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CHAPITRE 1 LE CONTEXTE SOCIÉTAL PRÉSIDANT L’ÉDUCATION À LA

1.1 La nécessité d’un détour sociohistorique pour comprendre l’ancrage de la

1.1.3 L’État-nation comme héritage postcolonial

1.1.3.1 L’émergence et la consolidation de l’État-nation

Les pratiques sociopolitiques coercitives mises en œuvre par les puissances occidentales dans leurs territoires ont soutenu une forme de prise de conscience chez les Africains et Africaines quant à la nécessité de sortir du joug colonial. Celle-ci s’est traduite par la création des mouvements d’émancipation qui, par les multiples initiatives mises en œuvre contre l’ordre colonial, ont pu obtenir l’indépendance de leur peuple, permettant ainsi l’émergence de l’État-nation en Afrique. Sa construction et sa consolidation devaient être le principal défi qu’allaient affronter les nouveaux dirigeants, ce qui les a amenés à privilégier certains axes prioritaires de développement sur lesquels devaient se concentrer leurs actions politiques.

Les mouvements nationalistes et l’indépendance

Qu’elles émanent des pratiques administratives ou scolaires, diverses formes de violence (Balandier, 1951) témoignant de l’ignorance des droits humains caractérisaient l’ordre colonial au moment même où les puissances européennes, notamment la France, avaient choisi de se construire sur la base de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée lors de la Révolution française de 1789. Il est clair que le paradoxe que présentait une telle situation, mais surtout les souffrances et les sacrifices que celle-ci a fait endurer aux Africains et Africaines ont été à l’origine des mouvements d’autodétermination

(syndicats, groupement d’intellectuels, associations étudiantes, partis politiques, églises) mis en place dans toutes les régions du continent et au Gabon, surtout après la Seconde Guerre mondiale et au sein desquels, il convient de le reconnaitre, les élites17 sorties de

l’École coloniale ont joué un rôle significatif (Ki-Zerbo, 1972).

Sans qu’il soit nécessaire d’exposer les différentes initiatives entreprises par ces mouvements pour sortir de la domination coloniale tels les grèves, marches, insurrections populaires, productions littéraires, la sensibilisation des populations, la participation aux débats politiques ainsi que les propositions des lois au parlement français, soulignons simplement qu’ils se sont affirmés grâce au concours de différents facteurs. Signalons en premier lieu l’ampleur de la mobilisation qu’ils ont suscitée chez les Africains et Africaines en raison des arguments anticolonialistes présentés pour mettre en évidence les multiples contradictions de l’œuvre coloniale. Ajoutons en second lieu le contexte international favorable dont ces mouvements ont bénéficié et su mettre à profit. Comme l’indique Sylla (1959), celui-ci était marqué non seulement par l’épuisement des puissances coloniales à la fin de la seconde guerre mondiale, mais aussi par l’anticolonialisme américain et soviétique qui, dans un cas, mettait l’accent sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et sur la lutte contre l’impérialisme capitaliste dans l’autre. Outre ces soutiens de poids, les mouvements anticolonialistes ont également bénéficié, d’après cet auteur, de l’appui significatif des pays africains et asiatiques déjà indépendants tels le Ghana, l’Égypte, l’Inde, l’Indonésie, le Ceylan, le Pakistan et la Birmanie pour ne citer que ceux-là. La conjonction de tous ces facteurs a permis à ces mouvements d’obtenir progressivement des puissances coloniales diverses concessions politiques allant dans le sens de s’ouvrir à l’émancipation des peuples colonisés (Ki-Zerbo, 1972). Celles-ci ont fini par aboutir au chapelet des indépendances intervenues au milieu du XXe siècle surtout en 1960,

indépendances par lesquelles un grand nombre des colonies, dont celle du Gabon, ont accédé à la souveraineté internationale, permettant ainsi l’émergence des États-nations en Afrique.

17 On peut mentionner, entre autres, Léon Mba et Paul Marie Gondjou (Gabon), Léopold Sédar Senghor

(Sénégal), N’kwame Nkrumah (Ghana), Patrice Émery Lumumba (Congo-belge), Amed Sékou Touré (Guinée Conakry), Barthélémi Boganda (Centrafrique), etc.

Les axes prioritaires de construction étatique

Une fois l’indépendance acquise, un des défis auxquels les dirigeants africains allaient faire face concerne la construction des nouveaux États ainsi créés. Cette exigence justifie leur choix de prendre appui sur le triptyque « développement, État, nation » dont parle Bourmaud (2006: 268) pour faire référence aux orientations prioritaires sur lesquelles devaient reposer les initiatives que ces derniers allaient mettre de l’avant pour construire leurs pays et favoriser leur développement. Deux axes prioritaires peuvent être identifiés à ce propos à savoir la mise à jour préalable du bilan économique et social des États et la consolidation de l’idée de nation chez les citoyens et citoyennes.

La mise à jour préalable du bilan économique et social des États

Le premier axe retenu a trait à la mise à jour du bilan économique et social de leur pays auquel se sont consacrés les dirigeants. Comme le souligne Bourmaud (2006), celle-ci leur a permis de comprendre que la pauvreté qui les caractérise venait du rôle prédateur de leurs richesses que les puissances colonisatrices jouent en Afrique, rôle qui, selon eux, a eu pour conséquence le manque de capitaux et l’absence d’une classe d’entrepreneurs locaux dont leurs pays étaient confrontés au sortir de la colonisation. Pour les nouveaux dirigeants africains, une telle situation ne pouvait prendre fin qu’à partir du moment où leurs États deviendraient maîtres de leurs propres ressources. C’est la raison pour laquelle ils leur ont assigné des compétences économiques et sociales larges. Dans le but de leur permettre d’assumer convenablement de telles attributions, ceux-ci furent dotés de multiples institutions le plus souvent inspirées de l’ancienne métropole (ministères, administrations diverses, entreprises publiques et parapubliques, caisse de sécurité sociale, caisse de péréquation, etc.). Les attributions conférées à ces institutions leur demandaient de générer des ressources financières qu’exigeait la construction des infrastructures dont ces États avaient besoin pour leur développement économique tout comme elles leur donnaient le mandat d’offrir aux citoyens et citoyennes des services publics efficaces (santé, éducation, sécurité sociale, eau, électricité) nécessaires à l’amélioration de leurs conditions de vie précaires.

Dans le cas du Gabon, exportant des ressources naturelles comme le manganèse, l’uranium, le bois et surtout le pétrole qui bénéficia d’une hausse concomitante de la production et du prix du baril lors de la crise énergétique de 1973, ce pays a pu disposer d’importants moyens financiers. D’après Métégué N’na (2006), c’est avec de tels moyens que les autorités ont pu réaliser une politique économique relativement ambitieuse. Celle- ci, affirme-t-il, s’est traduite par la mise en œuvre des grands chantiers comme le port d’Owendo, les barrages hydroélectriques, les travaux du chemin de fer « Transgabonais ». Une telle politique économique justifie l’ouverture aux capitaux extérieurs en favorisant l’implantation dans le pays de nombreuses entreprises étrangères et surtout françaises auxquelles il était toutefois exigé de céder gratuitement des parts de leur capital à l’État gabonais. Cette logique entrepreneuriale est également à l’origine de la création des sociétés publiques et parapubliques dans des domaines aussi divers que variés comme la gestion de l’eau et l’électricité, les télécommunications, le raffinage du pétrole, la commercialisation du bois, etc.

Sur le plan social, la manne issue des exportations des matières premières, selon Métégué N’na (2006), fut mise au service du rehaussement significatif du niveau de vie moyen des citoyens et citoyennes gabonais par l’entremise d’un certain nombre de réalisations qui devaient y contribuer. Il en est ainsi de la construction des hôpitaux, des écoles à tous les cycles primaires, secondaires et universitaires, de logements ou des équipements sportifs. L’auteur estime que les réalisations économiques et sociales que l’on vient de signaler furent parfois stimulées par la tenue au Gabon de grandes réunions internationales comme le sommet que l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A) organisa à Libreville au mois de juillet 1977. Faisant du pays une sorte de plaque tournante de la diplomatie africaine, ces réunions avaient servi de catalyseur à la réalisation des travaux comme le bitumage des routes, l’agrandissement de l’aéroport, la construction d’hôtels, cités et palais de conférence dans la capitale gabonaise, lesquels étaient nécessaires à l’amélioration des conditions d’accueil et de séjours des participants et donc de l’image du pays tout entier.

L’affirmation de l’idée de nation

Le second axe concerne la consolidation de l’idée de nation qui a aussi été au centre des préoccupations des nouveaux dirigeants africains, ceux-ci faisant souvent usage de ce

concept dans leur discours pour reconnaitre le manque d’ancrage social des nouveaux États vu qu’ils étaient généralement issus des entités politiques instaurées par les puissances coloniales en Afrique. Comme l’affirme Bourmaud (2006), c’est dans le but de soutenir un tel ancrage que ceux-ci se donnent pour ambition de susciter l’émergence d’une conscience nationale chez les citoyens et citoyennes en cherchant à faire en sorte qu’ils s’approprient une culture publique commune pouvant leur permettre de se reconnaitre dans une forme d’identité collective. Il était toutefois hors de question aux yeux des élites dirigeantes que cette conscience se construise sur le dos des « nations » issues de l’État colonial, d’où l’affirmation de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation18 qu’elles

considèrent dès le premier sommet de l’O.U.A tenue en 1963 comme seule référence qu’il convenait de prendre en compte pour définir le cadre au sein duquel devaient se consolider les nouvelles États-nations africaines.

Le développement d’une conscience nationale chez leurs compatriotes faisait aussi partie des tâches prioritaires des plus hautes autorités gabonaises comme en témoignent les discours politiques prononcés à ce propos. Ping (2002) souligne que celles-ci ont souvent fait référence aux concepts de « dialogue », « tolérance », « paix »19 et de « participation »

pour signifier l’importance qu’elles accordent aux consensus dans la gestion des affaires publiques, principe qu’ils considèrent comme une condition à la préservation de l’équilibre social et de l’unité nationale dans leur pays. C’est également dans cette optique que ces autorités ont aussi mis l’accent, d’après Kipré (2005), sur un certain nombre de référents patriotiques envisagés comme pouvant jouer un rôle fédérateur des citoyens et citoyennes. C’est le cas des symboles nationaux tels l’hymne, la devise, le drapeau que les dirigeants évoquent régulièrement dans leurs discours pour amener les Gabonais et Gabonaises non seulement à adopter des conduites de respect à leur égard, mais surtout à traduire dans leur façon de vivre les messages d’unité qu’ils leur adressent20. Il en est de même de la fête

nationale dont la célébration s’effectue annuellement le 17 août, jour anniversaire de

18 Ce principe n’a toujours pas été respecté comme en témoignent les tensions, voire les conflits entre ces pays

autour de leurs frontières. On pourra citer à ce propos, celles opposant actuellement le Gabon et la Guinée Équatoriale à propos de l’île Mbanié.

19 Précision que ces trois concepts, dialogue-tolérance-paix, constituent la devise du parti démocratique

gabonais (P.D.G) au pouvoir au Gabon depuis 1968.

l’indépendance, ce parfois de manière rotative dans chacune des neuf provinces du pays, le but étant d’associer l’ensemble des populations à l’organisation de cet évènement politique. À l’importance attachée aux symboles nationaux s’ajoute la politique d’intégration des populations mise en place par les autorités gabonaises. Connue sous le terme de « géopolitique », celle-ci, d’après l’auteur, consiste à promouvoir une forme de représentativité de l’ensemble des groupes ethniques au sein de l’appareil d’État en nommant des individus qui en sont issus aux hautes fonctions politiques et administratives selon un certain équilibre géoethnique.