• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 LE CONTEXTE SOCIÉTAL PRÉSIDANT L’ÉDUCATION À LA

1.2 L’examen du processus démocratique pour éclairer le cadre d’exercice de la

1.2.2 Les obstacles à la démocratisation des États africains

1.2.2.2 Une faible traduction des valeurs démocratiques dans la vie des citoyens

Les obstacles associés à la traduction même des valeurs et principes démocratiques dans la vie sociale des citoyens et citoyennes s’expriment par la faible protection des droits constitutionnels qui leur sont octroyés au regard des violations répétées dont ceux-ci font l’objet. De tels obstacles prennent aussi la forme liée au non-respect de la souveraineté du peuple compte tenu des manipulations dont les élections politiques organisées dans ces pays sont souvent entachées.

La faible protection des droits humains

Si les droits humains sont clairement proclamés par les nouvelles Constitutions africaines, il n’en demeure pas moins que ceux-ci restent faiblement protégés par les gouvernements en place y compris celui du Gabon. Une telle situation ne saurait surprendre compte tenu des dysfonctionnements de la justice dont nous venons de faire état dans les paragraphes qui précèdent. Nombreux sont les exemples qui témoignent des violations des droits humains dans les pays africains. Nous nous limiterons toutefois à quelques cas qui permettent de les éclairer. Dans ce sens, nous référant à Rossatanga-Rignault (1996), mentionnons d’abord le droit à la protection des citoyens contre les traitements inhumains et dégradants qui est remis en cause par les arrestations arbitraires et la torture pratiquées par les forces de sécurité dans les commissariats, même si, comme le note l’auteur, on peut attribuer cette situation aux lacunes de leur formation professionnelle. L’exercice du droit

contre les traitements inhumains est également entravé par la montée de la criminalité dans certains de ces pays pour ce qui est particulièrement des crimes dits rituels. Dans une interview accordée au journal en ligne gabonactu, le président de l’association de lutte contre de tels crimes au Gabon Jean Elvis Ébang affirme que ceux-ci sont commandités à des fins fétichistes par des personnalités politiques qui veulent accéder ou se maintenir dans de hautes fonctions politico-administratives29. Pour cet acteur de la société civile gabonaise,

si de tels crimes soulèvent la question du respect du droit à la vie, ils posent également le problème de l’impunité dont bénéficient les politiques, aucun procès n’ayant abouti à la poursuite de ceux d’entre eux cités comme commanditaires dans ces affaires. Soulignons aussi, à l’instar d’Atenga (2003), la situation désastreuse des droits des prisonniers au regard de la surcharge des maisons d’arrêt, des incarcérations sans jugements ainsi que des conditions sanitaires déplorables auxquelles les détenus y sont confrontés. Il y a également lieu, ainsi que le précise Bantsantsa (2001), de mentionner la faible protection du droit à la protection de la santé dans le cas des malades mentaux qui, fait-il observer, errent dans les rues des grandes villes africaines sans que les pouvoirs publics se préoccupent ni de leur soin, ni de leur sécurité. Une situation semblable peut être relevée à propos des droits des enfants, lesquels sont compromis par l’abandon et la précarité dont sont victimes ceux vivant dans les rues des métropoles africaines (Vulbeau, 2010), tout comme c’est le cas pour ceux faisant objet d’une véritable traite30 entre certains de ces pays malgré de

nombreuses lois que ceux-ci ont mises en place pour lutter contre un tel fléau (Loungou, 2001).

Le droit à l’expression libre qui constitue un autre pilier de la démocratie fait aussi l’objet de multiples atteintes. On peut relever à ce propos que, si la reconnaissance de ce droit par les nouvelles Constitutions permet d’observer une certaine éclosion des journaux privés

29 C’est pour cette raison que ces crimes sont en hausse surtout à l’approche des échéances électorales ou des

remaniements ministériels. De son point de vue, de tels crimes se traduisent par des assassinats le plus souvent d’enfants et de jeunes femmes, dont les corps sont sauvagement amputés de certaines parties appelées « pièces détachées » comme la langue, les lèvres, le cœur, le cerveau, les seins, le sexe et les yeux qui seront utilisés pour les besoins de la cause.

30 Loungou (2001) note que pour des raisons essentiellement économiques, il s’organise une véritable traite

des enfants entre, d’une part, certains pays d’Afrique de l’ouest comme le Bénin, le Burkina Faso, la Côte- d’Ivoire, le Ghana, le Mali, le Nigeria et le Togo et, d’autre part, le Gabon où ils sont exploités comme domestiques ou dans des activités commerciales sans que des poursuites judiciaires soient entreprises à l’encontre des personnes impliquées dans ce trafic.

depuis plusieurs années, en revanche son exercice reste limité par diverses obstructions au travail des médias. Ces obstructions sont de différents ordres. Certaines renvoient aux pratiques de censure de la presse. Celles-ci prennent parfois appui sur les textes qui encadrent le travail des médias. À ce propos, Frère (2001) signale que dans certains pays, ces textes prévoient que les autorités scrutent les journaux avant leur parution, ce qui leur permet, soit d’exiger le retrait d’un article jugé trop critique à leur égard, soit d’interdire tout simplement la publication du numéro concerné. Pour Rossatanga-Rignault (1996), la censure est particulièrement manifeste dans les médias publics, notamment à la radio et à la télévision nationales. Leur accès est presque interdit à l’opposition. En effet, comme celles- ci servent, selon lui, d’instrument de propagande pour le régime en place, il s’ensuit que les émissions consacrées aux travaux de l’opposition y sont très rares comparativement au temps presque illimité consacré à celles diffusant les activités du parti au pouvoir. Il est clair qu’en plus de freiner l’expression du pluralisme politique, une telle situation remet également en cause l’égalité entre les citoyens et citoyennes vu le traitement discriminatoire des partis en fonction de leur positionnement idéologique. Cette censure est également mise en œuvre pour empêcher la publication des ouvrages jugés subversifs aux yeux du pouvoir. Coulibaly (2006) fait part à ce propos des stratagèmes consistant à menacer ou à arrêter les responsables des librairies qui souhaitent vendre de tels ouvrages, à les faire saisir par la police, ou à exiger aux services douaniers d’en interdire l’importation lorsqu’ils sont publiés à l’étranger.

D’autres obstructions concernent la répression des médias trop critiques envers le régime. Atenga (2003) observe à ce propos que les instances chargées de la régulation de la communication et les tribunaux, sous prétexte de l’injure, de la diffamation et de l’outrage à l’encontre de personnalités de l’État et d’autres figures du régime, prononcent le plus souvent des sanctions très lourdes à l’encontre de ces médias. Il estime que de telles sanctions, qui vont de fortes amendes, à l’emprisonnement des journalistes en passant par la suspension ou l’interdiction des journaux, réduisent l’espace des libertés démocratiques dans la mesure où elles sont à l’origine de la cessation d’activité par certains médias.

Le non-respect de la souveraineté du peuple : des élections manipulées aux résultats tronqués

Malgré l’affirmation de la souveraineté du peuple à travers le choix fait par les nouvelles Constitutions des États africains de retenir la voie élective comme seul moyen d’accès au pouvoir politique et la mise en place des lois et des commissions électorales permettant d’opérationnaliser ce choix, il reste que les élections organisées dans ces pays et au Gabon sont encore loin de remplir les critères de transparence requis dans tout système démocratique. Cela est d’autant vrai si l’on tient compte des nombreuses manipulations dont celles-ci font l’objet. De telles manipulations, avouons-le, proviennent essentiellement du pouvoir qui tient à rester en place ad vitam aeternam. Il convient donc de montrer la façon dont celles-ci se traduisent dans les deux principales phases du processus électoral que distingue Kokoroko (2009) pour ce qui est précisément de l’élection présidentielle qui ouvre les portes du pouvoir.

Soulignons que c’est d’abord dans la phase préélectorale visant à aménager les dispositifs de gestion du vote que l’on enregistre les premières manipulations. Celles-ci se traduisent par la réforme des textes qui régissent l’organisation des élections dans le but de favoriser le camp du pouvoir au détriment de l’opposition. Ainsi, comme le note Fall (2012), on observe qu’à l’approche de la fin du second mandat présidentiel, le pouvoir met à profit sa majorité parlementaire pour abroger la limitation des mandats afin de laisser libre cours au président de se représenter indéfiniment. C’est dans le même sens qu’il révise également le mode de scrutin en substituant le tour unique au double tour. Une autre manipulation des textes électoraux concerne les conditions d’éligibilité du président de la République. Selon l’auteur, la stratégie consiste ici à y introduire une série de critères en lien avec la nationalité, les fiches d’impôt, le montant de la caution financière à payer. Lorsqu’on observe ces critères de près, on se rend vite compte qu’il s’agit là des formes de restrictions qui ne sont en fait que des subterfuges visant à disqualifier des candidatures jugées gênantes pour le pouvoir. On pourrait ajouter à ce qui précède la réforme des textes relatifs au découpage des circonscriptions électorales dans la mesure où celle-ci donne lieu à l’attribution d’un nombre très élevé de sièges aux régions favorables au pouvoir en place quand en revanche on le réduit dans les provinces estimées proches de l’opposition.

C’est dans cette même logique que les commissions chargées d’organiser les élections trafiquent la liste électorale en permettant que les sympathisants du pouvoir s’y inscrivent facilement pendant que les personnes soupçonnées d’appartenir à l’opposition doivent effectuer de multiples acrobaties pour y parvenir lorsque cette inscription ne leur est pas tout simplement refusée (Nambo, 1994). Ajoutons enfin le choix tendancieux des membres des juridictions constitutionnelles qui doivent veiller à la régularité des élections, le président se gardant d’y nommer seulement des hauts magistrats et personnalités politiques acquises à sa cause pour s’assurer un arbitrage favorable en cas de contentieux électoral (Kokoroko, 2009).

La situation qui précède est aggravée par les manipulations observées pendant le déroulement des élections à proprement parler. Celles-ci consistent à poser des obstacles remettant en cause aussi bien le libre choix des citoyens et citoyennes que la transparence des élections. Pour ce qui est de la liberté de vote des individus, de tels obstacles font référence à la pratique de l’achat des consciences à laquelle se livrent souvent les candidats surtout pendant la campagne électorale. Cet achat des consciences, qui constitue une sorte de contrainte morale imposée aux électeurs, prend au moins deux formes que nous suggère Rossatanga-Rignault (1996). L’une indirecte parce que basée sur le chantage qui veut que les candidats leur présentent le risque de faire perdre à leur localité la réalisation de certaines infrastructures (écoles, dispensaires, routes) au cas où ils tourneraient le dos à leur parti. L’autre directe lorsque ces mêmes candidats s’attachent à corrompre les électeurs en leur distribuant des biens de toutes sortes (cartons d’aliments et de boissons divers, tee- shirts, pagnes) et de l’argent pour solliciter leur vote. Cette pratique d’achat des consciences, que l’on désigne au Gabon sous l’expression « stratégie des ailes de dindes » (p. 85), même si on l’observe parfois chez les membres de l’opposition, est surtout de mise chez les candidats du parti au pouvoir étant donné qu’ils disposent souvent d’énormes ressources matérielles et financières qu’assure leur mainmise sur les deniers publics. Ce qui compromet aussi la liberté de vote des individus, c’est le fait de leur imposer en quelque sorte, comme le note Kokoroko (2009), les candidats du pouvoir en ne plaçant dans les bureaux de vote que les bulletins de ces derniers, ceux de leurs adversaires issus de l’opposition ayant miraculeusement disparu.

S’agissant maintenant des obstacles posés contre la transparence des élections, si ceux-ci remontent à la phase préélectorale pour ce qui est notamment du fichier électoral comme nous l’avons vu, on les mobilise également lors du dépouillement du vote. Référons-nous une fois de plus à Kokoroko (2009) qui signale à ce propos le déplacement des urnes par la force pour éviter leur dépouillement in situ dans les bureaux de vote, le remplacement des urnes à « contenu défavorable » au pouvoir par des « urnes dociles » ainsi que la falsification des procès-verbaux qui constitue, à son avis, l’étape suprême de la fraude électorale dans les États africains. Ce sont donc les résultats obtenus au moyen de toutes ces manipulations, conclut-il, que vont simplement entériner les Cours constitutionnelles au sein desquelles le président s’est attaché de placer préalablement ses proches, biaisant ainsi le choix des citoyens et citoyennes.

* * *

En somme, on peut se demander au regard de ce qui précède le type de démocratie mis en place dans les pays noirs africains et au Gabon. En effet, les obstacles au processus de démocratisation de ces États laissent voir que celui-ci rencontre une réelle résistance de la part des régimes en place au regard de leur difficulté à s’attacher aux principes promus par les Constitutions nouvellement adoptées au début des années 1990. Cette résistance, qui traduit un réel déficit démocratique, concerne le partage du pouvoir. En effet, profitant de sa position hégémonique dans l’appareil politico administratif de l’État et de l’accaparement des deniers publics que celle-ci lui assure, le président de la République n’hésite pas à vassaliser les autres institutions constitutionnelles qu’il s’agisse du parlement, du gouvernement ou de la justice, ce qui lui permet de court-circuiter facilement leur travail, compromettant ainsi le principe de la séparation des pouvoirs cher dans une démocratie. Leur gouvernement reste également peu attaché au respect des droits humains particulièrement à l’expression libre des citoyens et citoyennes en raison de leur manque d’ouverture au débat et à la critique et donc à la diversité des points de vue que prône toute démocratie. Quant à la manière dont les élections sont organisées dans ces États, elle témoigne de la détermination sans faille des dirigeants en place à combattre le principe de l’alternance politique par le recours massif à la fraude électorale qui leur garantit la pérennité au pouvoir. En raison de toutes ces formes de résistance, on est tenté d’affirmer

que la plupart des États africains qui avaient entamé leur démocratisation au début des années 1990 se présentent aujourd’hui, pour utiliser l’expression de Holo (2009) reprise par Kokoroko (2009), « comme un désert de la démocratie, un champ de ruines démocratiques » (p. 120) montrant que le nouveau décor institutionnel planté à cet effet ne joue en définitive qu’un rôle purement formel.