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Un cadre politico-légal qui n’offre pas d’appui à l’expression de la démocratie

CHAPITRE 1 LE CONTEXTE SOCIÉTAL PRÉSIDANT L’ÉDUCATION À LA

1.2 L’examen du processus démocratique pour éclairer le cadre d’exercice de la

1.2.2 Les obstacles à la démocratisation des États africains

1.2.2.1 Un cadre politico-légal qui n’offre pas d’appui à l’expression de la démocratie

personnalisation du pouvoir présidentiel, laquelle se traduit par la vassalisation des autres institutions et la confiscation des ressources collectives. De tels obstacles font aussi référence au manque d’indépendance de la justice, celle-ci étant le plus souvent placée au service des personnes privilégiées.

La « personnalisation du pouvoir »26 présidentiel

Malgré l’affirmation des principes démocratiques par les nouvelles Constitutions des États africains, on s’aperçoit que certaines pratiques politiques qui avaient cours pendant la période autoritaire n’ont pas été abandonnées. Il en est ainsi de la personnalisation du pouvoir (Foucher, 2009 : 129) du président de la République que l’on observe dans plusieurs pays africains et au Gabon. Les indices qui en témoignent peuvent être cherchés du côté des attributions officielles qui lui sont octroyées. Celles-ci apparaissent aux yeux de Guèye (2009) comme étant très vastes si bien qu’il parle de « l’hypertrophie des pouvoirs reconnus par les Constitutions au président » (p.16) pour signifier le contrôle qu’il exerce sur l’ensemble de la vie politique, économique et sociale de son pays. En effet, mentionne- t-il, ces pouvoirs lui permettent de définir la politique de la nation et de nommer des personnes aux hautes fonctions politiques, administratives, judiciaires et militaires. Il arrive souvent qu’il cumule de telles compétences avec la fonction de chef du parti d’où il recrute la plupart des cadres promus au sein de l’appareil politico-administratif. L’auteur estime que cette double position hégémonique au sein de l’appareil de l’État et dans son parti confère au président la réalité du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Autrement dit, cela l’aide à vassaliser les institutions constitutionnelles en plaçant à leur tête des proches. Ceux-ci, pour préserver leur place ainsi que les multiples avantages qui en découlent, vont à leur tour instrumentaliser ces institutions en les administrant de manière à faciliter le maintien au pouvoir du président. Ainsi vassalisées et instrumentalisées, note l’auteur, celles-ci ont du mal à participer à la consolidation de la démocratie pour laquelle elles ont pourtant été mises en place. En effet, téléguidées depuis la présidence, elles ne peuvent

plus, ni contribuer à la séparation des pouvoirs, ni jouer leur rôle de contre-pouvoirs pourtant prévus dans les nouvelles Constitutions. Signalons que l’un des aspects qui éclaire le mieux une telle situation concerne le rôle mécanique des parlements qui, dans le seul but de permettre au président de confisquer le pouvoir comme à l’époque des régimes autoritaires, procèdent ces derniers temps au déverrouillage des dispositions liées à la limitation et à la durée des mandats présidentiels ainsi qu’à celles relatives au mode de scrutin, remettant ainsi en cause l’un des acquis importants du processus de démocratisation de ces États (Dosso, 2012; Fall, 2012).

En plus de se traduire par la vassalisation des autres institutions constitutionnelles, la personnalisation du pouvoir présidentiel s’exprime également par la latitude que se donnent les présidents africains de disposer des ressources publiques comme s’il s’agissait de leurs biens personnels. C’est cette manière de faire que Jean-François Médard (1990) assimile à une gestion « néo-patrimoniale » de l’État (p. 29). Il entend par là le fait que ceux-ci, parvenus aux pouvoirs, utilisent leur fonction comme s’ils les avaient héritées de leur famille, ce qui les amène à s’approprier tout bonnement les ressources qui leur sont allouées de manière à soutenir leur enrichissement personnel tout en l’encourageant chez leurs collaborateurs à telle enseigne qu’on assiste à une corruption généralisée dans ces États. Une situation très illustrative de ce mode de gestion publique a trait, selon nous, à l’affaire dite des biens mal acquis. Celle-ci a été soulevée par la section française de Transparency international27 qui a intenté, à l’automne 2008 à Paris, des poursuites

judiciaires contre trois chefs d’État d’Afrique centrale28 dont celui du Gabon et certains de

leurs proches qu’elle accuse de s’être servi dans les caisses de leurs pays respectifs pour acquérir un vaste patrimoine immobilier et automobile sans commune mesure avec les revenus officiels qui leur sont alloués (Foucher, 2009).

27 Transparency International (TI) est une organisation non gouvernementale internationale d’origine

allemande. Cette institution a pour but d’encourager la transparence et l’intégrité dans la vie publique en faisant de la lutte contre la corruption des gouvernements et des institutions internationales son cheval de bataille. Fondée par Peter Eigen en 1993, elle possède à ce jour des sections autonomes dans un grand nombre de pays développés et en voie de développement.

28 Il s’agit de l’ex-président Omar Bongo du Gabon, du président congolais Denis Sassou N’guesso et du

président équato-guinéen Théodore Obiang Nguéma Mbasogo. À ce propos, on pourra lire avec intérêt l’ouvrage de Harel et Hofnung (2011) intitulé le scandale des biens mal acquis, enquête sur les milliards volés de la Françafrique.

Une telle gestion des ressources publiques est indissociable d’une autre pratique que Jean- François Bayart (1989) désigne, sous le titre d’un de ses ouvrages, la « politique du ventre ». Celle-ci renvoie à la générosité dont les présidents africains font souvent preuve, laquelle ne vise rien d’autre que leur maintien au pouvoir. Il relève à ce propos qu’au lieu de répondre aux préoccupations sociales de leurs concitoyens par des voies institutionnelles, ceux-ci préfèrent distribuer à leurs proches, mais aussi à leur population une partie des deniers publics dont ils se sont appropriés afin, non seulement de rehausser leur propre prestige politique, mais aussi de susciter l’adhésion à leur régime. S’instaure alors un système de clientélisme qui les pousse à ne récompenser que ceux qui leurs sont fidèles, quand ceux qui se montrent réfractaires à leur régime sont victimes d’une forme d’exclusion sociale et politique visant à les sanctionner dans leur choix sauf quand il s’agit, comme on peut le voir avec certains opposants, de leur faire changer de position. Ce clientélisme favorise à son tour l’instrumentalisation du fait ethnique étant donné que le système de récompense ainsi instauré procède également, comme nous l’avons vu plus haut, à une répartition ethno régionale des fonctions politico-administratives et des projets de développement que l’on qualifie au Gabon de géopolitique (Nguéma Minko, 2008). Il est clair qu’une telle pratique affecte l’intégration nationale de ces États en raison des tensions qu’elles suscitent entre groupes ethniques pour l’accès à des positions privilégiées pouvant assurer une meilleure part du gâteau national.

Le manque d’indépendance de la justice

Dans tout système démocratique, la justice se distingue du politique et doit assurer la régulation sociale au nom des citoyens et citoyennes en se basant sur les textes de loi. On peut penser qu’il devrait en être de même dans les États africains et au Gabon. Or, l’on constate que si ce principe est reconnu par les nouvelles Constitutions de ces États, sa traduction effective reste problématique en raison du manque d’indépendance auquel la justice est confrontée dans ces pays. Une telle situation s’explique par la suprématie que l’exécutif exerce sur les institutions judiciaires. En effet, ainsi que le précise Rossatanga- Rignault (1996), cette suprématie est encouragée par les Constitutions vu que leurs dispositions suggèrent le plus souvent que le président de la République soit également celui qui préside le Conseil supérieur de la magistrature, ce qui remet la carrière des

magistrats entre ses mains et offre au gouvernement des marges de manœuvre assez larges pour contrôler le travail de la justice.

Ce contrôle prend au quotidien la forme d’un « interventionnisme politique » dont parle Alou (2001: 72) pour désigner les initiatives concrètes que le gouvernement entreprend dans ce sens. De son point de vue, une de ces initiatives concerne l’affectation des magistrats par laquelle l’exécutif s’assure d’avoir des proches ou des fidèles à des postes stratégiques de l’appareil judiciaire. Une fois cette étape de vassalisation de la justice franchie, des obstructions peuvent être posées facilement au travail des juges, notamment dans le traitement des dossiers jugés brulants. Selon l’auteur, celles-ci relèvent de la responsabilité personnelle du ministre de la Justice qui, face à de tels dossiers, prend alors attache avec les magistrats préalablement promus au sommet de la hiérarchie judiciaire de manière à ce qu’ils interviennent auprès de leurs collègues en charge du dossier en cause pour infléchir leur verdict. D’après Ngimbog (2002), ceux-ci de leur côté ne pourront faire autrement que de se montrer complaisant en exécutant, sans état d’âme, les consignes du ministre dans la mesure où cela leur facilite en retour des promotions que l’auteur qualifie de « prime à la fidélité et au clientélisme politique » (p. 304). Dans ces conditions, relève-t- il, on ne pourra s’étonner que des procédures dans lesquelles les pouvoirs politiques et leurs alliés sont impliqués restent le plus souvent lettre morte, mettant la justice au service des puissants et faisant ainsi de la légalité un principe constitutionnel sans saveur pratique dans ces États.

Il convient toutefois de souligner que l’interventionnisme politique n’est pas l’unique cause à l’origine du manque d’indépendance de la justice dans les pays noirs africains. Cet état de fait découle également des pratiques contraires à l’éthique professionnelle auxquelles se livrent les magistrats eux-mêmes. Il en est ainsi de la corruption par laquelle ils échangent les décisions de justice contre des récompenses financières, cultivant ainsi, non pas les valeurs démocratiques comme l’égalité et la légalité, mais plutôt, et aussi paradoxal que cela puisse paraitre, l’arbitraire et les passe-droits. À ce propos, Alou (2001) souligne que différentes décisions comme l’affection des prévenus dans les quartiers de la prison, le classement des affaires sans suite, les remises de peine ou la liberté provisoire sont au cœur des « transactions marchandes » (p. 68) entre les magistrats et les justiciables dans les

tribunaux. Il en est de même, selon lui, des actes judiciaires comme les extraits de casiers judiciaires, les jugements supplétifs et les certificats de nationalité, leur établissement étant conditionné par des rétributions financières réclamées aux usagés. À son avis, s’ajoutent à ce type de corruption les services que les magistrats rendent à leurs nombreux « parents » en prenant certaines décisions en leur faveur, non pas en se référant à la loi, mais plutôt en se basant sur les liens de solidarité claniques qui les rapprochent. Comme on peut le voir, la justice s’exerce ainsi dans ces pays au profit des personnes nanties, lesquelles bénéficient alors d’une certaine impunité contrairement aux citoyens des classes sociales défavorisées qui ne disposent pas de ressources pouvant leur permettre « d’acheter » les décisions de justice.