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Chapitre II : Abstractivité et critique des nominalismes

1. L’abstractivité des cas particuliers

En prenant maintenant du recul sur le chapitre I, nous allons nous apercevoir que le réalisme des propriétés, en particulier dans sa version favorable aux universaux, encourt un risque systématique

de régression vicieuse (section 1.1.), mais qu’il existe un geste, d’origine nominaliste, qui permet de bloquer cette régression. En particulier, nous verrons en quoi les tropes, comme particuliers abstraits, ont les ressources pour nous l’éviter, et appartenir à une même classe de tropes en vertu seulement de ce qu’ils sont et sans avoir à postuler un matériel ontologique supplémentaire (section 1.2.). Enfin, nous montrerons que cette vertu des tropes tient à leur abstractivité plus qu’à leur ressemblance exacte (section 1.3.).

1.1.Réalisme et régression.

Replongeons-nous dans le problème des propriétés. Soit une sémantique dans laquelle les particuliers a, b, c entrent dans l’extension du prédicat F, qui s’y applique donc véridiquement. Mais sur quoi, dans ce que sont ces particuliers, se fonde leur appartenance commune à cette extension ? La réponse nominaliste à cette question est déflationniste, au sens où elle est un refus d’entrer dans l’analyse ontologique. La vérité de l’énoncé « a est F » est fondée sur le seul fait que a soit F, selon le schéma familier de la vérité-déflation :

L’énoncé « a est F » est vrai ⬄ (si et seulement si) a est F26.

Le particulier concret (l’individu) a, qui sert de vérifacteur à l’attribution, ne s’analyse pas. Il est un « blob sans structure » (Armstrong, 1980), qui n’est pas composé d’un particulier fin et de propriétés (tropes ou universaux). Ensuite, si divers particuliers, a, b, c, etc., sont tels qu’on peut dire d’eux tous, véridiquement, qu’ils sont F, c’est seulement en vertu de ce qu’ils sont :

Les énoncés « a est F », « b est F », « c est F », sont vrais ⬄ (si et seulement si) a, b, c, sont

tous F.

Le nominaliste refuse d’entrer dans l’analyse ontologique des vérifacteurs de ces divers énoncés qui attribuent le même prédicat à des particuliers différents. Ces énoncés sont vrais des particuliers a, b et c en vertu seulement de ce que sont ces particuliers, à savoir, F.

Mais, lui répondra-t-on, le fait qu’ils soient tous F n’indique-t-il pas qu’ils partagent quelque chose, qu’ils ont quelque chose en commun, qui serait le fondement de cette appartenance à une même extension ? Non, répond le nominaliste, le fait qu’ils soient tous F n’est que leur ressemblance. Un réaliste comme Armstrong pense qu’il faut analyser et fonder ontologiquement les faits de ressemblance objective ; un nominaliste pense qu’il s’agit d’un fait primitif et qu’au fond, dire qu’ils se ressemblent

revient, peu ou prou, à les classer dans l’extension du même prédicat. Nous ne discutons pas pour l’instant la réponse nominaliste à cette exigence de réalisation d’une sémantique, et nous préciserons plus loin le rapport entre nominalisme et ressemblance.

Le réaliste des propriétés, en revanche, part du principe qu’il est besoin de fonder ces faits de ressemblance. Il pense en effet que quelque chose, dans les particuliers a, b, c, fondent leur appartenance commune à l’extension du prédicat F. Selon lui, il faut rendre compte de leur ressemblance par une analyse de la structure ontologique des particuliers. Quelque chose, dans chacun, fonde la vérité de l’attribution de F, et en tous, rend compte de leur ressemblance et donc de leur communauté d’extension. Ce quelque chose, nous l’avons appelé en suivant la littérature la plus générale : une propriété (réelle). Face au nominalisme, le réaliste a donc deux réflexes conjoints, qui sont deux faces de la même exigence de fondation ontologique : (1) l’appartenance commune de divers particuliers à l’extension d’un même prédicat se fonde sur quelque chose de commun entre eux, et (2) un fait de ressemblance entre eux ne suffit pas à rendre compte de cette communauté, car il doit à son tour être expliqué. Le postulat d’une propriété réelle partagée entre tous est censé satisfaire cette exigence de fondation.

Toutefois, la libération de ces réflexes réalistes peut conduire tout droit à un emballement difficilement contrôlable, et au genre d’inflation et de régression ontologiques examiné plus haut. Il faut se rappeler du problème qui a été fatal à la tentative armstrongienne de résoudre le problème des propriétés génériques. Elle consistait à identifier les vérifacteurs de l’attribution du même prédicat F aux particuliers a, b, c, etc., aux états de choses F(a), F(b), F(c), etc., formés par l’instanciation de l’universel F dans ces divers particuliers. Ces états de choses étaient, pour Armstrong, des entités particulières irréductibles aux particuliers fins a, b, c, etc. Cette « victoire de la particularité » satisfaisait notre condition de particularité. Mais il restait alors à satisfaire la condition de généricité, et rendre compte du fait que le même prédicat est attribué à ces divers particuliers.

Il avait alors fallu expliquer ce qu’il y avait de commun à F(a), F(b), F(c), etc. : d’être « des instances particulières de F ». Mais cela revenait à postuler un nouvel universel IF : « être instance de F ». Alors, de deux choses l’une : soit l’instanciation de IF supposait la formation d’une nouvelle couche d’authentiques états de choses, en plus de F(a), F(b), F(c), etc., et alors nous entrions dans un régression vicieuse ; soit, au contraire, IF était « automatiquement » le cas dans F(a), F(b), F(c) : ces états de choses étaient des « instances particulières de F » en vertu seulement de ce qu’ils étaient, à savoir des instanciations de F dans divers particuliers donnés, a, b, c, etc. Mais pour cela, il fallait que les états de choses F(a), F(b), F(c), etc. soient considérés comme des aspects abstraits des particuliers a, b, c, etc., et non tels qu’Armstrong les définit lui-même, à savoir comme des particuliers épais et concrets. Autrement dit, il fallait les considérer comme des tropes.

Ainsi, l’exigence de fondation ontologique doit savoir se satisfaire d’un certain niveau de réponse, sans quoi se trouve enclenché l’engrenage d’une régression vicieuse. Et le piège que nous tendions à la solution d’Armstrong nous suggérait fortement que le blocage tant désiré de la régression

se trouvait dans ce caractère abstrait, dont jouissaient les tropes. Nous allons examiner de plus près comment ce caractère abstrait des tropes, que nous désignerons comme « abstractivité », permet de bloquer la régression réaliste. Or, de manière frappante, nous allons nous apercevoir que le coup d’arrêt à l’analyse ontologique reproduit au niveau des tropes le geste déflationniste que le nominaliste faisait au niveau des particuliers concrets.

1.2.Le blocage de la régression réaliste.

Examinons de plus près la raison pour laquelle le caractère abstrait des tropes est un vaccin efficace contre le virus de la régression vicieuse dans l’instanciation. Cette régression menace toute stratégie qui entend rendre compte de l’applicabilité d’un même prédicat à une pluralité de particuliers par la possession, par eux, d’une propriété unique et identique en chacun d’eux.

Selon la théorie des tropes, c’est une occurrence particulière de propriété qui est le vérifacteur de l’attribution de F. Et si le même prédicat F est attribuable véridiquement à divers particuliers, c’est que sont présents en eux des tropes exactement ressemblants, qui les font entrer dans une classe de ressemblance. Le partisan des tropes ajoute qu’il n’est pas besoin de poursuivre l’analyse : à ce niveau, nous n’aurions plus à rendre compte de la ressemblance entre les tropes, ni de leur commune appartenance à une classe déterminée d’abstracta. Autrement dit, on voit le réaliste des tropes opérer le même geste déflationniste pour couper dans son élan l’analyse ontologique, stoppée nette par une violente cautérisation nominaliste. C’est certainement ce geste qui vaut à la théorie des tropes, qui est pourtant un réalisme des propriétés, le nom de nominalisme « modéré » (Hochberg, 1988), en ce qu’il admettrait l’existence de « propriétés », mais en un sens compatible avec l’intuition revendiquée par le nominalisme : « il n’existe que des particuliers ». Examinons plus en détail ce coup d’arrêt.

Le partisan des tropes ne pense pas, comme le nominaliste que le fondement de la vérité de l’énoncé « Cette table est blanche » est la totalité de ce qu’est cette table. En tant que réaliste, il pense que c’est sa blancheur qui est le vérifacteur de cet énoncé. Mais c’est dans son analyse ontologique de ce en quoi consiste « sa blancheur » qu’il se démarque du tenant des universaux. Ce qui fait entrer cette table dans la classe des choses blanches (extension du prédicat « blanc »), c’est le fait qu’elle possède une occurrence de propriété, un trope particulier de blancheur. Or cette blancheur particulière est membre « de droit » d’une classe naturelle : la classe des caractères abstraits de blancheur, des tropes blancs. Si l’appartenance de toutes les choses concrètes blanches à une même classe de ressemblance, qui est l’extension du prédicat « blanc », doit être fondée ontologiquement sur une analyse de la ressemblance de ces choses et de leur possession commune d’une « propriété de blancheur » – ce qu’admet et fait la théorie des tropes, cette exigence d’analyse n’est pas reproduite au niveau des tropes eux-mêmes. Les tropes de blancheur semblent former une classe de particuliers (abstraits) en vertu seulement de ce qu’ils sont. Lisons Stout :

Cette approche présuppose nécessairement qu’une classe de caractères [les tropes] n’est pas constituée, ultimement, de la même façon qu’une classe de choses. Si une chose appartient à une certaine classe, c’est seulement parce qu’un caractère d’une certaine sorte est prédicable d’elle. Mais nous ne pouvons pas, sans évoluer dans un cercle vicieux, poursuivre l’analyse et dire que les caractères eux-mêmes ne peuvent appartenir à des classes ou des sortes que parce que d’autres sortes de caractères sont prédicables d’eux. Par conséquent, voici ce que je soutiens : les qualités et relations n’appartiennent à des classes ou des sortes qu’en raison des qualités et relations qu’elles sont. Les caractères, comme tels, sont instances d’universaux27 […]. La connexion entre être un caractère prédicable et être l’instance d’une sorte de caractères est tellement immédiate et fondamentale que, la plupart du temps, il n’est ni nécessaire ni utile de faire cette distinction dans la pensée courante, ou de l’exprimer dans le langage ordinaire. (Stout, 1923, p. 116; Stout, 1923)

On voit ici apparaître le coup d’arrêt nominaliste, mais cette fois au niveau des tropes. Un trope de blanc présent dans une chose concrète fonde l’appartenance de cette chose à l’extension du prédicat « blanc », parce qu’il appartient lui-même à la classe des tropes de blanc. Mais sur quoi se fonde cette seconde appartenance ? Simplement sur le particulier (abstrait) qu’il est. Les caractères de blanc n’ont en commun que le fait d’appartenir à cette sorte de caractères, les tropes de blanc, c'est-à-dire d’être des instances de cette classe. On voit du même coup se séparer deux sens du terme « instance », comme le signale Williams dans une très importante remarque :

Deux sens d’« instance » émergent : le sens auquel Socrate est une « instance » (concrète) de la Sagesse, et celui auquel sa sagesse est une « instance » abstraite de la même Sagesse ; ainsi que deux notions de classe : la classe ordinaire des concreta, qui consiste en Socrate, Platon, et toutes les autres créatures complètes et sages, et la classe des abstracta qui contient leurs sagesses, notre ensemble de similarité. (Williams, 1953, p. 12)

Dans les deux sens d’instance, ce qui est instancié est « la Sagesse », qui correspond chez nos partisans des tropes à une classe de caractères abstraits, et non, évidemment, à un universel comme chez Armstrong. Le premier sens d’instance correspond à l’individu concret comme sujet d’attribution. Socrate est instance de la Sagesse au sens où c’est encore de lui qu’on affirme qu’il est sage. Williams, à la suite de Stout, propose ainsi une analyse de la prédication : lorsqu’on attribue « la Sagesse » à Socrate, en disant de lui qu’« il est sage », ce qu’on dit en réalité c’est qu’il possède en lui un trope particulier de sagesse. Mais nous ne voulons pas entrer plus loin dans l’analyse de la prédication, car ce

27 Pour Stout, un « universel » n’est pas du tout une propriété répétable, qui est entièrement une et identique à travers une multiplicité d’instances, selon la définition courante du terme, mais n’est rien d’autre qu’une classe de caractères abstraits. Être instances d’un universel ne signifie donc rien d’autre qu’être membres d’une classe ou sorte de caractères liées fondamentalement par une unité toute spéciale, qu’il appelle « unité distributive ».

qui nous intéresse surtout, c’est l’analyse du fondement de sa vérité générique : pourquoi c’est le même prédicat qu’on attribue véridiquement à d’autres individus ?

Ce fondement se situe dans le second sens d’instance. Si ce trope particulier, présent dans Socrate, est un trope de sagesse, c’est qu’il est lui-même, comme particulier abstrait, instance de la Sagesse, c'est-à-dire membre abstrait d’une classe d’abstracta. Pour parfaitement saisir la différence entre instance concrète et instance abstraite, on doit donc préciser que la seconde fonde la première. Socrate n’est instance (concrète) de sagesse que de façon dérivée, parce qu’il possède en lui un abstracta qui est instance de sagesse.

Mais en vertu de quoi un trope est-il membre de la classe des tropes de sagesse ? Il ne l’est pas, nous disait Stout et le répète Williams, en vertu d’autre chose que de ce qu’il est. Ce trope présent dans Socrate appartient à la classe des tropes de sagesse parce qu’il est une instance de sagesse. Ce caractère de blancheur sur la surface de cette table appartient à la classe des cas de blancheur parce qu’il est un cas de blancheur. Nous tenons donc, avec le particulier abstrait, le cas de quelque chose qui est « instance de F », et donc membre d’une classe de particuliers, en vertu seulement de ce qu’il est. Comme l’écrit Campbell :

Un nominalisme judicieux, qui confère une nature particulière à chaque instance de chaque sorte, n’a besoin ni d’un paradigme, ni d’une somme, ni d’un universel, pour spécifier les conditions de vérité de « a est F ».

‘a est F’ est vrai ⬄ a contient un trope de F Et un trope de F est un trope de F si et seulement si il est F :

‘Trope t est un trope de F’ est vrai ⬄ t est un trope de F28.

On est en droit de demander, alors, au partisan des tropes (ou « nominaliste modéré »), ce qui l’autorise à faire au niveau des particuliers abstraits ce qu’il avait refusé au nominaliste orthodoxe au niveau des particuliers concrets. Pourquoi ce genre de réponse déflationniste lui convient-il, pour fonder l’appartenance d’un particulier à la classe des instances de F, maintenant que c’est d’abstracta et non de concreta que l’on parle ? Pourquoi les tropes échapperaient-ils, pour fonder leur communauté d’appartenance, à la nécessité de posséder une propriété commune ? Armstrong, par exemple, n’a pas manqué de pointer ce problème, et de reprocher au tenant des tropes de ne faire que repousser le problème qui se posait, selon lui, dès le départ au nominaliste orthodoxe.

28 (Campbell, 1990, p. 61) Nous avons surtraduit volontairement “Trope t is F” en “le trope t est une trope de F” au lieu de “le trope t est F” pour éviter de laisser entendre qu’on analysait ainsi les conditions de vérité de l’attribution de F au trope t. Évidemment, la qualité F est attribuée au concret a, et non au trope t. Mais ce dont il s’agit de comprendre les conditions de vérité, c’est de l’identification d’un trope comme trope de cette classe (celle des caractères F) plutôt que de cette autre (celle, par exemple, des caractère G), comme nous le disons plus loin.

1.3.L’abstractivité et la ressemblance analytique.

Pourtant, il y a une différence entre la réponse nominaliste-déflationniste et la réponse offerte par la théorie des tropes. Pour un nominaliste, la ressemblance entre des particuliers, dont on peut dire véridiquement qu’ils sont tous F, n’est ni un fait à analyser, ni un fait qui analyse et fonde ontologiquement leur communauté d’appartenance à l’extension d’un même prédicat. Dans la théorie des tropes, au contraire, la ressemblance (exacte) entre les tropes est supposée fonder ontologiquement leur appartenance à une même classe naturelle (d’abstracta). Il y a donc une différence cruciale d’usage de la catégorie de ressemblance : un théoricien des tropes en fait un usage analytique, au sein d’une ontologie des propriétés, dans laquelle un nominaliste refuse à première vue de s’engager. Par conséquent, se pose la question de savoir ce qui autorise le partisan des tropes à voir dans la ressemblance entre tropes une solution ontologique au problème des propriétés. Nous allons montrer que c’est le caractère abstrait – que nous appellerons l’abstractivité – des tropes qui le permet, là où le caractère concrets des individus admis par le nominaliste l’interdit.

1.3.1. La ressemblance fine n’est pas suffisante à fonder la commune appartenance.

Dans la théorie des tropes, ce qui fonde leur commune appartenance à une classe de ressemblance exacte, ce ne peut être la seule ressemblance, fût-elle exacte. Nous disons toujours que deux particuliers sont exactement ressemblants lorsqu’ils sont qualitativement identiques. Mais soient deux tropes exactement ressemblants, par exemple les couleurs v1 et v2 de deux objets qui présentent la

même nuance de vert. Admettons que v1 et v2 appartiennent à la même classe V de ces « nuances particulières de vert » simplement du fait de la relation RE de ressemblance exacte, qui surgit entre eux en vertu seulement de ce qu’ils sont :

RE(v1, v2) à v1, v2 appartiennent à V

Soient maintenant deux tropes de bleu, b1 et b2, dans deux objets présentant deux bleus exactement ressemblants. Alors, du fait de leur même ressemblance exacte, b1 et b2 appartiendraient aussi à la même classe V de ces « nuances particulières de vert », ce qui est absurde. Le résultat que l’on attendrait, au contraire, c’est qu’en vertu de cette ressemblance exacte les deux tropes appartinssent à la même classe B de « ces nuances particulières de bleu ». Il faut donc justifier que :

Évidemment, b1 et b2 ne se ressemblent exactement pas de la même façon que v1 et v2 : ils ne se ressemblent pas comme verts, mais comme bleus. Mais alors, il faudrait distinguer, pour chaque classe de tropes exactement ressemblantes, une relation de ressemblance exacte qui lui fût propre : v1 et v2

appartiennent à V parce qu’ils se ressemblent exactement en vert (REV), et b1 et b2 appartiennent à B parce qu’ils se ressemblent exactement en bleu (REB). Autrement dit, pour que des faits de ressemblance puissent fonder l’appartenance à une classe déterminée (et pas une autre), il faut cesser de concevoir la relation de ressemblance comme fine (thin), c'est-à-dire la même pour tous les aspects selon lesquels il y a ressemblance. Il faut lui donner une épaisseur (thickness), c'est-à-dire la déterminer comme ressemblance-en-bleu ou ressemblance-en-vert. Ce n’est pas parce que b1 et b2 se ressemblent qu’ils appartiennent à la même classe des tropes de cette nuance de bleu, parce que ce fait de ressemblance vaut aussi bien pour entre d’autres objets de couleurs qualitativement identiques, comme v1 et v2. Il faut qu’ils se ressemblent-en-bleu.

1.3.2. La ressemblance épaisse suppose-t-elle des universaux ?

On pourra reconnaître ici une ligne de critique de la théorie des tropes, que les tenants des universaux ont fait porter contre la relation de ressemblance, en disant qu’elle engageait implicitement des universaux. En effet, pour qu’elle soit suffisante à fonder l’appartenance commune de plusieurs particuliers à une même classe, la ressemblance (même exacte) doit être « ressemblance sous un certain aspect ». Or, comment rendre compte du fait que deux objets particuliers se ressemblent-en-bleu, plutôt qu’ils ne se ressemblent-en-vert ? Pour un tenant des universaux, on ne peut distinguer les cas de