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L’évaluation de l’intelligence

Dans le document Thèse. Docteur de l Université Paris V (Page 20-24)

1 CADRE HISTORIQUE

1.2 L’évaluation de l’intelligence

1.2.1 L’associationisme : des sensations à l’intelligence

On a longtemps pensé que l’activité conceptuelle et logique de l’homme, élaborée à partir du langage, suffisait à décrire l’intelligence, les autres comportements adaptatifs étant considérés comme relevant de conduites instinctives. Cette vision va changer à la fin du 19ème siècle avec, en Angleterre, Galton qui propose des techniques précises permettant des observations quantifiables de ce qu’il conçoit être le matériau de base de l’intelligence. Il postule en effet que les différences interindividuelles dans le domaine de l’intelligence sont retrouvées dans la variabilité d’efficience observée sur un certain nombre de traitements élémentaires (perception sensorielle, motricité, proprioception…). Son champ d’investigation ne couvrait alors pas les processus mentaux supérieurs et il s’attache à mesurer des éléments psychophysiques qu’il considère comme autant de « particules élémentaires » de l’intelligence (Lautrey, 1996). Par association, si le matériau de base à partir duquel des conduites plus complexes sont élaborées est de bonne facture, ces dernières ont d’autant plus de chances de l’être aussi. Son idée sera reprise par Cattell qui, après lui avoir rendu visite en

1888, développera sa propre batterie de tests psychophysiques, les « Mental Tests ». Encore une fois, il s’agit d’évaluer l’efficience des sujets sur des traitements de bas niveau comme la vitesse de mouvement du bras. Il cherchera à valider cet outil auprès d’étudiants à l’Université de Colombia mais se heurtera à un échec, la corrélation entre les performances aux « Mental Tests » et des critères de réussite universitaire étant quasiment nulle. Malgré tout, ces tentatives pour mesurer l’intelligence correspondent aux premiers pas de la psychométrie. En dépit de l’échec rencontré par Cattell, ces idées ne seront pas totalement abandonnées, et un siècle plus tard, les théories cognitivistes basées sur le traitement de l’information donneront lieu à des travaux qui reprendront l’hypothèse selon laquelle la résolution d’une tâche complexe requiert l’exécution de processus cognitifs élémentaires un grand nombre de fois (Hunt, 1985). Les petites différences interindividuelles retrouvées dans leur vitesse d’exécution seraient donc amplifiées dans la répétition, à tel point qu’elles en deviendraient des différences stables, susceptibles en moyenne d’influencer les performances dans la résolution d’une tâche complexe.

1.2.2 L’échelle Binet-Simon : une conception globale de l’intelligence

Au début du siècle, Alfred Binet avait déjà pris conscience du caractère subjectif des diagnostics portés par les psychiatres à l’issue de l’évaluation des capacités intellectuelles des patients. Il déplorait notamment l’absence de définitions objectives communes des termes employés pour désigner les degrés d’arriération mentale. Loin de partager le point de vue associationiste de Galton et Cattell, Binet pensait au contraire que l’intelligence devait être appréhendée à travers un ensemble de processus complexes, liés à des capacités en mémoire, raisonnement, imagerie mentale ou jugement. Il a donc, dans un premier temps, fait passer des tâches mettant en jeu ces capacités auprès d’enfants retardés et normaux, avec l’aide de Théodore Simon. Ils ont observé que ces petites épreuves étaient susceptibles de discriminer les deux groupes, et ont élaboré un outil composé des items les plus sensibles.

Une bonne occasion de le valider est venue d’une demande du Ministère de l'Instruction Publique pour résoudre un problème de pédagogie lié à l'instauration de la scolarité obligatoire en France. Il s’agissait pour eux de mettre au point un outil susceptible d’évaluer les capacités intellectuelles des enfants afin de déterminer leur aptitude à suivre le programme d’enseignement normal, et, le cas échéant, les diriger vers un enseignement mieux adapté. Ils ont observé que leur outil occasionnait une variabilité interindividuelle non

négligeable au sein de populations d’enfants normaux plus jeunes. De plus, la réussite à certains items semble caractériser certaines tranches d’âge. La notion d’âge mental est alors apparue : à un âge donné, un enfant est capable d’accomplir certaines tâches, si il y échoue, il est en retard. On imagine aisément les perspectives de cette démarche : cette fois-ci, l’intelligence est appréhendée dans son développement, et on peut parler de niveau de développement intellectuel. Binet et Simon ont donc mis au point une deuxième échelle métrique qui évalue certaines capacités des enfants. Elle se composait de tâches représentatives de l’ensemble des tâches que peut maîtriser un enfant à un âge donné, avec l’hypothèse qu’elles font largement appel à ce qu’on entend par l’intelligence. On parle alors de conception globale de l’intelligence en supposant que celle-ci est globalement impliquée dans des situations très variées. Cela dit, les épreuves qu’on trouve dans ce test sont très proches d’exercices scolaires, l’école étant, pour Binet, le point de départ du développement des capacités cognitives.

Ainsi le test de Binet-Simon balaye un grand nombre de processus cognitifs et les intègre dans un score global. L’originalité de cette approche réside dans le fait qu’elle découle d’une conception athéorique de l’intelligence. Il s’agit d’évaluer l’efficience mentale dans plusieurs situations, sans pour autant se prononcer sur son origine ou sa structure. Mais l’échantillonnage des items a permis l’élaboration d’un outil pratique présentant des qualités psychométriques acceptables. Le principe de construction est le suivant : pour être retenu comme représentatif d’un âge mental de 5 ans, un item devra être échoué par la plupart des enfants de 4ans, fréquemment réussi par les enfants de 6 ans, et avoir un taux de réussite de l’ordre de 50% auprès d’enfants de 5 ans (Huteau et Lautrey, 1997). Stern, proposera en 1920 de calculer le ratio entre l’âge mental évalué à l’aide du test de Binet-Simon, nom donné à cette échelle métrique de l’intelligence, et l’âge biologique des sujets. On obtient un indice correspondant à une estimation de la vitesse du développement intellectuel. Stern le multiplie par 100 par confort d’utilisation et appellera ce nouveau score « Quotient Intellectuel », ou QI. Un QI inférieur à 100 correspond à un retard par rapport à ce que peuvent faire les enfants d’un âge donné, un QI supérieur à 100 indique une avance, et un QI proche de 100, un développement normal. Le Binet-Simon connaîtra un succès immédiat auprès des psychologues américains qui utilisent une adaptation mise au point par Terman à l’université de Stanford, le « Stanford-Binet ». Ce test sera régulièrement révisé et il est encore utilisé de nos jours aux Etats-Unis. En France, en revanche, la version originale ne suscitera pas le même engouement de la part des praticiens. Il faudra attendre plus d’un demi-siècle avant que

René Zazzo ne publie, en 1966, une version révisée du Binet-Simon, sous le nom de

« Nouvelle Echelle Métrique de l’Intelligence » (Zazzo, Gilly, et Verba-Rad, 1966).

1.2.3 Les QI-Wechsler

L’approche de Binet sera reprise en 1948 par David Wechsler, psychologue dans l’hôpital psychiatrique de Bellevue à New York, qui abandonnera la notion d’âge mental au profit d’étalonnages permettant de situer un sujet dans sa population d’origine. L’approche de Wechsler est, elle aussi, globale et répond à des besoins pratiques. Il pensait comme Binet que l’intelligence fait appel à des traitements cognitifs de haut niveau. C’est le bon fonctionnement de ces traitements spécifiques et leur mise en oeuvre harmonieuse qui permet l’adaptation à l’environnement. Il voulait évaluer les facultés intellectuelles de patients adultes afin d’affiner le diagnostique clinique, ou suivre l’évolution d’une pathologie. Dans cette optique, le Stanford-Binet ne lui semblait pas satisfaisant pour trois raisons : d’abord, les items étaient destinés à des enfants et certains d’entre eux étaient moins pertinents pour les l’évaluation de sujets adultes. Ensuite, ils faisaient essentiellement appel à la compréhension verbale. Wechsler a souhaité introduire des items qui réduisent au maximum le rôle de cette composante, aussi bien dans la consigne que dans les modalités de réponses. Enfin, la notion d’âge mental n’a plus de sens chez les adultes et ne reflète pas la variabilité intra individuelle observée pendant cette période de la vie. Il mettra ainsi au point la première batterie d’intelligence pour adulte, appelée WAIS pour « Wechsler Adult Intelligence Scale », dont les versions révisées sont encore aujourd’hui largement utilisées par les praticiens3. Wechsler affine la conception globale de Binet en distinguant au moins deux grandes formes de manifestation de l’intelligence, ce qui donne lieu au calcul de deux QI : un QI verbal et un QI performance, qui ont autant d’importance dans le calcul du QI global. Le premier fait appel au langage, et le deuxième utilise un matériel abstrait. Son idée consiste à mettre à profit la variabilité interindividuelle observée au travers des items choisis en établissant un étalonnage qui permet de situer les performances d’un sujet parmi celles d’un échantillon de même sexe représentatif de sa tranche d’âge. Pour chaque tranche d’âge, on transforme les scores bruts de manière à obtenir une distribution statistiquement normale. Leur somme permet d’obtenir un QI dont la moyenne a été fixée à 100 pour un écart-type de 15 points. Ainsi, dire qu’un

3 Notons qu’il existe une version pour les enfants, la WISC (Wechsler Intelligence Scales for Children) dont la dernière version récente ne reprend pas cette dichotomie entre echelles « Verbales » et « Performances ».

individu à un QI de 100 revient à dire que 50% de sa population de référence à un QI supérieur, et 50% un QI inférieur. Si à l’issue d’une évaluation par ces échelles d’intelligence on s’aperçoit qu’un enfant obtient un QI global de 130, cela signifie que seulement 2,3% des enfants de même âge et de même sexe ont un QI global plus élevé que lui. Les QI-Wechsler, comme il conviendrait d’appeler les scores calculés à partir des performances obtenues sur les échelles de Wechsler, n’ont donc plus rien à voir avec une vitesse de développement, même si le terme générique de QI a été conservé.

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