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Portalis : « la justice est la première dette de la souveraineté… c’est pour garantir cette dette sacrée que les tribunaux sont établis »1.

32. Le droit français est empreint de l’idée que le procès est un mal, transformant le droit en droit en guerre, expression pour le moins péjorative. Or, comme le relève un auteur, « associer la procédure à la guerre, c’est nécessairement concevoir le procès comme un phénomène exceptionnel, voire pathologique, alors qu’on pourrait avoir une conception plus ordinaire du procès, conduisant notamment à aborder la question du contentieux de masse non pas comme une plaie mais sous le mode premier et normal de la satisfaction juridique »2.

L’action peut se définir comme le pouvoir reconnu aux justiciables de s’adresser à la justice pour assurer la protection de leurs droits et intérêts légitimes. Elle « sert à déterminer si une situation est susceptible d’être l’objet d’un procès et par qui et contre qui celui-ci peut être engagé. Ainsi, l’action naît d’une situation au profit d’une personne contre une autre »3.

Cette notion, à la jonction entre le droit et la procédure, est souvent assimilée soit au droit au fond, soit à la demande. En droit français, l’article 30 du Code de procédure civile, reprenant les enseignements de H. Motulsky, définit l’action en justice comme le « droit pour l’auteur d’une prétention d’être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée ».

La notion d’action en justice a donné lieu à de nombreuses controverses du fait de son importance. En France, une doctrine abondante, relayée par la jurisprudence, tend à considérer les droits procéduraux fondamentaux uniquement lorsque sont mis en cause des droits subjectifs fondamentaux, ce qui aboutirait à une légalité des droits en fonction de leur valeur présumée. Mais, si la notion d’action est centrée sur le procès, celle de droit au juge montre le lien existant entre la procédure et l’effectivité des droits. Ainsi, l’article 4 du Code civil lie le déni de justice au juge4. Il en va de l’ordre de la société, le juge doit rendre justice.

C’est une nécessité pour éviter le recours à « la justice privée, funeste aux faibles, […] négation de la justice, désordre juridique »5, « il faut entendre par déni de justice […] tout

manquement de l’État à son devoir juridictionnel »6. En effet, la nécessité pour l’État

d’assurer à tout citoyen un accès au juge découle des exigences de l’état de droit.

Le droit ne doit pas devenir un instrument théorique détaché de ses fins sociales, c’est pourquoi le droit au juge se doit d’être effectif. Cette conception concrète implique d’assurer l’accès au juge y compris aux plus démunis et d’admettre que les obstacles matériels doivent être levés. Justice arbitrale et justice étatique ont une histoire commune : la reddition de la justice. La primauté de l’une sur l’autre dépend étroitement de l’organisation politique dans laquelle elles s’insèrent. L’arbitrage est devenu un instrument nécessaire au commerce

1 FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Titre préliminaire, De la publication, des effets et de l’application des lois en général, présentation au corps législatif, exposé des motifs par le conseiller d’État Portalis, 23 frimaire an X- 14 décembre 1801, t. VI p. 268 à 270.

2 FRISON-ROCHE (M.-A.), La procédure et l’effectivité des droits substantiels, in D’AMBRA (D.), BENOIT-ROHMER (F.) et GREWE (C.) (Dir.), Procédure(s) et effectivité des droits, Droit et justice coll. Dirigée par P. Lambert n° 49, actes du colloque des 31 mai et 1 juin 2002 organisé à la faculté de droit de Strasbourg par l’institut de recherche Carré de Malberg (IRCM) et l’équipe droits de l’homme du groupe de recherche sur les identités et les constructions européennes (GRICE), Bruyant p. 2 n° 4.

3 WIEDERKEHR (G.), Action en justice, in CADIET (L.) (Dir.), Dictionnaire de la Justice, PUF p. 6.

4 La responsabilité du juge en cas de déni de justice formel de l’article 4 du Code civil est reprise par l’article 434-7-1 du Code pénal. L’article 4 consacre la jurisprudence en tant que source de droit. Le juge doit répondre aux insuffisances de la loi, il s’agit d’une obligation à sa charge.

5 CORNU, FOYER (J.), Procédure civile, Thémis, droit privé, 3 ème éd. 1996 p. 90. 6 TGI Paris, 5 novembre 1997, D. 1998.9, note Frison-Roche.

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international et entretient des rapports complémentaires avec la justice étatique qui l’institue et le reconnaît. Néanmoins, si arbitrage et justice étatique poursuivent une fin commune, la justice, celle-ci est pour l’État à la fois un devoir et une prérogative. L’insertion d’une convention d’arbitrage, au sein d’un rapport contractuel consenti, ne saurait ôter à l’État toute responsabilité.

La volonté d’avoir recours à l’arbitrage doit-elle s’analyser comme une renonciation à la garantie fondamentale du droit au juge ? Assurément pas. La volonté d’avoir recours à l’arbitrage n’étant à aucun moment une renonciation au droit au juge, le droit d’action des parties doit être préservé. En effet, le droit d’action en justice est la contrepartie de l’interdiction de se faire justice soi-même. Lorsqu’il est légalement requis, le juge a le devoir de se prononcer. Dans la conception classique du déni de justice, le fautif est donc le juge qui s’est abstenu et l’article 4 du Code civil envisage ainsi le déni de justice sous l’angle du juge refusant de trancher au prétexte d’obscurité ou d’insuffisance de la loi. Pointant la culpabilité du juge, il dispose que « le juge qui refusera de juger […] pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice »7.

33. Une législation qui contredirait ce droit fondamental d’accéder à la justice devrait être écartée par le juge sous peine de commettre un déni de justice. Traditionnellement, on distingue le droit d’accès, qui serait satisfait tant qu’on ne refuse pas expressément à une personne l’accès à une juridiction, et les problèmes d’organisation juridictionnelle. Cependant, si assurer l’efficacité du service public de la justice est nécessaire, cette condition n’est pas suffisante. On peut concevoir une situation de déni de justice dans une hypothèse où le juge n’est pas dans l’obligation légale de statuer, voire dans l’obligation de se dessaisir. Tel serait le cas en application de l’effet négatif du principe de compétence-compétence. Ainsi, selon le Conseil Constitutionnel8, dans l’hypothèse où l’on admet la reconnaissance d’un droit

non assorti d’un recours effectif devant le juge, la garantie des droits n’est plus assurée et, en application de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens de 1789, il n’y a plus de Constitution. Dès lors, le principe de compétence-compétence nécessite d’approfondir la compréhension du droit d’action pour vérifier si la conception française de son effet négatif n’est pas contraire au droit d’accès à la justice, norme qui lui est éminemment supérieure.

Dans ce contexte, l’action en justice est une notion fondamentale. En effet, traçant la limite du juridique et du non juridique, elle est la mesure de l’obligation positive mise à la charge de l’État. Le juge, arbitral ou étatique, doit trancher le litige au fond. Une simple décision relative à la compétence ne saurait dès lors suffire, a fortiori lorsqu’elle est prise prima facie. « L’empire contemporain du droit ne doit pas faire oublier que le droit est ordonné à la justice, qu’il n’est qu’un des moyens pour y parvenir et qu’il faut donc se défier d’un culte trop absolu du droit pour le droit. Le procès n’a de signification qu’à travers le jugement qui en marque le terme. […] juger consiste à rendre la justice en disant le droit, et non pas à dire le droit en rendant la justice »9. La justice est conçue comme une condition de

la démocratie et de l’état de droit10. La justice est une fonction pouvant revêtir différentes

formes. Si elle n’est pas un monopole étatique, elle n’en reste pas moins de la responsabilité de l’État, comme liée à l’effectivité de l’état de droit. En effet, c’est à l’État qu’il revient, en

7 Le refus de statuer (déni formel) et le mal jugé (déni matériel) doivent être rapprochés. À ce titre, les deux sont admis en droit international et engagent la responsabilité de l’État. C'est lui qui est débiteur de ce droit à la justice. Sa responsabilité est mise en cause : le déni de justice vise en effet un dysfonctionnement du service public de la justice, un manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle. 8 Cons. Const., 9 avril 1996, 96-373 DC, Polynésie française, JO 13 avr., p. 5724, Justices 1997/5.247 obs. Drago; AJDA 1996 p. 371 note O. Scharmek et Molfessis.

9 CADIET (L.), NORMAND (J.), AMRANI MEKKI (S.), Théorie générale du Procès, Thémis droit PUF, 1 éd. 2010 p. 4-5.

10 C’est ainsi que, l’une comme l’autre et magistrat et arbitre doivent rendre la justice conformément à leur mission et peuvent se voir reprocher le déni de justice. En cas de contrat d’arbitrage, le déni de justice prend un visage particulier pour devenir le déni d’une justice, étatique ou arbitrale, voire de justice quand le justiciable se voit refuser l’accès de part et d’autre.

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dernier lieu, d’assurer l’effectivité de la justice, et qui verra sa responsabilité engagée en cas de déni de justice.

Dès lors, l’insertion dans un rapport contractuel d’un contrat d’arbitrage ne saurait exonérer l’État de sa responsabilité au titre du déni de justice tant interne qu’international, et ce, peu importe l’affirmation plus ou moins avérée du caractère délocalisé de l’arbitrage international.

34. Il convient d’étudier le droit d’accéder à la justice à travers la notion de droit d’action (Section 1). Le lien entre le droit d’accéder à la justice et l’État démocratique et l’état de droit impose de reconnaître un caractère général à l’accès à la justice (Section 2).

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