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L’émergence de la question des « relations humaines » dans le travail

Dans le document UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL (Page 34-37)

CHAPITRE I : LES GRANDES ÉTAPES DE LA PENSÉE SOCIOLOGIQUE SUR

1.2 La révolution technologique de « l’organisation scientifique du travail » (OST) 19

1.2.2 L’émergence de la question des « relations humaines » dans le travail

Dans leurs expériences réalisées à « l’usine Hawthorne » de la Western Electric Company entre 1924 et 1932, les chercheurs réunis autour d’Elton Mayo et rattachés à la Graduate School of Business de Harvard visaient, dans le but d’améliorer le rendement industriel5, à expliquer le fonctionnement des dynamiques humaines. Les recherches menées allaient s’avérer d’une importance capitale pour la sociologie industrielle : elles en constituent, dira Desmarez (1986, p. 31), « le fait fondateur ». En effet, un axiome novateur émergera de cette première école constitutive à proprement parler de la psychologie industrielle. Cet axiome conduira aux théories sur la motivation dans le travail et à leurs applications dans les stratégies de management : soit l’établissement d’une relation directe, de cause à effet, entre le bien-être moral des travailleurs et la croissance de la productivité au travail.

L’équipe de Mayo s’est intéressée aux conditions de travail, et aux rapports entre la fatigue, la monotonie de la tâche, et les incitants financiers dans une perspective sociologique relativement éclectique : d’une part, ils furent fortement influencée par

5 Il faut préciser nonobstant que la recherche a été commencée par deux ingénieurs du Massachusetts Institute of Technology sous la direction de Frank Jewett, président de la division « engineering » du National Research Council (Desmarez, 1986, p. 32).

les approches des anthropologues, notamment Radcliffe-Brown et Malinowski dans leur conceptualisation du « système social » et dans leurs définitions de la notion de

« structure » et de « fonction » (cf. Mayo, 1933 ; Roethlisberger et Dickson, 1939) ; de l’autre, ils empruntèrent à Lawrence Henderson – et celui-ci à Pareto – plusieurs de leurs idées sur la stabilité et l’équilibre des systèmes sociaux.

Ces deux cadres de référence permirent à l’équipe de Mayo de concevoir l’entreprise comme un ensemble, ou plus précisément comme un système social dans lequel chaque partie est en relation d’interdépendance avec les autres, l’organisation fonctionnant, diront-ils, comme un « système d’activités coordonnées » : d’où leur création du terme de « système coopératif » (Barnard, 1938), et l’acception très particulière qu’ils donnèrent à ce terme. Le système social spécifique que constitue l’entreprise doit viser un « état d’équilibre » qui est l’état « normal » et « adéquat » de ce système (Roethlisberger et Dickson, 1939). Desmarez (1986, p. 39) commentera : cet état

« normal » est tel que tout changement important qui intervient y provoque un état de déséquilibre plus ou moins temporaire « jusqu’à ce que, soit l’état d’équilibre antérieur se rétablisse, soit qu’un nouvel état d’équilibre s’établisse ».

Mayo et ses collaborateurs ont progressivement délaissé leurs premières hypothèses de type physiologique pour rendre compte du phénomène de la fatigue au travail, pour se pencher sur les relations interpersonnelles et attribuer à celles-ci une importance majeure dans l’incitation à la tâche et la motivation du travailleur. Ce renversement de perspective les amènera à soutenir que c’est la qualité des relations humaines et la coopération interindividuelle dans l’usine qui sont le principal facteur de l’efficacité du travailleur. L’effet de ce facteur sur le rendement joue davantage encore que l’amélioration des conditions matérielles du travail (par exemple pauses, réduction de la journée de travail), ou autres incitations financières (salaires, primes, etc.).

Ils vont nommer « moral » l’attitude mentale des travailleurs en relation, non pas tant à leur tâche, qu’aux rapports qu’ils entretiennent avec les collègues de leur groupe de travail et le personnel de direction : ce qui pousse le travailleur, diront-ils, à effectuer le mieux possible la tâche qui lui est attribuée est déterminé par le moral de l’ensemble des acteurs dans l’unité de production.

Mayo et ses collaborateurs soutiendront ainsi que les événements qui se produisent dans l’entreprise dépendent de quatre logiques. Aux côtés de la « logique du coût », de la « logique de l’efficacité » et de l’« idéologie », intervient « la logique des sentiments » dans le cadre de laquelle « s’expriment les valeurs sociales portées par les relations interindividuelles qui existent dans les différents groupes présents dans l’entreprise » (Desmarez, 1986, p. 39).

S’ils qualifient « d’actions logiques », c’est-à-dire « des actions par lesquelles les moyens utilisés sont conformes aux fins désirées », soit les actions découlant du rapport coûts/efficacité, en revanche, les émotions reliées au travail ou à l’idéologie sont de leurs points de vue, des actions « non logiques » sources de désorganisation du système formel de l’entreprise.

Pour comprendre l’importance, mais aussi l’ambiguïté, conférée à la notion de

« moral » chez les tenants de l’École de Relations humaines (Barnard, 1938 ; Roethlisberger, 1941), il faut considérer le contexte dans lequel celle-ci a pris naissance, et garder à l’esprit que le comité de recherche dirigé par Mayo avait été créé dans l’objectif spécifique d’étudier la relation entre les conditions de travail et la productivité industrielle. Il ne faut donc pas oublier la double inscription idéologique de Mayo et ses collaborateurs qui appartenaient au comité dit de « L’Efficacité de l’Industrie » dépendant lui-même du « Comité de la Production industrielle ». Ces chercheurs étaient ainsi, et de ce fait, obligés d’inscrire leur recherche sous l’égide des principes identiques « à ceux que le dirigeant d’une entreprise doit utiliser pour

contrôler le fonctionnement de l’organisation dont il a la responsabilité » (Desmarez, 1986, p. 37).

C’est en ce sens que nous soutiendrions à notre tour qu’il y avait dans leur approche deux affirmations contradictoires. D’une part, il y avait la reconnaissance de l’importance chez le travailleur des enjeux émotionnels dans l’exécution de sa tâche de production. La fertilité philosophique de cette reconnaissance allait conduire à un renouvellement de la conception des relations de travail, et à terme à la modification du mandat qui allait être conféré aux services dits « des ressources humaines » dans l’entreprise.

Mais d’autre part, il y avait, et pratiquement sur le même pied, l’affirmation que les sentiments et le spectre des émotions éprouvées sont des processus irrationnels impondérables, « informels » diront-ils, au sens où ils sont des sources possibles d’actions et d’attitudes de la part des employés qui pourraient être inadéquates du point de vue d’une gestion du travail fondée sur le ratio coût/profit, et sur l’exigence de la productivité. On devrait donc faire en sorte dans l’organisation systémique formelle de l’entreprise de réduire le poids de l’illogique et de « l’informel », et par voie de conséquence, on se devrait d’établir de la part de la direction, une surveillance rigoureuse de l’émergence potentielle de tous les processus d’ordre « irrationnel ».

Dans le document UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL (Page 34-37)