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Manières de faire l'éducation à la citoyenneté en milieu scolaire : points de vue d'enseignants et enseignantes des écoles secondaires du Gabon

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Academic year: 2021

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MANIÈRES DE FAIRE L’ÉDUCATION À LA

CITOYENNETÉ EN MILIEU SCOLAIRE: POINTS DE

VUE D’ENSEIGNANTS ET ENSEIGNANTES DES

ÉCOLES SECONDAIRES DU GABON

Thèse

Ghislain Olui

Doctorat en didactique

Philosophiæ doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Ghislain Olui, 2015

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RÉSUMÉ

Malgré le processus démocratique enclenché au début des années 90, la société gabonaise reste confrontée à un déficit démocratique en raison de la résistance des élites dirigeantes à mettre en œuvre les principes et valeurs promus par la Constitution nouvellement adoptée à cette occasion. C’est pour faire face à une telle situation que depuis 1994, le Gabon a réhabilité l’éducation à la citoyenneté en l’intégrant comme matière obligatoire au curriculum scolaire. Il faut toutefois reconnaitre que cet enseignement doit s’effectuer dans une institution éducative dont l’organisation et le fonctionnement sont encore largement inspirés de la forme scolaire héritée de la colonisation, d’où notre intérêt à cerner la manière dont les enseignants et enseignantes d’histoire-géographie qui en ont la charge officielle disent l’assurer au quotidien.

Inscrivant notre démarche dans une perspective qualitative à caractère descriptif et compréhensif (Anadón et Savoie Zajc, 2009), nous avons combiné l’approche des représentations de Fourez (2004, 2007) et l’analyse de contenu thématique (Bardin, 2003, 2007) pour décoder les discours des enseignants à l’égard de l’éducation à la citoyenneté. Il ressort de cette analyse, s’agissant des formes de médiation qu’ils assurent au sein des classes, que ceux-ci souscrivent à des intentions éducatives visant la formation d’un modèle de citoyen à double figure qui correspond, autant à un individu cultivé et loyal envers sa nation, qu’à une personne réflexive et engagée pouvant contribuer au développement de celle-ci. Pour parvenir à former ce type de citoyen, les enseignants ont recours à une approche transmissive et informative nécessitant des pratiques magistrales. Ils misent aussi sur celle à caractère interactif et dynamique qui fait la promotion des stratégies permettant d’offrir aux élèves des espaces d’expression en classe. Le choix de telles approches n’est pas fortuit, mais découle de l’appréciation que les sujets font des possibilités et des contraintes venant du fonctionnement de l’École1 et de la société gabonaises, lequel oriente leur façon d’assurer la médiation en

classe afin de former les élèves à un type de citoyenneté hybride comportant autant des aspects normatifs que des dimensions participatives et s’inspirant à la fois du modèle occidental et des

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valeurs et principes issus de la tradition, ce qui témoigne de la contribution de l’École à la résorption du déficit démocratique observé dans ce pays.

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ABSTRACT

Despite the democratic process initiated in the early 90s, the Gabonese society still faces a democratic deficit caused by the resistance of national elites to implement principles and values promoted by the Constitution which was newly adopted at that time. This is to cope with such a situation that, since 1994, Gabon has rehabilitated the citizenship education by integrating it as a compulsory subject in the school curriculum. However, we must admit that this teaching takes place in an educational institution whose organization and operation are still largely inspired by the school model inherited of colonization, hence our interest in understanding how history and geography teachers responsible of this teaching say they ensure it daily.

Situating our approach in a descriptive and comprehensive qualitative perspective (Anadón Zajc and Savoie, 2009), we combined Fourez's approach of representations (2004, 2007) and thematic content analysis (Bardin, 2003, 2007) to understand teachers' discourse on citizenship education. The analysis showed, with regard to the forms of mediation they provide in the classroom, that teachers agree with the educational aims of forming a model of citizen which corresponds as well to a knowledgeable person who stands by the nation, to a reflexive and committed person who can contribute to the development of thereof. To achieve the training of such type of citizens, teachers use a transmissive and informative approach requiring direct instruction. They also rely on an interactive and dynamic approach that promotes strategies to provide students with classroom spaces of expression. The choice of such approaches is not unintended, it results from the assessment that the subjects are doing of the possibilities and constraints from the functioning of the School and the Gabonese society which guides how they mediate to train students to a type of hybrid citizenship that includes normative aspects as participatory dimensions, a view of citizenship inspired by the Western model and the values and principles that comes from their own tradition.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Liste des tableaux ... xi

Liste des acronymes ... xiiii

Remerciements ... xvv

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 LE CONTEXTE SOCIÉTAL PRÉSIDANT L’ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ ... 5

1.1 La nécessité d’un détour sociohistorique pour comprendre l’ancrage de la citoyenneté au Gabon ... 6

1.1.1 Les formes de socialité en Afrique précoloniale ... 7

1.1.1.1 Une organisation politique autonome ... 8

1.1.1.2 Des pratiques sociales témoignant d’une certaine conception de la vie collective ... 16

1.1.2 L’héritage colonial: le transfert du modèle européen en Afrique ... 25

1.1.2.1 La création de l’État colonial ... 26

1.1.2.2 Les stratégies de gestion de l’État colonial ... 27

1.1.3 L’État-nation comme héritage postcolonial ... 32

1.1.3.1 L’émergence et la consolidation de l’État-nation ... 33

1.1.3.2 Le choix d’un mode de gouvernance autoritaire de l’État-nation ... 38

1.2 L’examen du processus démocratique pour éclairer le cadre d’exercice de la citoyenneté au Gabon ... 44

1.2.1 L’instauration de la démocratie dans les États d’Afrique noire ... 45

1.2.1.1 Une amorce du processus de démocratisation: facteurs exogènes et endogènes ... 45

1.2.1.2 Les avancées du processus démocratique des États africains ... 48

1.2.2 Les obstacles à la démocratisation des États africains ... 54

1.2.2.1 Un cadre politico-légal qui n’offre pas d’appui à l’expression de la démocratie ... 55

1.2.2.2 Une faible traduction des valeurs démocratiques dans la vie des citoyens ... 59

1.3 En guise de synthèse ... 65

CHAPITRE 2 LA PROBLÉMATIQUE DE LA RECHERCHE ... 67

2.1 Les contours du concept de citoyenneté ... 68

2.1.1 Le concept de citoyenneté selon la tradition politique occidentale ... 69 2.1.2 Des hiatus entre les dimensions de la citoyenneté et leur expression dans la vie sociale 75

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2.2 Le renouvellement de l’éducation citoyenne en milieu scolaire ... 81

2.2.1 Une invitation pressante faite à l’École pour former à la citoyenneté démocratique ... 82

2.2.2 Les choix effectifs d’éducation à la citoyenneté dans quelques contextes nationaux ... 95

2.3 L’institution de la forme scolaire ... 104

2.3.1 Les fondements de la forme scolaire ... 105

2.3.2 L’incidence de la forme scolaire sur l’éducation à la citoyenneté ... 112

2.4 Notre préoccupation générale de recherche ... 125

CHAPITRE 3 L’ÉTAT DE LA QUESTION: UN EXAMEN DES ÉTUDES SUR LA CITOYENNETÉ ET L'ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ ... 133

3.1 Les représentations de la citoyenneté et de l’éducation à la citoyenneté chez les enseignants et enseignantes: un éclairage à partir de quelques études empiriques ... 134

3.1.1 Des études sur la citoyenneté ... 135

3.1.1.1 Les conceptions de la citoyenneté chez les enseignants ... 135

3.1.1.2 Les expériences de citoyenneté vécues par les enseignants ... 152

3.1.2 Des études sur l’éducation à la citoyenneté ... 155

3.1.2.1 Les conceptions de l’éducation à la citoyenneté chez les enseignants ... 156

3.1.2.2 La mise en œuvre de l’éducation à la citoyenneté dans les écoles ... 170

3.1.2.3 L’appréciation des conditions liées à la mise en œuvre de l’éducation à la citoyenneté dans les écoles ... 186

3.2 L’éclairage fourni par les études présentées: des apports multiples et des réinvestissements possibles ... 191

3.2.1 Les apports sur le plan conceptuel ... 192

3.2.2 Les apports sur le plan méthodologique ... 199

3.3 Notre préoccupation spécifique de recherche ... 203

CHAPITRE 4 LES ORIENTATIONS MÉTHODOLOGIQUES ... 205

4.1 Les ancrages épistémologiques qui inspirent notre posture de recherche ... 206

4.1.1 Une étude qui considère les enseignants comme des acteurs significatifs ... 206

4.1.2 Une étude qui mise sur les discours des enseignants pour accéder à leur manière de penser l’éducation à la citoyenneté ... 210

4.1.3 Une étude qui se pose en tant que « représentation » et non traduction des discours des sujets ... 211

4.2 Le cadre de l’étude ... 214

4.2.1 Les milieux de l’étude et la population choisis ... 215

4.2.1.1 La description des écoles de provenance des sujets ... 215

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4.2.2 Le déroulement de l’étude ... 223

4.2.2.1 Le choix de l’entretien semi-dirigé comme outil de production des données ... 224

4.2.2.2 La mise en œuvre des entretiens ... 227

4.3 Le cadre d’analyse... 236

4.3.1 Le choix de l’analyse de contenu thématique ... 237

4.3.2 L’opérationnalisation du mode d’analyse retenu ... 239

4.3.2.1 La constitution du corpus ... 240

4.3.2.2 La codification des discours ... 241

4.3.2.3 La classification des discours ... 256

4.3.2.4 Le mode d’interprétation des catégories thématiques dégagées ... 264

CHAPITRE 5 UN PREMIER NIVEAU D’ANALYSE : LA MISE EN FORME DES DISCOURS POUR DÉCRIRE LES POSITIONNEMENTS ENDOSSÉS... 267

5.1 Le cadre d’exercice de la citoyenneté au Gabon ... 268

5.1.1 L’idée de démocratie ... 270

5.1.1.1 La signification attribuée au concept de démocratie ... 271

5.1.1.2 La manière d’envisager le « bon » citoyen ... 277

5.1.2 La manière d’apprécier la mise en œuvre de la démocratie dans la société gabonaise . 291 5.1.2.1 Les influences émanant du terreau traditionnel ... 292

5.1.2.2 L’actualisation de la démocratie au Gabon : avancées et contraintes ... 302

5.2 Les visées à poursuivre en éducation à la citoyenneté ... 319

5.2.1 Les finalités assignées à l’éducation à la citoyenneté ... 320

5.2.1.1 Assurer l’instruction de l’élève ... 321

5.2.1.2 Développer des compétences d’action chez l’élève... 328

5.2.2 La manière d’envisager les orientations curriculaires liées à l’éducation à la citoyenneté ... 339

5.2.2.1 L’appréciation du programme d’éducation à la citoyenneté ... 340

5.2.2.2 Les contraintes liées à la mise en œuvre du programme d’éducation à la citoyenneté ... 353

5.3 La manière de traduire les prescriptions curriculaires du programme au sein des classes ... 363

5.3.1 La nature des pratiques pédagogiques mobilisées ... 364

5.3.1.1 Des pratiques expositives axées sur la présentation des concepts de citoyenneté .. 365

5.3.1.2 Des pratiques interactives sollicitant l’implication de l’élève en classe ... 380

5.3.2 Les contraintes liées à la mise en œuvre des pratiques pédagogiques mobilisées ... 399

5.3.2.1 Une organisation scolaire mettant des freins aux pratiques d’éducation à la citoyenneté ... 400

5.3.2.2 Un cadre sociopolitique témoignant de contre-exemples pour l’éducation à la citoyenneté ... 417

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CHAPITRE 6 UN DEUXIEME NIVEAU D’ANALYSE : L’INTERPRÉTATION

DES POSITIONNEMENTS ÉMANANT DES DISCOURS ... 429

6.1 L’exercice d’une médiation fondée sur un jeu d’équilibrisme pédagogique .... 430

6.1.1 L’alignement sur des intentions éducatives visant la formation d’un citoyen à double figure ... 431

6.1.2 Le choix des pratiques inspirées par une double approche pédagogique ... 436

6.2 Une médiation qui s’accommode des contextes éducatif et sociopolitique ... 444

6.2.1 Une médiation s’inscrivant dans le double rapport « adaptation-dépassement » à la forme scolaire ... 445

6.2.2 Une médiation se voulant sensible à la dynamique sociopolitique gabonaise ... 456

CONCLUSION ... 473

C.1 Un rappel des principales étapes de la recherche ... 473

C.2 Les principaux résultats produits ... 477

C.3 Les limites et perspectives de recherche ... 484

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 489

ANNEXE 1 LE PROTOCOLE D’ENTRETIEN ... 507

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Le profil d’ensemble des enseignants et enseignantes ... 222

Tableau 2 : Le canevas d’entretien ... 229

Tableau 3 : Les conventions de transcription des entretiens ... 241

Tableau 4 : Les thèmes et sous-thèmes de la grille classificatoire ... 247

Tableau 5 : Le repérage des énoncés discursifs significatifs ... 249

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LISTE DES ACRONYMES ACDI: Agence canadienne du développement international A.E.F: Afrique équatoriale française

ALENA: Accord de libre-échange nord-américain BEPC: Brevet d’étude du premier cycle

CAPC: Certificat d’aptitude au professorat des collèges

CAPES: Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire C.N.C: Conseil National de la Communication

Conasysed: Confédération nationale des syndicats du secteur de l’éducation C.P.I: Cour pénale internationale

Cemac: Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale E.C.J.S: Éducation civique juridique et sociale

ECD: Éducation à la citoyenneté démocratique EmP: Éducation en matière de population ENS: École normale supérieure

EPS: Éducation physique et sportive F.M.I: Fonds monétaire international

Fnuap: Fond des nations unies pour la population IEC: Information, éducation, communication I.P.N: Institut pédagogique national

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MST: Moyennes sexuellement transmissibles NCSS: National Council for the Social Studies O.M.C: Organisation mondiale du commerce O.N.U: Organisation des nations unies O.U.A: Organisation de l’unité africaine ONG: Organisation non gouvernementale

PCBF: Programme canadien des bourses de la francophonie P.D.G: Parti démocratique gabonais

QSV: Questions socialement vives RTN: Radiotélévision Nazareth

S.E.E.G: Société d’Énergie et d’Eau du Gabon SVT: Sciences de la vie et de la terre

UA: Union Africaine UE: Union Européenne

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REMERCIEMENTS

La réalisation d’une thèse, en tant qu’entreprise de production sociale des savoirs, requiert au-delà de l’engagement personnel, le soutien d’un réseau d’acteurs à la fois humains et institutionnels pour la mener à terme. C’est la raison pour laquelle, il me fait plaisir, au moment de clôturer ce projet de recherche, de leur adresser mes remerciements pour l’appui qu’ils m’ont offert durant cette expérience combien exaltante.

J’exprime d’abord ma profonde gratitude à Madame Suzanne Vincent, professeure titulaire associée et directrice de cette recherche. Elle en a été le pilier qui, par son dévouement, sa disponibilité et sa persévérance, a grandement contribué à son aboutissement heureux. Elle m’a tenu par la main pour m’apprendre à faire la recherche. Je veux la remercier spécifiquement aujourd’hui pour sa rigueur s’agissant de la nécessité de soutenir une pensée logique et articulée, prendre position en étayant mes idées afin de conduire l’interlocuteur vers le but que je voulais atteindre. En me rappelant constamment que j’étais l’expert de mon travail, elle a fait en sorte que je puisse assumer mes propres choix et faire confiance à ma capacité à les défendre. Je ne peux non plus passer sous silence ses grandes qualités humaines à travers son sens élevé des relations sociales et du vivre ensemble compte tenu de l’écoute qu’elle a toujours manifestée à l’égard de mes préoccupations personnelles.

Mes remerciements sont aussi formulés à l’intention de monsieur Serge Desgagné, professeur titulaire et prélecteur de cette thèse pour la qualité de son travail. Ses généreux commentaires, ses questions incisives et ses suggestions pertinentes m’ont permis de bonifier cette recherche. Il y a lieu de remercier, au même titre, Monsieur Mesmin-Noel Soumaho, professeur de sociologie en tant qu’examinateur externe provenant de l’Université Omar Bongo de Libreville qui m’a fait l’honneur d’accepter de faire partie du jury de cette thèse. Vos commentaires et propositions m’aideront à coup sûr à approfondir la réflexion sur la problématique de l’éducation à la citoyenneté en contexte gabonais.

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J’exprime ma profonde reconnaissance à monsieur Jacques Désautels, professeur émérite qui a su mettre sa riche expérience à ma disposition particulièrement dans des moments de doute, celle-ci ayant aussi été le levier qui m’a permis de mener cette démarche jusqu’à son terme. Mais au-delà de cela, je voudrais également vous remercier pour tout le travail de coordination réalisée dans le cadre du projet de coopération entre l’Université Laval et l’École normale supérieure de Libreville. Je considère cette thèse comme le résultat de ce projet qui a pris naissance en 1999 avec le programme de maitrise en didactique. C’est dans la même veine que je voudrais présenter mes remerciements à Madame Marie Larochelle, professeure émérite en raison de la disponibilité dont elle a toujours fait preuve dans la résolution des problèmes académiques et administratifs rencontrés durant la réalisation de cette thèse.

Mes pensées vont aussi à l’Agence canadienne du développement international (ACDI), son programme canadien des bourses de la francophonie (PCBF) ayant soutenu financièrement mes études doctorales tout en m’offrant toutes les facilités à sa mesure pour rendre mon séjour en terre québécoise et canadienne agréable.

Je remercie l’État gabonais qui, par l’entremise de ses représentants situés à différents niveaux administratifs, a permis à son fonctionnaire de soutenir son développement professionnel en lui laissant la possibilité d’entreprendre un stage de longue durée. Je citerais, entre autres, Monsieur l’ambassadeur-directeur Bika Bisso pour sa loyauté dans la gestion des candidatures au concours des bourses de la francophonie, Monsieur le directeur général Janvier Nguéma Mboumba pour les autorisations qui m’ont permis d’avoir accès aux écoles retenues.

J’adresse ma reconnaissance à tous les enseignants et enseignantes de ces établissements pour la collaboration qu’ils m’ont offerte durant cette recherche en assumant pleinement leur statut d’acteurs compétents (Giddens, 1987).

Un grand merci à mes compatriotes de Québec, Alphonse Donald Nzé Waghe, Ndong Sima, Frank Jacob Hombahia, Lilian Nguéma Émane, Moussavou Raymonde, Nka Étomo Michel, Jean Claude Nyama, Celestin Andzang Nkouele, Hilaire Bibang Assoumou, Lilie Obone Nguéma, Bernard Segna, Jacques Otsague Eya, Melary Bouka, Christian Louembet,

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Didier Kaba, Assoume Oniane Alain-Gervais, Ndzedi Francis, Adrien Moneyi, Christophe Ndong Angoue, pour les encouragements multiformes qu'ils n'ont cessés de m'adresser. Mes remerciements vont finalement à ma famille: à ma dynamique épouse, madame Oye Essono Irène, pour ton amour, ton indéfectible soutien et l’assurance que tu m’as toujours donnés en pilotant le bateau parfois mieux que je ne l’aurais fait si j’avais été à ta place; à mes enfants Eddy Martial Essono, Axel-Yvon Olui, Lyse-Karelle Ntsame Olui, Georges-Darel Mba Olui, Rose-Synelle Zang Olui, à mon petit fils Assoumou Essono Wanis, vous avez certainement souffert de ma longue absence qui ne visait en définitive qu’à vous montrer le chemin de l’effort, de la persévérance et de l’espérance.

À tous et à toutes qui ont contribué de près ou de loin à la réalisation de cette thèse, Akiba Anen, MERCI BEAUCOUP.

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INTRODUCTION

Il y a un bon moment que nous nous intéressons à l’éducation à la citoyenneté en contexte gabonais. En effet, lors de la rédaction d’un essai de fin d’étude à la maîtrise (Asseko-Mvé et Olui, 2005), nous l’avons abordée sous l’angle de la contribution du programme d’histoire à la formation de l’ « identité nationale » chez les jeunes gabonais. Notre analyse nous a alors permis de mettre en évidence le fait que l’histoire nationale et des peuples gabonais ne constituaient pas des thèmes centraux de ce programme. Une telle situation justifie les réserves que nous avons émises par rapport aux possibilités qu’offre ce programme pour une formation des jeunes Gabonais visant à soutenir leur ancrage dans le passé afin de développer leur sentiment d’appartenance à leur nation et ainsi favoriser leur intégration sociale.

Nous avons, dans la présente thèse, élargi nos préoccupations en ce qui concerne l’éducation à la citoyenneté en contexte gabonais et choisi de nous intéresser au point de vue d’un autre acteur, de fait un acteur incontournable de la situation éducative, soit les enseignants et enseignantes, en tentant maintenant de cerner celui qu’endossent à son égard ceux d’histoire-géographie qui au premier chef assurent directement cet enseignement au jour le jour au Gabon. Nous avons plus précisément voulu savoir comment ils se positionnent à l’égard de l’éducation à la citoyenneté, en tant qu’acteurs sociaux, au regard du cadre d’exercice de la citoyenneté dans leur pays, et en tant qu’acteurs éducatifs, au regard des visées et des pratiques exercées dans leur école et dans la classe.

Le cheminement qui nous a conduit à formuler ces interrogations initiales de recherche passe d’abord par une analyse du contexte sociétal dans lequel elle s’est déroulée. Au premier chapitre, nous effectuons ainsi un détour sociohistorique qui nous amène à montrer que les sociétés précoloniales avaient mis en place des manières de vivre qui contribuent à donner sens et relief à la citoyenneté au Gabon aujourd’hui comme en témoigne à la fois leur fonctionnement sociopolitique et les pratiques de vie communautaire qu’ils avaient développées, même si les acteurs de l’époque ne faisaient pas référence à ce concept. Nous traitons par la suite de la contribution de l’époque coloniale qui a favorisé l’émergence de

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l’État dont la gestion reposait essentiellement sur les pratiques coercitives soutenues à l’endroit des autochtones pour leur imposer différentes contraintes nécessaires à l’exploitation des territoires. Nous abordons finalement l’ère postcoloniale marquée par l’instauration des États-nations en Afrique au lendemain des indépendances au milieu du XXe siècle pour signifier que leur consolidation a été compromise par le caractère inopérant

des choix et structures politiques adoptés par les nouveaux dirigeants et dont les répercussions se font sentir encore de nos jours sur le plan du fonctionnement de la démocratie. Notre examen de celui-ci nous permet de mettre à nu les dysfonctionnements qui l’entravent, lesquels témoignent d’un certain déficit démocratique dans les sociétés africaines en général et au Gabon en particulier.

Dans le deuxième chapitre, nous montrons comment un tel déficit démocratique interpelle directement l’École dans la mesure où sa mission fondamentale consiste justement à former les citoyens et citoyennes. Toutefois, avant d’aborder cette question, nous explicitons le sens attribué au concept de citoyenneté selon la perspective philosophico-politique occidentale dans la mesure où celui-ci sert de toile de fond sur laquelle les pratiques pédagogiques doivent prendre appui. Par la suite et afin d’aborder les demandes formulées à l’intention de l’École, nous faisons état à la fois des rapports de conjoncture élaborés par des organismes internationaux et nationaux chargés des questions éducatives (Vincent et Laurin, 1998) et des travaux de certains chercheurs (Audigier, 2000; Désautels, 1998) pour rendre compte des orientations proposées aux intervenants scolaires afin de leur offrir un cadre pouvant inspirer leurs initiatives pédagogiques en matière d’éducation à la citoyenneté. Nous montrons aussi comment, répondant à de tels appels, plusieurs systèmes éducatifs en différents contextes, y compris au Gabon, ont entrepris récemment des réformes par lesquelles ils ont érigé l’éducation citoyenne comme une priorité de leur projet éducatif. Nous explicitons enfin le concept de forme scolaire (Vincent, Lahire et Thin, 1994) qui permet de théoriser l’organisation et le fonctionnement des institutions éducatives dans lesquelles se réalise l’éducation à la citoyenneté, ce qui nous aide à mettre en évidence un certain nombre d’incompatibilités que celle-ci entretient avec les visées poursuivies par cet enseignement.

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Le troisième chapitre constitue un état des travaux relatifs à la problématique de la citoyenneté et de l’éducation à la citoyenneté. Ainsi, nous rendons compte de certaines études empiriques réalisées auprès des enseignants et enseignantes évoluant, aussi bien dans les pays en développement, que dans les sociétés avancées, qu’il s’agisse de ceux encore en formation ou de leurs collègues déjà en exercice. Les éclairages fournis par ces différentes études à notre démarche sont aussi examinés, tant sur le plan conceptuel, que sur le plan méthodologique en tenant compte des apports procurés et des possibilités de les réinvestir dans notre propre perspective. C’est à la lumière de tels apports que nous formulons la préoccupation spécifique de notre étude en précisant les questions de recherche qui l’orientent.

Le quatrième chapitre est consacré aux orientations méthodologiques de la recherche qui s’inscrit dans une perspective qualitative à caractère descriptif et compréhensif (Anadón et Savoie Zajc, 2009), vu que notre but est de cerner la signification que les enseignants assignent à l’éducation à la citoyenneté. Nous explicitons dans une première section les ancrages épistémologiques qui fondent notre posture de recherche, lesquels nous amènent à considérer les enseignants et enseignantes comme des sujets situés assurant l’éducation à la citoyenneté au carrefour de trois sphères d’action en tant que citoyens participant d’une société qui se veut démocratique, acteurs institutionnels relevant d’une communauté éducative et en tant qu’acteurs pédagogiques œuvrant au sein d’une classe d’élèves. De la même manière, nous les envisageons comme des acteurs compétents capables de discourir à propos des tenants et aboutissants de l’éducation à la citoyenneté, ce discours tenant lieu de territoire à partir duquel nous pourrons les interpréter comme on représente une région par une carte géographique. La deuxième section fait état du dispositif d’investigation mis en place pour explorer les points de vue des enseignants et enseignantes à propos de l’éducation à la citoyenneté en décrivant le terrain de notre étude, mais aussi en traitant de l’entretien semi-dirigé qui nous sert d’instrument pour susciter leurs discours. La troisième section de ce chapitre décrit le cadre d’analyse mis en place pour exploiter de tels discours et dégager la signification que les sujets attribuent à cet enseignement.

Le chapitre cinq, consacré au premier niveau d’analyse, vise à fournir une représentation de la manière dont les enseignants envisagent via leurs discours la problématique de

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l’éducation à la citoyenneté en contexte scolaire gabonais. Nous présentons à cet effet une forme de carte sémantique mettant en lumière différents positionnements qu’ils endossent selon trois grandes thématiques. La première vise à cerner la manière dont les sujets envisagent le cadre d’exercice de la citoyenneté dans leur pays à la fois sous l’angle de la vie démocratique, de la tradition et des caractéristiques du bon citoyen. La deuxième met l’accent sur leur façon d’apprécier les orientations du programme d’éducation à la citoyenneté dont ils ont la charge. La troisième rend compte de leur manière de traduire de telles orientations par l’entremise des pratiques pédagogiques qu’ils mobilisent au sein des classes.

Au chapitre six correspondant à un deuxième niveau d’analyse, nous proposons des pistes d’interprétation des positionnements que les sujets ont endossés à propos de la citoyenneté et de l’éducation à la citoyenneté dans le chapitre précédent. Effectuant un retour analytique sur ceux-ci, nous mettons en évidence, dans une première section, leur façon d’envisager la médiation exercée au sein des classes en montrant comment ils s’adonnent à une sorte de jeu d’équilibrisme pédagogique à l’égard de la forme scolaire, tant en ce qui concerne les intentions éducatives retenues, qu’en ce qui a trait aux approches pédagogiques mobilisées par l’entremise des pratiques mises en œuvre. Dans une seconde section traitant des liens qu’ils instaurent entre, d’un côté le contexte éducatif et sociopolitique dans lequel ils évoluent et, de l’autre côté, les formes de médiation ainsi endossées, nous explicitons les arguments que les sujets invoquent pour les justifier en mettant en évidence la cohérence dont ils font preuve à ce propos.

Finalement, dans la conclusion, nous effectuons un retour sur le processus ayant conduit à la production de la thèse, ce qui nous amène à décrire les grandes étapes qui l’ont jalonné, à décliner les principaux résultats obtenus avant de présenter quelques limites du travail effectué et d’ouvrir sur des perspectives de recherche futures.

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CHAPITRE 1

LE CONTEXTE SOCIÉTAL PRÉSIDANT L’ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ Ce premier chapitre vise à présenter le contexte sociétal au sein duquel se pose la problématique de la citoyenneté et partant de l’éducation à la citoyenneté au Gabon. Nous considérons que celle-ci ne peut être abordée sur la base des seuls aspects du présent dans la mesure où, selon nous, elle plonge ses racines dans un passé qu’il convient aussi d’examiner, même succinctement, si l’on veut saisir les tenants et aboutissants de cette problématique. Un tel aperçu sociohistorique est justifié, car il permet de montrer l’évolution du vivre ensemble en Afrique noire et, plus particulièrement au Gabon, en mettant en lumière les différentes apports des principales périodes historiques qu’ils ont traversés. C’est dans ce sens qu’il nous faut d’abord examiner les formes de socialité des sociétés précoloniales, formes qui témoignent des modes de vie pouvant être associés à l’exercice de la citoyenneté, même si les acteurs de cette époque ne faisaient pas usage de ce concept. Nous montrons à ce propos que celles-ci étaient dotées d’entités étatiques organisées au sein desquelles se déployait une activité politique autonome. Nous soulignons aussi le fait que la façon dont on y concevait le vivre ensemble était fondée sur l’attachement à la communauté clanique dont le fonctionnement sociétal orientait la nature des rapports que devaient entretenir les individus.

On doit reconnaître que ces formes de socialité se sont transformées à la suite des contacts avec l’Occident surtout durant l’époque coloniale qui a permis l’instauration de nouvelles entités politiques en Afrique ainsi que l’introduction des pratiques politico-administratives et éducatives fondées sur la coercition. De telles pratiques ont favorisé le développement des mouvements nationalistes à l’origine des indépendances qui ont permis l’apparition des États-nations postcoloniaux en Afrique. C’est avec leur émergence que la citoyenneté fait véritablement son entrée dans ce continent d’autant plus que la nécessité de les

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consolider allait de pair avec la promotion des droits et devoirs des citoyens proclamés par les constitutions dont ils s’étaient dotés au sortir de la colonisation. Il convient toutefois d’admettre que le mode de gestion autoritaire privilégié pour les nouveaux dirigeants n’a pu soutenir le développement de ces États si l’ont tient compte des impasses sur les plans politique, économique et social auxquels celui-ci a conduit, suscitant ainsi des demandes de changements politiques à l’origine du processus de démocratisation engagé dans les pays africains en général et au Gabon en particulier depuis les années 1990. Comme ce processus instaure un nouveau cadre présidant l’exercice de la citoyenneté dans ces pays, il convient de l’examiner pour éclairer les facteurs qui l’ont favorisé, certains tels le vent de l’est, la chute du mur de Berlin et les exigences démocratiques des puissances occidentales ayant un caractère exogène, d’autres étant plus internes à ces États comme la vague de contestation populaire qu’ils ont connue à cause de l’oppression et la pauvreté grandissantes auxquelles les citoyens et citoyennes étaient confrontés. Nous tentons également d’établir, de manière tout à fait modeste, un bilan de ce processus pour reconnaitre que, s’il se traduit globalement par la mise en place d’un nouveau décor institutionnel témoignant du nouvel esprit qui caractérise ces États s’agissant des assises sur lesquelles repose désormais leur organisation politique, ce décor a toutefois du mal à fonctionner comme il se doit en raison d’un certain nombre de difficultés venant entraver l’incarnation démocratique dans ces pays.

1.1 La nécessité d’un détour sociohistorique pour comprendre l’ancrage de la citoyenneté au Gabon

L’Afrique subsaharienne en général et le Gabon en particulier ont eu une longue et riche histoire, contrairement à l’idée soutenue par certain discours2 qui considère ce continent

comme anhistorique. Celle-ci constitue la trame à partir de laquelle on peut mieux comprendre le fonctionnement actuel des sociétés africaines. Il importe en ce sens de prendre en compte une telle histoire pour mettre en lumière les apports des principales périodes qui l’ont jalonnée à l’évolution du vivre ensemble qu’il convient de considérer dans ses rapports avec la démocratie, en tant que cadre d’exercice de la citoyenneté.

2 Nous faisons référence ici au fameux discours de Dakar prononcé en juillet 2007 par Nicolas Sarkozy

président français à l’université cheik Anta Diop, discours au cours duquel il affirmait que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire.

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Précisions que, dans notre perspective, l’Afrique subsaharienne, dont fait partie le Gabon, correspond à un vaste ensemble en forme triangulaire qui s’étend du nord au sud, de la lisière du Sahara jusqu’au Cap de Bonne-Espérance en Afrique australe, et de l’est à l’ouest, des côtes de l’Océan Atlantique à celles de l’Océan Indien. Si l’on se réfère à la période précoloniale que nous situons entre le Moyen âge et la fin du XIXe siècle, date qui

signe le « partage de l’Afrique », c’est-à-dire la prise de possession d’immenses territoires de ce continent par les puissances occidentales à l’issue de la conférence de Berlin organisée à ce propos, on peut observer dans cette partie du continent des formes de socialité témoignant, sur le plan politique, des régimes authentiques et variés et, sur le plan social, de pratiques orientées vers la promotion d’une vie communautaire entre les individus. C’est sur ces manières de vivre propres qu’est venu s’adosser le modèle occidental transféré en Afrique pendant la période coloniale qui s’étend de la fin du XIXe

au milieu du XXe siècle, période au cours de laquelle les puissances européennes sont

arrivées à créer de nouvelles entités politiques symbolisées par ce qui a été appelé l’État colonial, lequel était généralement administré par des pratiques sociopolitiques coercitives imposant aux autochtones différentes contraintes qu’exigeait l’exploitation des colonies. Par les formes de violence soutenues à leur égard, de telles pratiques ont été à l’origine des mouvements nationalistes qui, par leurs initiatives multiformes, ont poussé le colonisateur à des compromis politiques ayant conduit, par l’entremise des indépendances de la seconde moitié du XXe siècle, à l’émergence de l’État-nation. Celles-ci inaugurent l’ère

postcoloniale des sociétés africaines et contribuent à l’affirmation de la citoyenneté par la reconnaissance des droits et devoirs des individus dans les Constitutions de ces jeunes États. Leur construction et leur consolidation allaient être le cheval de bataille des nouveaux dirigeants, ce qui justifie différents choix et initiatives qu’ils allaient engager à ce propos en prenant toutefois appui sur un mode de gouvernance autoritaire. Si celui-ci a favorisé quelques avancées dans ces pays, il a surtout provoqué des dysfonctionnements à l’origine des impasses qui ont grandement entravé leur développement.

1.1.1 Les formes de socialité en Afrique précoloniale

Différentes formes de socialité ont été développées en Afrique précoloniale. Pour en parler, nous évoquons d’abord les modes d’organisation politique afin de traiter des États qui y ont

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existé et de leur fonctionnement, tant en ce qui concerne la nature des régimes sous lesquels ils étaient administrés, qu’en ce qui a trait aux institutions mises en place pour les gouverner. Nous examinons également les modes d’organisation sociale pour rendre compte de la manière d’envisager la vie collective, manière qu’il convient d’aborder en faisant référence à certaines pratiques sociales venant l’éclairer comme l’attachement à sa communauté clanique qui sert de fondement aux rapports sociaux entre les individus ou l’exigence de solidarité à laquelle ces derniers sont soumis.

1.1.1.1 Une organisation politique autonome

Un regard sur l’histoire précoloniale de l’Afrique subsaharienne laisse voir qu’elle a connu durant cette période divers types d’organisations politiques fondées sur la création d’États dans toutes ses régions. Ces États étaient de nature différente si l’on se réfère à leur taille et aux régimes politiques à partir desquels ils étaient gouvernés. On leur avait doté d’institutions gouvernementales structurées disposant de compétences larges pour administrer les populations, ce qui témoigne du caractère autonome de l’activité politique qui était pratiquée dans ce continent.

La présence des États dans différentes régions d’Afrique précoloniale

Les sociétés africaines ont été marquées durant les siècles qui ont précédé la colonisation par une intense activité politique. Cette activité a été le fait des États qui ont été instaurés dans la plupart de ses régions au cours de cette période. Métégue me N’nah (1978) a répertorié, dans le cas de ce qui correspond aujourd’hui au Gabon, trois types d’États en les distinguant selon les régimes politiques sur la base desquels ils étaient gouvernés, mais aussi selon les groupes ethniques qui les avaient mis en place. À ce propos, il relève l’existence des villages-États notamment chez les Fang3 dont les villages étaient des entités

politiques indépendantes correspondant à un clan ou à une fraction de clan. Celles-ci avaient à leur tête un chef qui, bien que choisi parmi les personnes les plus âgées, était entouré d’un conseil des anciens servant comme instance de prise de décisions. Selon l’auteur, les États à régime confédéral constituent un autre type d’État rencontré dans ces

3 Les Fang occupent la moitié nord du Gabon, précisément les provinces de l’Estuaire, du Moyen Ogooué, de

l’Ogooué Ivindo et du Woleu-Ntem. On les retrouve également en Guinée équatoriale et au sud du Cameroun.

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sociétés où ils étaient l’apanage des peuples M’pongwé4 et Gisir5 dont les membres,

regroupés en clan, partageaient un même espace géographique. Dans ces États, affirme-t-il, les villages n’étaient plus des entités politiques indépendantes comme chez les Fang, mais leurs chefs obéissaient à une autorité supérieure à qui ils devaient rendre des comptes. Il signale enfin les États organisés suivant le modèle monarchique qu’il attribue aux peuples Nkomi6 et Téké7. À son avis, leur particularité tenait précisément au fait que l’autorité des

souverains qui les dirigeaient ne se limitait plus à un seul clan, encore moins à un seul village, mais s’étendait à l’ensemble du groupe ethnique.

À l’instar des sociétés gabonaises précoloniales, d’autres régions d’Afrique subsaharienne ont également connu différentes types d’États à la même époque. À ce propos, selon Coquery Vidrovitch (2005), on peut dans ce contexte distinguer également trois catégories d’États. La première catégorie correspond aux Cités-États de l’Afrique ancienne, mais aussi aux empires médiévaux d’Afrique de l’Ouest comme le Ghana, le Mali et le Songhaï et d’Afrique australe comme l’État Shona du Zimbabwe. À son avis, ce qui fait la singularité de ces États, c’est l’imbrication de multiples pouvoirs diversifiés, notamment ceux à caractère lignager, ceux portant sur le domaine religieux, et ceux touchant aux dimensions économiques ou commerciales. La seconde catégorie renvoie aux États-nations précoloniaux. Il en est ainsi de l’État du Daxomé et du royaume Ashanti en Afrique occidentale ou encore du royaume du kongo en Afrique centrale. D’après l’auteure, cette deuxième catégorie d’États se caractérise par le fait que les populations dont ils étaient peuplés avaient en partage, non seulement un passé commun, mais aussi les mêmes repères sur les plans culturel et économique. La troisième catégorie fait référence aux États de conquête mis en place surtout au XIXe siècle. Il en est ainsi de l’empire Zoulou de Shaka en

Afrique australe, mais aussi des royaumes djihadistes d’Afrique occidentale à l’instar de ceux d’Ousman dan Fodio et d’El Hadj Omar. Leur organisation, poursuit-elle, reposait essentiellement sur une politique annexionniste qui, dans le premier cas, cherchait à

4 Les M’pongwé constituent un sous-ensemble du groupe Myéné ou Omyéné. On le rencontre surtout sur la

côte gabonaise, notamment dans la province de l’Estuaire.

5 Les Gisir appelés aussi Eshira font partie du groupe Mérié. Ils occupent surtout le centre et le sud du Gabon,

c’est à-dire les provinces du Moyen-Ogooué, de l’Ogooué-Lolo, de la Nyanga et de la Ngounié

6 Les Nkomi représentent une autre composante du groupe Myéné. Ils occupent également la zone côtière,

notamment la province de l’Ogooué maritime.

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satisfaire des ambitions purement hégémoniques et visait l’expansion de l’Islam dans le second.

Quel que fût leur taille ou leur régime politique, les différents États qui ont animé la vie politique de l’Afrique subsaharienne précoloniale étaient délimités par des frontières8.

Celles-ci n’étaient pas des lignes fixes sur une carte géographique, mais correspondaient à des marges fluctuantes situées aux confins des États dont les souverains et les populations savaient s’approprier. Elles assuraient différentes fonctions qui ont été mises en lumière par Coquery Vidrovitch (1995). De son point de vue, ces marges délimitaient tant bien que mal l’aire au sein de laquelle s’exerçait l’autorité d’un souverain, même si les multiples pouvoirs parfois contradictoires dont il jouissait (lignagère, politique, économique et religieuse) ne permettaient pas toujours de saisir jusqu’où cette aire pouvait concrètement s’étendre. De telles marges servaient également de zones de contacts entre les États voisins. En effet, elles se présentaient non seulement comme un espace où s’opéraient des échanges commerciaux, mais apparaissaient aussi comme un lieu que chacun voulait contrôler pour en tirer le meilleur avantage, ce qui pouvait être à l’origine de certaines rivalités, voire des conflits armés entre eux. C’est un tel enjeu qui permet à l’auteur de souligner que de telles marges servaient finalement d’indice témoignant du niveau de rayonnement atteint par un État. Autrement dit, celles-ci étaient le signe d’une expansion politique, culturelle et économique d’un État lorsqu’elles s’agrandissaient à son profit. En revanche, ces marges pouvaient traduire une certaine décadence dont un État faisait l’objet quand elles s’atrophiaient à son désavantage.

Des institutions gouvernementales dotées de compétences larges pour administrer les populations

Lorsqu’on se réfère aux frontières des États précoloniaux, on s’aperçoit clairement que ceux-ci pouvaient bel et bien revendiquer un territoire au sein duquel vivaient des populations qu’il fallait administrer. C’est la raison pour laquelle il leur était indispensable

8 Toutefois, comme nous le verrons ultérieurement, ces frontières ont été démantelées par celles que les

puissances européennes devaient instaurer pour créer des possessions coloniales en Afrique à l’issue de la conférence de Berlin (1884-1885). C’est sur la base de ces « frontières lignes » que sont nés les nouveaux États à la suite du processus de décolonisation (Joss, 2013). Elles ont été entérinées par l’Organisation de l’unité africaine (actuellement Union africaine) qui a reconnu l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, même si leur contestation est parfois à l’origine des conflits entre les États (Robert, 2013).

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de se doter d’institutions gouvernementales bien structurées et capables de mettre en œuvre diverses initiatives qui allaient de pair avec un tel impératif. Dans le cas du royaume du Kongo par exemple, Élikia M’bokolo (1995) rapporte que celui-ci était doté d’un pouvoir central dont le siège était localisé dans la capitale Mbanza kongo. Ce pouvoir avait à sa tête un souverain, le Mani kongo qui était entouré de trois instances à savoir le Conseil royal, la Cour du roi ainsi que le Conseil des chefs et des personnalités jugées influentes. Ces institutions avaient pour rôle d’élire le roi, même si celui-ci fut aussi à un moment donné désigné de manière héréditaire. Elles devaient l’assister également dans ses prises de décisions et mettre en œuvre les mesures royales, jouant ainsi le rôle de contre-pouvoirs9

permettant de se prémunir de toute dérive autoritaire de la part du roi. En plus des institutions liées au pouvoir central, comme le précise l’auteur, le royaume du Kongo était également doté d’institutions régionales ou décentralisées chargées d’appliquer localement la politique royale. C’est le cas des gouverneurs provinciaux qui étaient nommés par le roi ou choisis de manière héréditaire. Il en est de même des chefs des sous-provinces, lesquelles correspondaient en fait à des entités politiques plus anciennes, mais moins rayonnantes de telle sorte que le royaume du kongo avait réussi à les annexer.

On doit toutefois relativiser le caractère structuré et affirmé de ces institutions. Coquery Vidrovitch (1983: 52) souligne dans ce sens que même dans le cas des États relativement forts et centralisés tels ceux du Soudan médiéval ou les Empires théocratiques du XIXe siècle, il est difficile de réduire le fonctionnement du pouvoir à une sorte de hiérarchisation administrativo-politique verticale de type pyramidal. En fait, poursuit-elle, le chef se trouvait à la croisée d’au moins trois types de réseaux imbriqués qui rentraient en ligne de compte dans l’exercice du pouvoir. Elle cite en premier lieu les relations politiques stricto

sensu qui impliquaient la reconnaissance d’une autorité étatique centrale. Viennent ensuite,

selon elle, les relations lignagères fondées sur les liens familiaux qui jouaient un rôle

9 Otayek (1997) signale que des institutions similaires existaient dans d’autres États. Il en est ainsi des

royaumes Wolof du Sénégal où des dispositions institutionnelles limitaient l’autorité monarchique. Il en est de même des royaumes akan, situés entre le territoire ghanéen et le Sud-Est de la Côte-d’Ivoire, et où des lois non écrites balisaient le champs de compétence des monarques et pouvaient conduire à des destitutions lorsque celles-ci n’étaient pas observées. La même situation se présentait au royaume moose du Nord du Burkina Faso dans lequel l’organisation administrative procédait souvent par une « démultiplication des niveaux de pouvoir en mettant en place des intermédiaires ou des courroies de transmission » entre centre et périphérie, le but étant d’empêcher la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul individu (p.

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déterminant dans la gestion de ces États. L’auteure mentionne finalement les relations de dépendance personnelle qui, tantôt recouvraient, tantôt contrariaient les deux réseaux précédents selon la nature des rapports qu’entretenaient les différentes structures de l’autorité politique. De tels rapports, ajoute-t-elle, pouvaient être, soit symétriques, notamment entre les chefs de lignage ou de village, soit plus hiérarchiques ou verticaux entre ces derniers et le pouvoir central pour ce qui est précisément des sociétés où il y en avait.

Malgré l’existence des différents réseaux qu’on vient d’évoquer, les institutions gouvernementales prenaient une place significative sur le plan de l’administration des États d’Afrique précoloniale eu égard aux compétences larges touchant divers domaines de la vie sociale dont elles étaient dotées. Mentionnons quelques-uns en nous référant à Terray (1988) qui en a fait état dans le cas des royaumes d’Afrique occidentale du XVe siècle. Pour

lui, l’un des champs de compétence où s’exprimait l’autorité des institutions gouvernementales concerne la justice et le maintien de l’ordre public, ce qui nécessitait de réprimer les malfrats et de recevoir les recours formulés par certains individus lorsqu’ils s’estimaient lésés par les jugements qui avaient été prononcés. Selon l’auteur, ces institutions intervenaient également en matière de gestion des ressources publiques, ce qui exigeait de prélever un tribut en nature ou en travail chez les sujets ou de consigner les esclaves pour certaines tâches d’intérêt collectif ou à réaliser au profit du souverain. Il ajoute que la défense et la sécurité du pays faisaient aussi partie de leurs prérogatives. Celles-ci demandaient précisément non seulement de décider du moment opportun pour entrer en guerre contre un État voisin estimé menaçant, mais aussi d’assurer le commandement militaire sur le terrain lorsque le conflit était effectivement enclenché. Cette compétence était intimement liée à celle de gardien du culte étant donné que celui qui l’assurait devait également présider les cérémonies religieuses permettant de solliciter la protection des dieux en pareilles circonstances. Un dernier domaine qu’il a mentionné a trait aux relations extérieures dont la gestion consistait pour un monarque non seulement à recevoir les « ambassadeurs » envoyés par les souverains amis, mais aussi à porter à leur attention certaines demandes par l’entremise des émissaires commissionnés auprès de ces derniers.

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Si des compétences larges étaient attachées aux institutions gouvernementales qui assuraient l’administration des États, il y a lieu de s’interroger sur la manière dont celles-ci s’organisaient pour les mettre en œuvre. Terray (1988) nous apporte une fois de plus un éclairage à ce sujet lorsqu’il précise les modalités de prise de décisions observées chez les gouvernants. De son point de vue, les initiatives qu’il fallait prendre concernant la vie du royaume n’étaient pas imposées par un seul individu. Pour en décider, il fallait plutôt organiser de longues séances de délibérations, aussi bien entre gouvernants eux-mêmes, qu’entre ceux-ci et les populations. Comme l’affirme l’auteur, dans un cas comme dans l’autre, ces délibérations fonctionnaient selon le principe de la palabre africaine qui prône la recherche du consensus pour le bien de l’ensemble de la collectivité au lieu de l’affrontement des positions individuelles antagonistes visant surtout à satisfaire les intérêts personnels. Ainsi, soutient-il, lorsque les discussions avaient lieu entre les gouvernants, on traitait par exemple des questions comme la distribution des pouvoirs et des ressources entre le souverain et ses lieutenants, la place qu’il fallait accorder aux princes et aux serviteurs au sein de la cour ou la manière d’exercer le contrôle sur les populations des États nouvellement conquis. En revanche, quand ces discussions étaient organisées entre les gouvernants et les populations, cela donnait par exemple l’occasion de décider des délits relevant spécifiquement de la justice royale et ceux exclusifs à la justice familiale, de choisir le « taux » d’imposition qu’il convenait d’exiger aux individus ou d’arbitrer entre l’importance qu’il fallait réserver aux échanges commerciaux et celle qu’on devait accorder à la guerre dans la mesure où celle-ci pouvaient les perturber, même si elle contribuait parallèlement à l’expansion du royaume. C’est la tenue de tels débats qui amène l’auteur à soutenir l’idée suivant laquelle l’Afrique subsaharienne avait contribué à sa manière au développement du phénomène politique dans le monde.

Il convient toutefois de souligner que si, comme on vient de le voir, l’organisation des débats pour prendre des décisions concernant la vie de l’État témoigne de l’existence de contre-pouvoirs dans son fonctionnement, ceux-ci masquent tout de même quelques limites dont témoigne cette pratique sociopolitique. Mentionnons au nombre de ces limites la discrimination observée entre les individus pour avoir accès à la parole et prendre part effectivement à la prise de décision dans les sociétés africaines anciennes. Cette discrimination explique les réserves que Bayart (1991: 8) formule quant à l’importance

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qu’on attachait à la délibération. S’il reconnait la place significative que celle-ci pouvait prendre, il souligne néanmoins que sa portée était entravée par la hiérarchisation des statuts des individus, hiérarchisation qui, selon lui, faisait en sorte que seules certaines catégories sociales, notamment les hommes les plus âgés, avaient accès à la parole et participaient réellement au processus de prise de décision à l’exclusion des jeunes, des femmes et des gens ordinaires qui étaient ainsi marginalisés. De plus, note-t-il ce caractère délibératif des sociétés africaines n’empêchait nullement que le pouvoir fut souvent conquis et exercé par des groupes ou des individus en faisant recours à la violence ou au monde de l’invisible comme la magie, la sorcellerie et la divination. Vient s’ajouter à ces limites le principe du consensus que prône la palabre africaine. Selon Coquery Vidrovitch (1992), ce principe suppose l’adhésion collective et sans exception de l’ensemble du groupe à une seule position, voire à un seul homme pour décider de la façon de gérer les affaires collectives. Or, souligne-t-elle, comme une telle adhésion nécessite de taire les prises de position non orthodoxes, elle remet de facto en cause non seulement les divergences de vue, mais surtout la compétence critique que devraient exercer en pareilles circonstances les contre-pouvoirs évoqués.

Une autre limite que l’on peut attacher à la pratique de la délibération dans les sociétés précoloniales d’Afrique subsaharienne et aux contre-pouvoirs qu’elle implique a trait à la sacralisation entourant l’autorité du chef. Autrement dit, celui qui en était le détenteur était perçu comme une personnalité hors du commun, un être supérieur à qui on attribuait des compétences surnaturelles, ce qui justifiait que celui-ci bénéficie de privilèges inégalés et soit vénéré et craint par les populations qui, de ce fait, pouvaient difficilement le remettre en cause. Ce caractère sacré du pouvoir politique dans ces sociétés s’observait notamment dans les Cités-États. Balandier (1964) fait remarquer à ce propos que dans ce type d’États, observés surtout dans les communautés claniques, la supériorité du chef lui venait de sa position de trait d’union entre le « clan (ou lignage) actuel, constitué par les vivants, et le clan (ou lignage) idéalisé, sacralisé, symbolisé par la totalité des ancêtres » (p. 34). À son avis, c’est une telle position qui faisait de lui le gardien du culte des ancêtres et légitimait les privilèges dont il pouvait se prévaloir. Cette sacralisation du pouvoir se manifestait également au sein des États dotés d’une autorité centralisée. Selon l’auteur, le souverain y était considéré comme un descendant et un mandataire des dieux. C’est la raison pour

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laquelle on lui attribuait des compétences spirituelles à caractère religieux, magique ou mystique. C’est pour cette même raison qu’il devait accomplir certains rituels accompagnant sa prise de fonction comme « l’inceste royal » (p. 36) avec la reine mère ou avec la reine sœur pour montrer qu’il était au-dessus des relations sociales ordinaires de parenté dans lesquelles s’inscrivait le reste de la population.

La sacralisation du pouvoir dans les sociétés d’Afrique ancienne pouvait également se lire à travers un certain nombre d’artefacts qui le symbolisaient. Élikia M’bokolo (1991) évoque à cet effet les cérémonies fastueuses que l’on organisait en l’honneur du roi lors de son intronisation pour montrer que celui-ci s’inscrivait désormais dans un autre univers en rupture avec la vie des individus ordinaires, comme en témoigne la localisation géographique de son palais généralement situé à un endroit clôturé et retiré des autres habitations. Il fait également référence aux multiples insignes grandiloquents tels que le chapeau, le tambour, la corbeille, le trône, le chasse-mouche, le sceptre, les peaux de bêtes féroces qui servaient comme attributs du pouvoir dont il était paré à cette occasion, lesquels étaient généralement fabriqués avec des matériaux précieux (bois, fer, ivoire) pour traduire la grandeur ainsi attachée à sa fonction.

* * *

En somme, les différents types d’États qui ont existé dans les sociétés noires africaines y compris au Gabon d’avant la colonisation et la manière dont ils étaient gouvernés laissent voir qu’on y exerçait des pratiques politiques à différents niveaux, soit un niveau micro ou local dans le cas des Cités-États et un niveau macro ou plus élargi pour ce qui est des royaumes ou des empires. Certains royaumes ont disparu à cause de l’occupation coloniale et l’émergence des États modernes nés de la décolonisation. D’autres royaumes ont subsisté au sein des nouveaux États. Il en est ainsi des royaumes Mossi au Burkina Faso et Bamiléké au Cameroun pour ne citer que ces exemples. D’autres encore sont même réhabilités comme on peut l’observer dans le cas des royaumes de Buganda, Ankolé, Toro et Bunyoro en Ouganda, ce qui amène certains à parler du « retour des rois » (Perrot et Fauvelle, 2003). Qu’ils soient disparus ou encore fonctionnels, tous ces royaumes marquent encore les esprits des populations dans la mesure où ils témoignent d’un héritage qui se traduit dans une certaine conception de l’autorité politique. Selon nous, une telle

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conception semble osciller entre, d’une part, l’ouverture au partage du pouvoir qu’autorise la concertation ou palabre dans la prise de décisions relatives aux questions d’intérêt collectif et, d’autre part, la dimension autoritaire de ce même pouvoir vu son caractère à la fois personnel et sacré, le chef étant souvent considéré comme une personne infaillible et invulnérable qu’on ne saurait mettre en doute.

1.1.1.2 Des pratiques sociales témoignant d’une certaine conception de la vie collective Si les sociétés précoloniales noires africaines disposaient des États organisés, elles avaient aussi mis en place certaines pratiques sociales qui définissaient leur manière de concevoir le vivre ensemble en leur sein. Cette conception était fondée sur l’importance significative accordée à l’attachement à sa communauté clanique à laquelle ses membres devaient s’identifier. C’est au nom d’un tel attachement qu’il leur fallait témoigner de diverses formes de solidarité les uns envers les autres pour préserver l’équilibre et la pérennité de leur groupe. Cet attachement explique également l’instauration dans ces sociétés d’une forme de justice symbolisée par la palabre africaine dont la principale fonction visait la résolution pacifique des conflits au moyen des débats publics, ce qui permettait de promouvoir des relations sociales harmonieuses entre les membres d’un même clan.

L’attachement à sa communauté clanique comme fondement des rapports sociaux

Dans les sociétés d’Afrique noire précoloniale, la vie collective était fondée sur la filiation de l’individu à une communauté qui pouvait être sa famille, son lignage, son clan, sa tribu ou plus globalement son groupe ethnique. Cette filiation prenait une signification toute particulière au regard de la place assignée à l’individu dans ces sociétés. Selon Kaputa Lota (2009), celui-ci était considéré comme un être communautaire, un maillon d’une longue chaine sociale qui le reliait en amont à ses ancêtres disparus, mais aussi à ses ainés, tout comme elle l’attachait en aval à sa descendance, c’est-à-dire à ses cadets, fils et filles ainsi qu’aux enfants à naître. S’instaurait ainsi un lien d’interdépendance10 entre toute personne

et son clan de sorte que considérée isolément, celle-ci n’avait aucune assise de même que

10 Un tel lien pouvait s’élargir aux groupes extérieurs avec lesquels on avait tissé des alliances comme celles

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son clan ne prenait toute son importance qu’en fonction du nombre et de la qualité des personnes qui le composaient.

L’importance ainsi accordée à la filiation à une communauté clanique impliquait deux principales incidences sur la vie sociale que distingue Kaputa Lota (2009). La première concerne les rapports sociaux dans la mesure où c’est au nom d’une telle filiation que les membres du clan devaient se soutenir mutuellement et s’abstenir de se faire du tort entre eux. Quant à la seconde incidence, celle-ci met en exergue le statut de biens collectifs conférés à certains moyens de production comme la terre, les cours d’eaux, les forêts, biens auxquels chacun devait avoir accès pour en jouir à sa guise selon ses besoins en se gardant toutefois de les brader.

La nécessité de faciliter l’attachement des individus à leur communauté clanique avait permis que l’on fasse appel, dans les sociétés précoloniales, à certaines stratégies permettant de répondre à une telle exigence. C’est la fonction que devait remplir l’éducation traditionnelle par laquelle, selon Akindès (2003), on devait amener les individus à s’approprier l’idée qu’ils formaient tous la descendance d’un ancêtre commun auquel ils devaient s’identifier afin de faciliter l’intégration à leur clan. C’est par l’éducation traditionnelle qu’on leur enseignait également les prérogatives auxquelles ils pouvaient prétendre et les exigences qu’il leur fallait satisfaire vis-à-vis de leur communauté clanique dépendamment de la position sociale qu’ils occupaient au sein de celle-ci. À ce propos, soulignons avec Olivier de Sardan (1994 : 119) qu’une telle position reposait principalement sur la « séniorité » que Tanghe (1930 : 78) associe à une forme de « droit d’ainesse », lequel sans constituer un droit au sens propre du terme, traduit plutôt l’asymétrie caractérisant les rapports entre les personnes les plus jeunes ou considérées tels et celles plus âgées ou bénéficiant de cet statut à qui les cadets doivent respect et obéissance. Finalement, l’éducation traditionnelle était l’instrument par lequel on pouvait amener les gens à comprendre les contraintes qu’impliquait l’appartenance à une communauté clanique, contraintes qui étaient le plus souvent symbolisées par les interdits qu’il fallait respecter (Mungala, 1982). Il est utile de préciser à ce propos que si la violation de ces interdits donnait lieu à des malédictions et pouvait favoriser l’exclusion du groupe, en revanche leur appropriation constituait une des conditions à laquelle tout individu devait

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répondre pour être reconnu par les autres membres du clan comme faisant partie des leurs (Adjamagbo, 1997).

Une autre stratégie visant l’insertion des individus dans leur clan concerne la constitution de sa mémoire collective par laquelle on cherchait à leur faire prendre conscience qu’ils partageaient la même histoire. C’est cette nécessité qui explique, selon Akindès (2003), la valorisation de certains référents symboliques le concernant. D’après l’auteur, celle-ci permettait de fournir aux individus des informations relatives à ce sur quoi reposait l’identité de leur communauté de façon à les amener à comprendre ce qu’ils avaient en partage, mais aussi ce qui leur permettait de se démarquer des autres groupes. Il souligne qu’un des référents souvent mis de l’avant à cet effet concerne les récits par lesquels on retraçait les origines des ancêtres communs qui avaient contribué à mettre en place le système de valeurs auquel un clan pouvait se réclamer. Selon lui, d’autres référents comme les chants, les contes et les légendes étaient également mobilisés dans le but de rappeler à ses membres les grands faits réalisés par ces personnages historiques ainsi que ceux de la communauté dans son ensemble.

Ces stratégies ont permis aux individus de témoigner, d’une manière ou d’une autre, un attachement à leur communauté clanique, développant ainsi ce que Coquery vidrovitch (1995: 124) désigne par « sentiment ethnique » ou « fait national précolonial ». Cette auteure entend par là la « conscience pour les gens habituée à vivre ensemble d’appartenir à une communauté linguistique, culturelle, et politique hérité d’un passé commun ». C’est un tel sentiment qui lui fait dire que, tout comme on a pu le constater dans d’autres régions du monde, notamment en Europe, les peuples qui formaient les sociétés noires africaines d’avant la colonisation avaient eux aussi, mais à leur manière, connu un processus de constitution en « nation ».

La pratique de la solidarité comme exigence pour les membres d’une communauté clanique

Une des pratiques sociales qui traduit l’attachement à sa communauté clanique, en tant que socle de la vie collective dans les sociétés précoloniales d’Afrique noire, a trait à la solidarité que doivent démontrer les individus les uns à l’égard des autres. Précisons d’abord que cette solidarité n’est pas désincarnée, mais se fonde sur un certain nombre de

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