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Section 1 : Sens et portée du droit d’accéder à la justice

B- Droit d’accéder au juge et immunité de juridiction

67. Des limitations au droit d’action sont admises lorsqu’elles ont un motif légitime, qu’elles sont proportionnelles à l’objectif poursuivi et qu’en substance le droit d’agir ne se trouve pas altéré59. Avec l’arrêt Golder c. Royaume Uni du 21 février 1975 et sur le

fondement du principe de prééminence du droit, la Cour européenne des droits de l’homme a interprété l’article 6 § 1 de la CESDH comme garantissant un droit d’accès aux tribunaux, un droit au jugement. Selon la Cour « il consacre de la sorte le droit à un tribunal dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal, ne constitue qu’un aspect ». Si ce droit est reconnu, il n’est pas absolu et les États peuvent le limiter.

L’arrêt Ashingdane c. Royaume Uni du 26 avril 1985 précise qu’il « appelle par sa nature une réglementation par l’État ». Les limites, pour se concilier avec l’article 6 § 1 de la convention, doivent cependant poursuivre un but légitime et être proportionnelles. Elles ne doivent en aucun cas atteindre le droit d’accès dans sa substance même. En d’autres termes, en présence de l’apparence d’un droit reconnu par le système juridique, le droit d’action se doit d’exister.

58 Par exemple : CEDH, 9 déc. 1994, Affaire des saints monastères grecs, Gaz. Pal. 28 sept. 1995, note D. Worms : refus de reconnaître la personnalité juridique d’un groupement.

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68. Une atténuation majeure doit être apportée. L’inexistence du droit au juge en présence d’un droit substantiellement reconnu est considérée comme conforme à l’article 6 § 1 au regard des immunités de juridiction des États. La Cour a en effet exclu la violation de l’article 6 § 1 à propos de procédures tendant à mettre en œuvre l’obligation de réparer de ces États, analysant l’immunité comme une barrière procédurale et non comme une atteinte au droit substantiel. Tout en rappelant le droit au juge, elle admet la conformité à l’article 6 en examinant la légitimité et la proportionnalité. En conséquence, en application de la jurisprudence relative à l’immunité de juridiction dont bénéficient les États, le droit d’action peut être dénié ou limité si et seulement si la mesure est proportionnelle à un but légitime60.

En matière d’arbitrage international, le débat est tout autre. La protection de l’arbitrage n’est pas sous-tendue par les mêmes intérêts que celle de la puissance publique. Dès lors, le raisonnement ne peut se transposer au principe de compétence-compétence, qui ne peut avoir le même effet que les immunités de juridictions. L’application de ce principe ne peut donc avoir pour effet de dénier tout droit d’action à un individu.

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69. L’existence d’une immunité de juridiction d’un État aboutit à interdire à un justiciable d’avoir accès au juge. Cette limitation est communément admise. Cependant, elle ne saurait être transposée en matière d’arbitrage où les intérêts sont purement privés et n’ont pas de rapport avec une question de puissance publique.

Conclusion de la section 1

70. Le droit d’action concerne tant l’organisation de notre justice que la protection des droits. Ne pas le reconnaître61 ou ne pas l’exercer transforme la règle de droit en un « rouage inerte ». Ce constat ne cède pas en matière d’arbitrage international où le droit d’action et d’accès au juge doit être garanti. Le droit d’action est un droit autonome, fondamental et général62.Le principe de compétence-compétence intervient au stade primaire de la procédure

et organise l’accès à la justice, spécifiquement l’effet négatif du principe de compétence- compétence. Il s’agit d’une règle de procédure de droit français qui impose aux juridictions françaises de se dessaisir dès lors qu’il apparaît qu’un litige doit matériellement être soumis à l’arbitrage. Statuant sur la recevabilité de l’action devant les juridictions étatiques, cette décision de renvoi aux juridictions arbitrales ne saurait suffire à garantir le droit d’accès au juge car, comme le relève Madame M.-A. Frison-Roche63, la procédure ne doit pas être

envisagée de façon autonome au regard des droits substantiels, elle a pour fin l’effectivité de la loi, les droits procéduraux n’ayant de sens qu’au regard des droits substantiels. Instrument de réalisation des droits, la prohibition du déni de justice a donc un fondement de nature processuelle64.

71. Le droit fondamental d’action en justice est soit conçu, dans la conception subjective,

60 Pour une violation de l’article 6 § 1 de la CESDH et une immunité de juridiction: CEDH, 29 juin 2011, Sabeh El Leil c. France, Req n° 34869/05 ; Disponible sur le site de la cour en version française.

61 L’égal accès à la justice ne doit pas devenir un privilège.

62 DAVID (R.), Théorie et réalité dans l'application du droit. Une enquête internationale sur l'accès à la justice, RID comp. 1979 p. 617. 63 FRISON-ROCHE (M.-A.), La procédure et l’effectivité des droits substantiels, in D’AMBRA (D.), BENOIT-ROHMER (F.) et GREWE (C.) (Dir.), Procédure(s) et effectivité des droits, Droit et justice coll. Dirigée par P. Lambert n° 49, actes du colloque des 31 mai et 1 juin 2002 organisé à la faculté de droit de Strasbourg par l’institut de recherche Carré de Malberg (IRCM) et l’équipe droits de l’Homme du groupe de recherche sur les identités et les constructions européennes (GRICE), Bruyant, p. 2 n° 49.

64 En effet, au titre de l’article 12 alinéa 1 du Code de procédure civile, « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ». Cumulé avec l’article 4 du Code civil, lorsque le juge refuse de statuer sur la prétention soumise, il entre en contradiction avec la définition même de son office. De cette obligation de statuer du juge, le droit d’action en justice acquiert son effectivité. La volonté de se soumettre à l’arbitrage international ne signifie pas une volonté de se soustraire à toute protection juridictionnelle. V. CA Paris, 25 avril 1986, Gaz. Pal. 1987, 2, p. 800.

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comme une prérogative accordée à tout sujet de droit, soit, dans la conception objective, comme un ensemble de règles relatives aux conditions de recevabilité des prétentions. Nous rejoignons l’analyse de Madame M.-A. Frison-Roche et W. Baranès selon laquelle l’action existe en soi et représente pour chacun le droit fondamental d’agir en justice, son but étant l’obtention d’un jugement au fond et partant, ce droit implique d’avoir un tribunal qui écoutera sa prétention. Sans accès au tribunal, le droit d’action n’aurait aucun sens et ne saurait être considéré comme effectif. Il traduit en fin de compte le droit que chaque individu possède d’invoquer le droit. Le droit d’action, loin de se limiter à des questions de recevabilité de la demande en justice, désigne le droit d’accès à la justice, le droit à une décision tranchant un litige. Dès lors, une décision se restreignant à une question de compétence ne saurait être suffisante à garantir ce droit.

Section 2 : Nécessité politique et juridique d’assurer un droit d’accès général à la justice 72. La nécessité de faire respecter le droit est envisagée comme le corollaire d’un État démocratique. Le droit est apprécié au regard de ses fins : le droit doit pouvoir être effectif donc appliqué. L’imperium ou le pouvoir de contrainte devrait dans cette conception être le critère de juridicité du droit. Un droit ne pouvant faire l’objet d’une contrainte étatique pour en assurer son exécution n’est pas effectif. Si le droit n’est pas un droit de valeur, en tant qu’instrument d’organisation politique, il évolue avec la société qu’il régit en intégrant certaines valeurs fondamentales de celle-ci. Afin d’assurer la « prééminence du droit », le droit au juge demeure son nécessaire corollaire de l’état de droit. L’état de droit est une nécessité de l’État démocratique moderne. Sans prééminence du droit, il n’y a plus de Constitution.

Somme toute, le premier critère du droit reste son effectivité et sa possibilité de sanction par l’autorité étatique qui l’a établi ou le reconnaît. Sans effectivité, le droit ne serait que lettre morte et n’aurait dès lors aucune utilité sociale. Dans ce cadre, le juge est donc, sinon le critère du droit, une nécessité de réalisation du droit. Les justices arbitrale et étatique sont complémentaires mais seul l’État reste débiteur de la dette de justice envers le citoyen. L’effectivité de la justice, tant arbitrale qu’étatique, doit être absolument préservée, il s’agit d’une nécessité politique (§1) rendant générale la prohibition du déni de justice (2§).

§1- Justice effective : condition de la démocratie et de l’état de droit

73. Dans son cadre institutionnel, la justice est conçue comme un attribut de la souveraineté65. Dès lors, faire régner la justice est une exigence qui relève du pouvoir

politique66. De nos jours, la justice est considérée comme une composante essentielle de l’État

démocratique (B) dans la mesure où elle constitue la garantie fondamentale de l’état de droit (A), elle est une autorité, un pouvoir. Chaque justiciable est donc en droit de revendiquer son application, la convention d’arbitrage ne pouvant s’analyser en une renonciation au droit au juge.

65 Ainsi, Saint Louis rendait la justice sous son chêne.

66 Historiquement, la justice a été un adjectif, « ce qui est juste », puis un substantif « le juste », avant de devenir un concept. Elle est une création de la société, science du juste et de l’injuste. La justice se définit alors par ses fins, dès lors, la voie importe peu : elle peut être étatisée ou contractualisée. Puis, avec l’évolution de l’État, elle devient représentative et exemplaire, rendue au nom du souverain. Le droit et la justice s’étatisent et perdent leur composante contractuelle.

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