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II.1 Le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) et la psychologie positive

II.1.1 Définition du SEP et condition de son développement

Le concept de sentiment d’efficacité a été proposé par Bandura (1997/2007). Selon lui, la vie psychologique du sujet est centrée sur la question du contrôle ainsi que l’indique le titre original de son ouvrage : « Self- efficacy. The exercice of control ». Le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) joue un rôle central dans le développement de l’aptitude au contrôle, celle- ci n’étant pas innée. Le SEP est ainsi défini : « L’efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités. » (ibid., p.12). Le sujet tel que le conçoit Bandura est un sujet qui peut imaginer différents possibles, différentes options et qui va ajuster « de façon répétée les manières d’agir à la conception guidante » (ibid., p.45), « conception guidante » qu’il définit comme un ensemble de guides cognitifs qui sont autant de guides pour l’action. Le SEP a un rôle essentiel dans ce guidage. Silencieux quand le comportement est automatisé, il revient à la conscience quand le sujet est en situation d’apprentissage ou dans une situation inhabituelle. Par exemple, un conducteur chevronné n’a plus besoin de mobiliser son sentiment d’efficacité dans la conduite automobile, par contre, un apprenti conducteur ou un conducteur en situation inhabituelle pourra à nouveau se baser sur son SEP pour choisir ses gestes. Carré (2004) précise : « l’empan de ces réactions possibles dépend de ce que Bandura appelle les “systèmes de soi” c'est-à-dire les médiations cognitives que le sujet, interprète actif des messages de son environnement et de ses propres réactions, introduit entre son comportement et l’environnement global (anticipations, attentes de résultats, fixation de buts, évaluation, etc) » (p.38). Selon Bandura, le fonctionnement cognitif est facilité par un SEP élevé. Il se développe notamment dans le rapport au but : un but distal qui n’est pas « étayé » par des sous buts de proximité peut amoindrir le SEP. Quant au sentiment d’efficacité collectif, il se construirait à raison de la prise de conscience de buts communs. Il est important de bien relever la centralité de la question du contrôle pour Bandura. L’efficacité, et le SEP, renvoient non pas tant à l’atteinte de l’objectif fixé qu’au contrôle que l’on a sur cette atteinte, c’est une capacité d’autodirection.

Ici, il faut distinguer son approche de la théorie du « locus of control ». En effet, pour Bandura, les notions d’internalité ou d’externalité n’ont pas cours, le sujet quand il développe son SEP développe son aptitude à croire qu’il peut agir efficacement, c'est-à-dire sur lui même et sur son environnement de manière indissociable, le changement étant alors conçu comme une interaction dynamique. Le fonctionnement humain n’est pas « divisé entre le fait de changer l’environnement et celui de se changer soi-même et le changement personnel n’est pas nécessairement une attitude de repli consécutive à un échec de changement social. » (ibid., pp.52-53).

Le SEP n’est pas assimilable non plus à l’estime de soi : le SEP renvoie à une évaluation de l’aptitude à faire quelque chose, de la capacité à atteindre un but alors que l’estime de soi est liée à la valeur personnelle, à une évaluation de sa valeur dans une action (exemples de situation où les deux ne sont pas corrélés : une personne mauvaise bricoleuse a un SEP en la matière faible sans que cela n’affecte son estime de soi car elle n’accorde pas de valeur au fait de savoir bricoler ; une personne peut être très efficace pour licencier en tant que DRH, son SEP est élevé mais cela peut affecter négativement son estime de soi).

Le sentiment d’efficacité personnel agit :

• sur la cognition : il favorise la production de buts, de scénarios d’action à mener ; • sur la motivation.

Le SEP influence « le niveau auquel sont placés les buts, la force de l’implication envers eux, les stratégies utilisées pour les atteindre, la quantité d’effort mobilisée … » (ibid., p.208) et encore : « une foule d’activités microsensorielles, perceptives et de traitement de l’information font émerger le SEP. Cependant, une fois formées, les croyances d’efficacité11

personnelle règlent les aspirations, les choix de comportement, la mobilisation et la poursuite de l’effort ainsi que les réactions émotionnelles. » (ibid., p14).

Le SEP agit donc sur les émotions. Bandura reprend l’exemple d’une expérience menée par Sanderson, Rapée et Barlow (1989) montrant la différence quant à l’apparition de la panique entre deux groupes d’agoraphobes à qui on fait respirer de l’air enrichi de dioxyde de carbone,

11 Signalons ici que le terme « SEP » et celui de « croyance d’efficacité » sont utilisés dans le texte français de

l’un croyant avoir une possibilité d’action sur la situation (en pouvant tourner une valve qui en fait n’agit sur rien), l’autre non. Le constat est que le groupe ayant la croyance de pouvoir agir ne panique pas (ibid., p.21). Bandura en conclue que « croire que l’on peut se débarrasser d’émotions déplaisantes, quelle qu’en soit leur source, les rend moins désagréables » (ibid., p.229). Les émotions sont alors vues comme des résidus dans le comportement sur lesquels il est possible d’agir : « La connaissance de soi basée sur l’information relative à ses compétences de coping, à ses réussites passées, et à ses évaluation comparatives, est bien plus fiable que ne le sont les vagues manifestations des organes » (ibid., p.230). Au passage, il faut noter que dans cette approche, l’émotion est définie seulement comme manifestation physiologique. La suprématie est accordé dans le guidage du comportement au SEP : « Selon Bandura, le vecteur le plus puissant, dans l’ensemble des capacités autoréflexives qui régissent les actions, les affects et les motivations humaines, est le sentiment d’efficacité personnelle ou “auto-efficacité”. (Carré, 2004, p.41). On peut même alors poser l’existence d’un « sentiment d’efficacité émotionnelle » (Faurie, 2012) ou d’un « SEP dans la gestion des émotions », les siennes et celles des autres. Retenons de ceci que le SEP est une capacité autoréflexive.

Les conditions d’apparition et de développement du SEP sont des sources d’information (traitées cognitivement). Au nombre de quatre, elles sont présentées ici dans l’ordre d’importance qui leur est conférée par Bandura :

• Les expériences actives de maîtrise : « Les modifications de l’efficacité perçue résultent plus du traitement cognitif de l’information transmise par la performance que des performances en elles-mêmes. » (Bandura, ibid., p126). En ce sens, le SEP n’est pas le reflet de la performance passée, il est même davantage en lien avec l’évaluation des difficultés de l’activité et de l’effort fourni. Le traitement cognitif des expériences actives de maîtrise est la source la plus importante de constitution du SEP.

• Les expériences vicariantes : c’est ce que Bandura désigne comme le « modelage social ». Ces expériences sont celles de transmission des compétences et de comparaison de son action avec celles des autres. L’évaluation de l’efficacité de ses actions et la croyance d’efficacité constituée à partir de là passe par un processus de comparaison aux autres.

• La persuasion verbale, les formes de soutien, d’encouragement. Cette source est considérée comme non centrale, elle vient de manière secondaire soutenir l’apparition et le développement du SEP.

• Les états physiologiques et émotionnels à partir desquels se fait l’évaluation : l’individu se base partiellement sur l’information somatique. S’il y a trop de signaux perçus, trop d’information somatique, la constitution du SEP est fragilisée.

Les travaux les plus récents sur le SEP font état d’un lien entre celui-ci et la prévention des risques psycho-sociaux (Vonthron, 2014). En effet, un SEP élevé est un moyen de prévention de l’apparition de la souffrance au travail, de la diminution du sentiment d’accomplissement : « Facteurs clés pour comprendre l’engagement vs le retrait psychologique et comportemental dans les situations de travail, les croyances d’efficacité dans le domaine professionnel sont essentielles dans l’examen des problématiques relatives aux risques psycho-sociaux et à leur prévention. » (p. 685).