serait insérée dans le corps d’un contrat principal.

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95. La prise en compte de la notion d’efficacité fait du droit un instrument politique au sens d’organisation de la cité. Dès lors, les politiques publiques françaises se préoccupent de

109 Pour une analyse du lien entre l’accès à la justice et l’accès au droit, notamment sur la caractère fondamental du droit au juge V. FRISON- ROCHE (M.-A.), Le droit d’accès à la justice et au droit, in CABRILLAC (R.), FRISON-ROCHE (M.-A.), REVET (Th.) (sous la direct. de), Libertés et droits fondamentaux, 12 éd. Dalloz 2006 p. 449 spéc. n° 583 et s. : « Le droit d’accès à la justice n’est pas un droit subjectif de plus : il est celui qui permet à chacun d’être protégé par le droit. Il est la prérogative matrice de tous les droits, puisqu’instruments d’effectivité de ceux-ci. En cela il est directement l’expression de l’égalité des personnes […] le principe d’égalité conduit l’État à un devoir de traiter les inégalités devant la justice » (n° 587).

110 CADIET (L.), NORMAND (J.), AMRANI MEKKI (S.), Théorie générale du Procès, Thémis droit PUF, 1 éd. 2010 p. 145.

111 Article L. 111-2 du COJ « La gratuité du service de la justice est assurée selon les modalités fixées par la loi et le règlement ». Pour une analyse du droit d’accès effectif au juge au regard d’un obstacle de fait : V. sur le concept de déni de justice en droit interne : V. CORBION (L.), Devoir juridictionnel et droit à la protection juridictionnelle, Jurisclasseur Civil Code art. 4, Fasc. Unique (2007) n° 60 et s. (NIOC) ; D'AMBRA (D.), L'aide à l'accès à la Justice : l'aide juridictionnelle, in Procédure[s] et effectivité des droits, coll. Droit et justice, t. 49, 2003, Bruylant, p. 43 : « Permettre l’accès effectif à la justice, c’est d’abord permettre à des personnes qui sont pratiquement dans l’impossibilité d’exercer leurs droits en justice, en raison de l’insuffisance de leurs ressources, de saisir toutes les juridictions sans être tenues d’avancer tout ou partie des frais et avec le concours gratuit ou partiellement gratuit des auxiliaires de justice ».

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l’accès effectif à la justice. L’Europe communautaire n’est pas non plus insensible à l’accès de tous à la justice112, comme en témoigne notamment la Charte des droits fondamentaux :

l’accès au juge est consacré comme permettant d’obtenir un jugement et son exécution. La procédure doit être effective donc efficace. L’arbitrage international n’a de légitimité qu’à la condition sine qua non d’être une justice effective.

§2- Droit d’accéder au juge général et prohibition du déni de justice

96. Le fondement du droit d’action réside dans l’idée que l’État doit permettre à ses sujets d’obtenir justice. En conséquence, il doit ériger des institutions judiciaires et permettre aux sujets de s’en servir librement. La liberté d’agir consistant en un droit d’accès aux tribunaux, il appartient à l’État de fournir à ses sujets les moyens matériels de l’accès à la justice. Cette liberté ne se conçoit pas sans pouvoir contraindre le juge à juger et suppose la sanction du déni de justice. Sur le plan matériel, le droit d’accès à la justice implique de mettre en place un système d’assistance judiciaire113, aide consacrée par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui la qualifie d’essentielle pour assurer l’effectivité du droit d’accès à la justice.

97. À l’inverse de la justice étatique, la justice arbitrale est généralement conçue comme ne s’insérant dans aucun ordre juridique préétabli, son accès n’obéit donc pas au principe de gratuité, faute d’appartenir au service public de la justice114. Cela étant, si l’arbitrage ne rend

pas la justice au nom d’un État souverain, le litige reste localisé et les litigants bénéficient des garanties procédurales de leur for. Néanmoins, la partie faible, au nom du principe de compétence-compétence, sera renvoyée devant l’arbitre nonobstant l'absence de moyens financiers suffisants. Or l’arbitrage, malgré ses nombreuses qualités, n’est pas une justice aisément accessible financièrement. Il suffit pour s’en convaincre de se référer aux tarifs des frais et honoraires d’arbitrage inaccessibles pour certains de nos concitoyens115. Or, au

caractère fondamental du droit d’action en justice répond donc la prohibition du déni de justice tant en droit interne qu’en droit international. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 (article 8) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (articles 2 et 14) proclament que toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus.

98. Le déni de justice est reconnu et sanctionné tant en droit interne qu’en droit international public. Il reçoit un traitement spécifique en droit international privé (A) et n’est pas exclu en matière d’arbitrage (B).

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