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La presse illustrée : un vecteur de diffusion qui se transforme

3.2. Les légendes et les titres : des mots au service d’idéaux ?

À première vue, les légendes et les titres des photographies liées à la Révolution Mexicaine semblent neutres et presque exclusivement descriptifs. Ils sont brefs et vont à l’essentiel ; en général, ils donnent uniquement des repères d’identification : le nom des protagonistes de l’image et/ou le lieu de l’événement photographié. Cependant, une lecture plus attentive nous permet de nuancer cette

première impression et de déceler des intentions plus ou moins subtilement associées à ces légendes et ces titres. Sans aller aussi loin qu’Eugene Smith, pour qui « les photographies (et leurs légendes) sont ce qui modèle l’opinion », le rôle des légendes dans l’orientation de la lecture photographique nous paraît crucial.205 Roland Barthes fait de la légende et du titre deux éléments essentiels du message photographique.206

Selon sa conception de la photographie de presse, ils participent du message connoté que véhicule la photographie.

Si tous ces écrits de notre corpus pris dans leur ensemble ne font pas sens puisqu’ils se rapportent à des sujets très divers malgré leur lien constant avec la Révolution, il est deux types de légendes et de titres qui permettent d’observer ce phénomène de connotation par les mots : ceux qui se rapportent aux zapatistes et aux

villistes. Ces deux factions révolutionnaires étaient socialement et idéologiquement très

marquées et les personnalités de leurs leaders respectifs ont joué un rôle fondamental pour leur notoriété pendant la guerre civile. La presse s’est donc intéressée de près à ces deux mouvements et à leurs dirigeants ; les deux discours sur ces factions qui transparaissent grâce aux légendes et aux titres permettent d’entrevoir les positions différentes adoptées par les rédactions vis-à-vis de Villa, Zapata et leurs partisans. Le positionnement des revues illustrées à l’égard du villisme et du zapatisme ayant été ambivalent tout au long de la Révolution, l’analyse des légendes associées à ces photographies spécifiques est exemplaire afin de mettre en lumière que la rédaction des légendes est un jeu subtil entre « visée d’information » et « visée de captation ». La mise à plat du traitement par la presse illustrée du zapatisme et du villisme à travers les légendes et les titres pendant le déroulement même du conflit, constituera un point de départ pour la comparaison que nous ferons avec le traitement de ces mêmes

leaders et de leurs mouvements pendant la Post-Révolution.207

3.2.1. Les villistes : une « Division du Nord » à la fois crainte et respectée

Sur l’ensemble de notre corpus, seules 37 pages sont consacrées à Francisco Villa et ses troupes, contre 94 pour Zapata et ses partisans. En revanche, des deux généraux, Villa est le plus présent sur les pages des magazines : 32 occurrences contre 24 pour Zapata.208 Ce qui signifie que la presse illustrée s’est davantage

205 SMITH, W. Eugene, « Photographic Journalism», Photo Notes, juin 1948, repris dans FONTCUBERTA, Joan, Estética fotográfica, Barcelona : Gustavo Gili, 2003, p.210.

206 BARTHES, Roland, « Le message photographique », Op. Cit., p. 9.

207 Voir chapitre 4.

208 Par ailleurs, sur les 24 pages où sont publiés des portraits de Zapata, on trouve des répétitions. Revista de Revistas publie le même portrait en médaillon du Caudillo du Sud à trois reprises. La Semana Ilustrada publie deux fois le même portrait en pied d’Emiliano Zapata en compagnie de son frère Eufemio, puis une troisième fois une photographie prise au même moment, mais sur laquelle les deux hommes ont adopté une pose légèrement différente. Sur six pages, nous n’avons donc en réalité que deux clichés différents de Zapata. La répétition ne se produit qu’une fois pour Villa et elle a lieu entre deux revues différentes qui ont visiblement obtenu le même négatif : La Semana Ilustrada et La Ilustración Semanal (cela ne semble pas étonnant car l’équipe de direction de la seconde provient de la première).

intéressée aux zapatistes comme mouvement qu’aux villistes, mais que le portrait du dirigeant de ces derniers a été plus souvent publié. Grâce à ce simple décompte, nous entrevoyons déjà la différence faite par la presse entre ces deux personnalités révolutionnaires et leurs factions.

Tout au long de la période, le traitement textuel réservé à Villa et à ses hommes est plutôt respectueux, sauf en deux occasions. Elles correspondent à des périodes clairement définies : le combat des constitutionnalistes contre la dictature de Huerta (février 1913 – août 1914), et les faits et gestes de Villa après sa déroute de 1916. Au cours des dix-sept mois du régime huertiste, nous avons recensé trois séries de légendes sur les villistes à la teneur plutôt négative. Le 6 juillet 1913, Revista de

Revistas qualifie Villa de « célèbre cabecilla révolutionnaire ».209 Le 30 mars 1914, La

Ilustración Semanal rapporte le triomphe des fédéraux lors de la bataille de Torreón et

parle du « désastre villiste » et des « rebelles ».210 Enfin, une photographie pleine page publiée par La Semana Ilustrada le 13 janvier 1914 est accompagnée d’une légende intéressante à plusieurs titres (figure 74).211

Ces légendes sont représentatives de l’hésitation observée dans ces textes entre le respect et le dénigrement. Ici, Villa est un « chef rebelle », mais également un « révolutionnaire ». Pour Revista de Revistas, c’est un « cabecilla », mais il est « révolutionnaire » et « célèbre ». Après l’expérience madériste, être révolutionnaire n’était pas nécessairement péjoratif, hormis pour Victoriano Huerta et ses acolytes. Si les rédactions des revues n’adhéraient pas pleinement à la dictature, elles n’avaient pas d’autre choix pour survivre que de la défendre et de s’élever contre les

constitutionnalistes. Cependant, une fois Huerta parti en exil, elles s’empressèrent toutes de qualifier son régime de dictature, de dénoncer les crimes commis sous son « règne » et de montrer le plus grand respect pour des personnages comme Villa,

Pour l’utilisation répétée des portraits, voir ALBERT, Pierre, FEYEL, Gilles, « Photographie et médias », in FRIZOT, Michel (Dir.), Op. Cit., p.363 : « …ces innombrables photographies-portraits, en buste, détourées ou non, toujours, disponibles dans les rédactions, permettant d’évoquer – ô combien facilement ! – les protagonistes de l’événement ».

209 « La revolución en el Norte. El célebre cabecilla revolucionario Francisco Villa, con algunos de sus hombres, que ha ofrecido tomar a la importante plaza fronteriza de Ciudad Juárez ».

210 « El triunfo de los federales en Torreón. Las instantáneas de los cuatro ángulos de esta plana, muestran: retirada de tropas villistas después de la derrota - Embarque de la artillería rebelde que resultó ineficaz, en los momentos de la retirada - Rebeldes cerca de Torreón - Agitación en Chihuahua al recibirse las noticias del desastre villista - En el centro, el heroico General Velasco, defensor de la plaza, y abajo el aguerrido General Ocarranza - En el centro, a los lados, el valiente general Argumedo, que se portó heroicamente - Pancho Villa y su Estado Mayor ».

211 Voir BERUMEN, Miguel Ángel, Pancho Villa. La construcción del mito, Ciudad Juárez : Cuadro x Cuadro, Mexico : Océano, 2006, p.108. Dans cet ouvrage, cette photographie est attribuée par l’auteur au photographe Otis Aultman et est accompagnée du texte suivant : « Esta batalla [Tierra Blanca / 20-25 novembre 1913] significó el primer apunte táctico de lo que serían las siguientes campañas de Villa: reconocimientos preliminares, distribución ordenada de las tropas, elección de posiciones, establecimiento meditado de la artillería para apoyar el avance de las otras armas, elección de diferentes frentes de ataque, fuerzas de reserva y el uso de brigadas sanitarias. Villa supervisa los últimos detalles antes de la batalla; aquí lo vemos en el techo de un vagón donde descansan algunos de sus hombres. Noviembre de 1913 ». Cette légende, qui est à notre avis plus proche de la réalité, est à l’opposé de la légende rédigée dans La Semana Ilustrada. Berumen y voit un homme qui contrôle sa situation militaire, alors que la revue veut y faire voir un homme traqué.

Carranza et même Zapata. On constate à nouveau le positionnement fluctuant des revues illustrées vis-à-vis des hommes forts de la Révolution.

Figure 74. La Semana Ilustrada, 13 janvier 1914. « Les dernières nouvelles télégraphiques de la presse quotidienne assurent que le révolutionnaire Francisco Villa a été sur le point d’être arrêté par les fédéraux, qui organisent une battue énergique pour le retrouver. Notre photographie, qui est publiée au Mexique pour la première fois, montre au premier plan ce chef rebelle, quelques instants avant de fuir, craignant de tomber entre les mains de ses poursuivants »

Cette photographie, à l’angle de prise de vue inhabituel, montre des villistes au repos sur le toit d’un train ; en bas à droite de l’image, Francisco Villa semble s’apprêter à sauter à terre. Dans la légende, la mise en scène grâce aux mots de cet instant figé nous a semblé exagérée. En effet, la revue affirme que Villa est sur le point de fuir, pour échapper aux fédéraux qui le recherchent. Et pourtant, hormis le corps en mouvement de Pancho Villa – les genoux fléchis, les bras légèrement en arrière, et se tenant presque en équilibre sur le rebord du toit, il donne effectivement l’impression d’être prêt à sauter – tous les soldats sont au repos. Certains sont assis ou allongés sur le toit du train, enveloppés dans des couvertures. D’autres discutent debout à côté du train ou se déplacent paisiblement à cheval. Rien sur cette photographie ne laisse transparaître un quelconque danger qui aurait mis tous les partisans de Villa en alerte. Cette page constitue donc à nos yeux un exemple clair de détournement du sens visuel opéré au travers de la légende. Ne disposant pas de photographie leur

permettant de démontrer iconographiquement que Villa était un rebelle dangereux, idée relayée par ce que Friedrich Katz nomme la « légende noire » de Villa212, les revues doivent passer par l’écrit pour orienter leurs lecteurs en ce sens.

Après la déroute de Villa en 1916, El Universal Ilustrado publie une seule photographie de Villa, le 24 juin 1920, associée à une légende neutre. En revanche,

Revista de Revistas lui consacre une double page le 13 juin 1920 qui s’intitule « La rébellion villiste » où Villa est traité de « chef rebelle », même si les images le montrent souriant face à l’objectif (voir figure 40, chapitre 1).213

En dehors de ces quelques pages plutôt critiques, mais sans être méprisantes, les légendes sur Villa et ses troupes sont neutres, voire positives. Avant l’été 1914, Villa est souvent qualifié de « chef révolutionnaire » et, à l’approche du triomphe

constitutionnaliste, et jusqu’au mois de janvier 1915 (lorsqu’il quitte la ville de Mexico), les revues n’écriront son nom que précédé de son grade, celui de général. On observe donc une attitude réservée de la part de la presse illustrée vis-à-vis du « Caudillo du Nord ». Sa réputation de bandit et de voleur, qui fait aujourd’hui partie du mythe sur Villa, ne semble pas avoir trouvé d’échos dans les légendes de ces revues pourtant très bourgeoises. En revanche, cette réserve, sans doute due à l’admiration que provoquait le personnage et au fait qu’il ait combattu aux côtés de deux révolutionnaires respectés, Madero et Carranza, n’est pas observée pour Emiliano Zapata et les révolutionnaires de l’État du Morelos.

3.2.2. Les zapatistes : des « hordes rebelles » à la « Division du Sud »

Pour des raisons chronologiques, El Universal Ilustrado est le seul des cinq magazines à ne pas parler péjorativement des zapatistes. Il publie seulement le 18 avril 1919 un court « récit photographique » composé de quatre images au moment de la mort de Zapata, mais toutes les légendes y sont laconiques et neutres.

212 KATZ, Friedrich, Pancho Villa, Mexico : Era, 1998, Tome I, p.16.

213 Titre, légendes et texte de la double page du 13 juin 1920 : « La rebelión villista » (Page de gauche) « Arriba: la escolta personal de Francisco Villa - Villa bajo un árbol, en un descanso del camino - Los jefes villistas Benjamín Ríos y Alfonso Gómez, este último comisionado para conferenciar con el Gral. Calles cuando se dijo que Villa se rendiría - Baltasar Piñones, predilecto de Villa - Villa con su secretario y jefe de estado mayor y de la escolta - Villa montando a caballo, a pesar de haber aumentado 20 kilos de peso, según afirma Brandon. (Page de droite) Francisco Villa al frente de su Estado Mayor en una hacienda de la Sierra - El mismo con su escolta personal - Villa con varios de sus jefes principales, en el punto donde los entrevistó el periodista Gerald Brandon, autorizado para tomar estas fotografías ».

Texte : « Constituye un verdadero triunfo para el diario EXCELSIOR y para REVISTA DE REVISTAS, la publicación de estas y las fotografías que aparecen en la página de enfrente, y que representan al rebelde Francisco Villa en el corazón de la sierra de Chihuahua, acompañado de sus hombres. Estas fotografías fueron tomadas por el periodista americano Gerald Brandon, quien, como se recordará, se internó por la frontera de los Estados Unidos hasta Chihuahua, en donde logró entrevistar a Francisco Villa, después de sensacionales peripecias, ya publicadas en su oportunidad por nuestro colega EXCELSIOR, que obtuvo la exclusiva para traducir en México la entrevista de Villa y Brandon. También hemos obtenido la misma exclusiva en lo que se refiere a las fotografías presentes, que son un documento gráfico de gran importancia desde el punto de vista periodístico, y que dan una idea de la vida que hacen Villa y sus hombres en las serranías chihuahuenses. Se publican hoy por primera vez en México, y de seguro serán vistas con honda curiosidad por nuestros lectores, pues desde que Villa fué derrotado en Celaya y demás puntos, no había sido retratado ».

El Mundo Ilustrado, quant à lui, montre plutôt de l’indifférence vis-à-vis du

zapatisme et n’y consacre que deux pages en quatre ans. Sur l’une d’elle, un zapatiste est appelé « bandit » (22 septembre 1912). Fidèle à sa volonté d’ignorer la mort, la douleur et la violence malgré la Révolution, la revue ne montre pas plus de photographies, ni ne parle des révolutionnaires du Sud, ce qui pourrait effrayer son lectorat.

La Semana Ilustrada est, au contraire, particulièrement virulente vis-à-vis des zapatistes dans ses légendes. Pour elle, ce sont des « agités », des « hordes », des

« brigands », une « chiourme de bandits » qui commettent des « actes de vandalisme » et des « actes de sauvagerie ». Eufemio et Emiliano Zapata sont des « féroces cabecillas » aux ordres desquels agit, entre autres, « Agustín Vanegas, célèbre lazador214 qui attache les prisonniers à la queue des juments sauvages ».215

Elle ne fait jamais précéder le nom de Zapata de son grade de général, bien qu’elle reconnaisse qu’il dispose d’un état-major et qu’elle parle de l’un de ses subalternes en employant le terme « colonel ».

En dépit de leur ton, ces légendes contrastent souvent avec les images auxquelles elles se rapportent. Le 29 avril 1913, ce magazine publie une page composée de cinq photographies sur la « vie intime des zapatistes » (figure 75).216

Parmi les légendes, la première décrit une « guérilla typique des hordes zapatistes ».217

La horde se caractérise généralement par le désordre, le manque de discipline et la sauvagerie. Or, la photographie présente un portrait de groupe d’une quinzaine d’hommes à cheval parfaitement alignés en rang et faisant tous face à l’objectif. Aucun signe de désordre ou d’indiscipline sur ce cliché. Sur cette même page, la photographie en bas à droite est légendée comme suit : « (x) Épouse d’Ausencio Barrera Chon, l’un des plus redoutables généraux ( ?) zapatistes, et sa famille ». Le

zapatiste en question n’est pas présent sur ce portrait de famille montrant deux femmes et trois enfants, tous vêtus de blanc, et qui semblent parfaitement inoffensifs. Or, le texte évoque la dangerosité de ce personnage et met en doute son grade de général en faisant suivre ce mot d’un point d’interrogation entre parenthèses (c’est une pratique que nous avons relevée à plusieurs reprises dans le légendage des photographies par la presse illustrée pendant la Révolution, en particulier lorsqu’il s’agit de grades donnés à des zapatistes). Ni le dangereux général, ni les hordes ne sont visibles sur cette page consacrée aux révolutionnaires du Sud. On y voit plutôt des soldats organisés (dont l’uniforme, certes, est atypique) et de sages familles posant comme n’importe quelles autres devant le photographe. Seules les légendes tentent de faire naître la peur et le rejet chez le lecteur qui, d’après les mots, devraient voir dans ces photographies le chaos et la menace.

214 Lazador : Charro pratiquant l’art d’attraper le bétail au lasso.

215 « revoltosos » (3 novembre 1911), « hordas » (28 février 1913, 27 mai 1913), « bandoleros » (28 juillet 1914), « una chusma de bandidos » (3 novembre 1911), « acontecimientos bandálicos [sic] » (3 novembre 1911), « acto de salvajismo » (24 juin 1913), « feroces cabecillas » (10 juin 1913), « Agustín Vanegas, famoso lazador que ata á [sic] los prisioneros á [sic] la cola de yeguas brutas » (8 mai 1911).

216 « Vida íntima de los zapatistas ».

Figure 75. La Semana Ilustrada, 29 avril 1913. « Une guérilla typique des hordes zapatistes Famille d’un chef subalterne – Prisonniers conduits par les troupes fédérales – Famille caractéristique à la porte de sa chaumière – (x) Femme d’Ausencio Barrera Chon, l’un des plus redoutables généraux ( ?) zapatistes, et sa famille »

On observe le même décalage entre le texte et l’image lorsque La Semana

Ilustrada publie sur une demi-page le portrait d’Emiliano et Eufemio Zapata en compagnie de leurs épouses (figure 76). La légende les qualifie alors de « féroces

cabecillas ». Les connotations péjoratives associées à cette appellation218 ne transparaissent pas sur la photographie. Nous sommes en présence d’un portrait de groupe bien construit et équilibré. Les deux frères sont au centre de l’image et ils portent tous deux un chapeau à larges bords, un pantalon étroit qui recouvre le haut de leurs bottes et une veste sur une chemise blanche. Les seuls éléments belliqueux de l’image sont les cartouchières – qu’Emiliano porte à la ceinture et Eufemio croisées sur le torse – et les fusils qu’ils tiennent tous deux de la main droite. Leurs femmes se tiennent à leurs côtés et sont habillées de la même façon : longue jupe ample, chemise et rebozo. Le fait qu’elles aient toutes les deux leur poing sur leur hanche et que les quatre personnages fixent résolument l’objectif montre certainement leur détermination, mais en aucun cas leur férocité. Comme la photographie ne permet pas de transmettre le message recherché par la revue, à savoir que les zapatistes sont un danger pour le pays, la rédaction est obligée de construire une légende allant dans ce sens, bien qu’elle ne soit pas entièrement conforme au contenu de l’image.

Figure 76. La Semana Ilustrada, 10 juin 1913. Photographe : Melcheri. « Les frères Emilio [sic] et Eufemio Zapata avec leurs épouses respectives. Dernière photographie des féroces cabecillas »

C’est dans Revista de Revistas et La Ilustración Semanal que l’on observe – encore une fois pour des raisons chronologiques – le revirement le plus significatif dans la rédaction des légendes en rapport avec les photographies du zapatisme. À l’été 1914, à la fin de la dictature de Victoriano Huerta et lorsque les victoires

constitutionnalistes au Nord et les avancées zapatistes au Sud laissent présager

l’arrivée d’un vent nouveau, ces deux magazines adoptent une attitude très prudente envers Zapata et ses troupes, qui va devenir ensuite tout à fait respectueuse. Ceux que Revista de Revistas qualifiaient de « chiourmes du "Borgne Morales", lieutenant de Zapata » le 5 novembre 1911, sont devenus le 20 décembre 1914 des soldats de l’« Armée de Libération ».219 Pour La Ilustración Semanal, les « hordes qui maraudent dans [l’État du] Morelos » (2 décembre 1913) se transforment un an plus tard en troupes au service de « Monsieur le Général Emiliano Zapata, Chef de la Division du Sud » (14 décembre 1914).220 Lors du retour des zapatistes à Mexico en mars 1915, cette même revue adopte dans ses légendes un ton résolument enthousiaste (voir figure 77 et sa légende).

219 « Chusmas del “Tuerto Morales”, teniente de Zapata». « Ejército Libertador ».