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II. 4 Les distinctions entre émotion et affect chez Rimé

II.4.1 L’émotion sur la toile de fond des affects

A partir des travaux de Scherer, une autre ligne peut être suivie : celle tracée par Rimé. Celui- ci propose une distinction entre affect et émotion. Pour lui (2005), les affects sont une toile de fond, les formes incipientes de l’émotion, des émotions potentielles. Les écarts entre ce qu’un sujet veut et ce qu’il obtient tout au long de son action vont être accompagnés d’affects et c’est seulement lors de rupture (échec, obstacle, réussite) que l’émotion apparaitra. L’affect accompagne l’action, accompagne l’évaluation cognitive de celle-ci de manière permanente et subtile. Les affects sont vus comme de véritables « guides invisibles qui jalonnent les routes du milieu » (p.83) qui donnent une coloration (positive ou négative) aux chemins possibles, aux voies possibles d’action. L’émotion n’apparaît que lorsque les ressources nécessaires pour répondre à la variation sont absentes, l’émotion alors va « rediriger l’action » (ibid., p.75) en prenant le relais des structures toutes prêtes, si besoin en assurant une réorganisation cognitive.

Le sentiment n’est pas conceptualisé en tant que tel par Rimé. Il évoque le sentiment de maîtrise relative des situations que l’on traverse, un sentiment éprouvé en temps ordinaire, il précise « ce sens de l’opérance est une condition de l’action » (ibid., p.338). C’est justement ce sentiment que viennent altérer les expériences émotionnelles négatives ce qui a des effets telle que « la réduction temporaire de la capacité d’agir de l’individu ». En ce sens, faire quelque chose de l’épisode émotionnel vécu, s’en sortir par le haut c’est forcément restaurer ce sentiment de contrôle, de maîtrise. C’est par l’action, réussie ou non que s’élabore progressivement ce sentiment et par l’action qu’il se « restaure » : « Les sentiments de ce type sont de purs produits de l’action » (ibid.). Autrement dit les sentiments (ou sens de l’opérance) sont construits et renouvelés dans une confrontation aux émotions dans l’action. En agissant, guidé par le sentiment ordinaire de maîtrise des choses, un sujet s’expose à éprouver des émotions qui sont autant d’occasions de renouveler le sentiment.

En cela, les affects pour Rimé sont à la fois les guides invisibles de l’action tant que l’émotion ne surgit pas (c'est-à-dire tant qu’il n’y a pas rupture, décalage entre le prévu et le réalisé) et ce qui sera enrichi par la survenue de l’émotion et l’altération du sentiment qui en découle.

Rimé précise également ce qu’il se passe quand le sens de l’opérance est mis à mal : apparaissent alors des « sentiments d’insécurité, d’inopérance et d’aliénation » « sentiments qui traduisent une perte de confiance de l’individu dans sa capacité d’assurer ses transactions avec le monde » (ibid., p.356) et ce sont ces sentiments qui selon lui poussent à la communion émotionnelle, au partage social de l’émotion, qui incitent à aller puiser du côté de ressources sociales.

La thèse de Rimé est qu’il y a une forte propension au partage social des émotions et il identifie deux fonctions à celui-ci : l’une sociale (renforcer les liens) l’autre cognitive (en assurant une mise à jour des prototypes d’émotions). En aucun cas, la thèse de Rimé ne peut être assimilée à la théorie naïve des émotions, il cherche même à faire un sort à cette « théorie » de l’émotion comme un réservoir qu’il faudrait déverser avec la métaphore universelle : « la montée d’une énergie dans son propre corps et cette montée peut être telle que le réservoir se mette à bouillir » (ibid., p.221). Cette théorie trouve sa source dans l’impression que lors d’une émotion le corps est envahi par une force que l’on ne peut contenir et qui doit sortir en s’exprimant par des gestes, mimiques, paroles et de là l’idée naïve mais persistante selon laquelle il y aurait besoin d’une décharge pour rétablir un équilibre qui est là entravé. L’expression de l’émotion apparaît alors comme le meilleur moyen de ce retour à l’équilibre. Pour Rimé, s’il y a partage social de l’émotion, c'est-à-dire expression langagière adressée de l’émotion, mise en mot de celle-ci, ce n’est pas pour laisser s’échapper la « vapeur » qui va permettre le retour à l’équilibre. Il démontre même que l’expression de l’émotion n’a aucun effet sur ce qu’il nomme la « récupération émotionnelle » (ibid., p.228). Le besoin du partage social de l’émotion et sa réalisation ne valide pas l’hypothèse libératoire de l’expression. A contrario, la persistance du partage social de l’émotion dans le temps est un indicateur du fait qu’il n’y a pas de récupération émotionnelle (ibid., p.230). Le seul intérêt de méthode telle que celle de débriefing tient dans la nécessité de reconfrontation à l’expérience traumatique mais non pas pour l’exprimer afin d’en faire disparaître les effets mais pour progressivement « créer les conditions qui rendent possibles le traitement d’informations dont l’assimilation est problématique » (ibid., p.242). Il s’agit là de favoriser un traitement d’information et non pas de décharge ou libération émotionnelle, cela afin, à défaut de pouvoir intégrer ces informations nouvelles dans un schéma mental préalable, d’adapter les schémas mentaux anciens aux informations nouvelles. Ce que retient Rimé c’est l’idée que ce qui est en jeu là ce sont les significations des évènements émotionnels, « significations capables de mettre en question les modèles de soi et les modèles

des relations sociales qui sont essentiels dans l’adaptation » (ibid., p.288). En cela l’émotion n’est pas comprise comme un risque à gérer, elle est une occasion de développement pour la cognition et une occasion de développement de nos théories personnelles de la réalité (concept repris par Rimé, p.287 à Epstein, 1973 et Janoff-Bulman, 1992, 1999) ou encore de notre « univers virtuel » ou « univers représentationnel » (Cantrill, 1950, cité par Rimé, p.313).