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Nouveau regard, nouvelles images : photographes et photographie de presse

1. Une nouvelle approche photographique de l’actualité

2.3. Les acteurs du conflit

Tant dans les aspects politiques que militaires de la Révolution Mexicaine, les photographes s’intéressent avant tout aux acteurs de la guerre. Dans le domaine militaire, c’est l’image du peuple en armes, celle du combattant, qui marque durablement les esprits. Dans le domaine politique, la prise du pouvoir par la force, et donc l’image des chefs, impressionne.

Le soldat, qu’il appartienne à l’armée fédérale ou à l’armée révolutionnaire, devient le centre d’attention des photographes qui le transforment en héros de la guerre. Cette appartenance à l’une ou l’autre des deux armées n’a d’ailleurs que peu de sens sur l’ensemble de la période, car l’armée révolutionnaire un jour peut devenir l’armée fédérale le lendemain. Mais le soldat, quel qu’il soit, incarne les valeurs du courage, de la bravoure, de l’honneur et du sacrifice. Un grand nombre de photographies (plus de 200 pages) s’intéressent exclusivement aux soldats, à leur vie dans les campements, leurs déplacements, leurs exploits et défaites ou leur vie de famille. Ils sont souvent portraiturés à l’occasion d’un acte de bravoure, d’une blessure, d’un décès ou lorsqu’ils sont faits prisonniers. Le personnage du soldat a été une

78 Il s’agit du gouvernement du président Eulalio Gutiérrez.

79 GUZMÁN, Martín Luis, El águila y la serpiente, Madrid : Agencia española de cooperación internacional, [1928], 1994, pp.428-429 : “Nosotros conjeturábamos (y aun sabíamos de fijo, por cálculos no muy aleatorios) que el gobierno de Eulalio fracasaría; pero sabíamos también que en el deporte mejicano de la guerra civil la ciudad de Méjico – acaso por estar en el fondo de un valle maravilloso – hace el papel de las copas en los torneos atléticos: quien la tiene saborea el triunfo, se siente dueño del campeonato político, mantiene su record por encima del de los demás, así esté expuesto a perderlo a cada minuto en manos de los audaces que quieran y sepan arrebatárselo.”

source d’inspiration pour les photographes. Manuel Ramos a par exemple réalisé une célèbre photographie que Revista de Revistas publie à deux reprises : en décembre 1911, lors d’une page consacrée à l’exposition organisée par l’Association des photographes de presse (figure 15), puis en couverture du numéro daté du 12 décembre 1915 (figure 16).

Cette photographie a fait partie en 1911 d’une exposition artistique ; elle est présentée par la revue comme une « étude » de Manuel Ramos. Elle acquiert le caractère d’archétype ou de symbole du soldat révolutionnaire car à aucun moment on ne s’intéresse aux circonstances de la prise de vue (date, lieu, événement, etc.). L’attitude pensive du soldat tenant son fusil en direction de l’extérieur du train fait penser à une photographie posée.

Figure 15. Revista de Revistas, 17 décembre 1911. « De l’exposition des photographes de presse. Le lac de Pátzcuaro, de Tostado, et deux magnifiques études de notre photographe, monsieur Ramos – Intéressant groupe de journalistes et de parrains accompagnant monsieur l’ingénieur Pani, sous-secrétaire à l’Instruction Publique et aux Beaux-Arts, pendant l’inauguration de l’exposition des photographes de presse »

En 1915, en revanche, l’usage qui est fait de cette photographie est bien différent. Toujours selon la légende, elle aurait été prise dans le premier train à bord duquel revenaient vers la capitale les révolutionnaires triomphants dans le Nord. Elle est publiée le 12 décembre, six jours après l’entrée des armées villistes et zapatistes dans la capitale. Le mot « alerte » en majuscule, ponctué d’un signe d’exclamation, laisse supposer que la revue a choisi cette image afin de mettre en garde son lectorat

face au danger que représentent ces troupes révolutionnaires. Aucune autre photographie dans le numéro ne fait référence à cet événement, ce qui ne permet pas de confirmer notre impression. Le magazine a cependant jugé la situation assez importante pour mettre une photographie de soldat en couverture, ce qui est extrêmement rare dans Revista de Revistas où les dessins font habituellement la une.

Figure 16. Revista de Revistas, 12 décembre 1915. « ALERTE ! (Photographie historique prise en 1911 dans le premier train révolutionnaire arrivé à Mexico) »

Le soldat est également utilisé comme symbole de « mexicanité » à trois reprises dont deux en couverture colorisée de La Ilustración Semanal, le 10 août 1914 (figure 17), puis le 7 septembre 1914, où il est en uniforme fédéral, devant un gigantesque nopal80, fusil en joue et cartouchières croisées sur la poitrine. El Mundo

Ilustrado publie une couverture similaire le 9 juin 1912 (figure 18).

80 Nopal : plante caractéristique de la végétation mexicaine. Cactus à rameaux aplatis (raquettes), et à fruits comestibles (figues de barbarie).

Figure 17. La Ilustración Semanal, 7 septembre 1914. Sans légende

Deux éléments sont présents sur les photographies : le soldat en uniforme fédéral et l’agave, plante emblématique du Mexique.81 Sur la première image, afin de renforcer davantage l’idée patriotique, est placé de façon incongrue un drapeau mexicain. Le fusil du premier soldat et la trompette du deuxième (qui a les yeux tournés vers l’objectif au lieu de regarder droit devant lui) complètent ces images qui font du soldat pendant la Révolution un symbole folklorique de la guerre. Bien que le nombre de photographies de soldats de ce type ne soit pas quantitativement significatif (une dizaine seulement), leur placement en une ou sur une page entière souligne l’importance que les rédactions leur accordaient. Le fait qu’elles soient colorisées – et que les couleurs dominantes dans les deux cas soient celles du drapeau mexicain, vert, blanc et rouge – renforcent leur pouvoir d’évocation.82 Elles reflètent par conséquent l’une des images de la Révolution que la presse illustrée souhaitait transmettre à son public-lecteur.

81 Agave : Plante d’origine mexicaine aux feuilles vastes et charnues dont on tire des fibres textiles (sisal) à partir des feuilles, et des boissons de la sève fermentée ou distillée (tequila, mescal).

82 Dans El Mundo Ilustrado et La Ilustración Semanal, toutes les couvertures sont en couleurs, qu’il s’agisse de dessins ou de photographies.

Figure 18. El Mundo Ilustrado, 9 juin 1912. Sans légende

Le rôle des femmes est aussi mis à l’honneur dans la presse pendant la guerre civile. Nous avons recensé 36 pages contenant une information iconographique en rapport avec les femmes pendant la Révolution Mexicaine. Vis-à-vis de l’armée, elles ont deux rôles distincts : celui de suivre leurs maris et de servir les troupes, principalement pour assurer le ravitaillement et la cuisine, ou bien celui de combattre aux côtés des hommes. Quelle que soit sa fonction, la femme porte le nom de

soldadera. Ce terme désigne alors la femme du soldat ou la femme-soldat. Les

photographies publiées dans la presse illustrent clairement ces deux aspects de la vie des femmes pendant la Révolution. Elena Poniatowska parle de ces femmes avec une certaine compassion, dans le court recueil de photographies qu’elle leur a consacré :

Sur les photographies d’Agustín Casasola, les femmes […] ne ressemblent pas aux fauves grossiers et vulgaires que décrivent les auteurs de la Révolution Mexicaine. Au contraire, même si elles sont toujours présentes, elles restent en arrière. Elles ne défient jamais personne. Elles portent aussi bien l’enfant que les munitions, enveloppés dans leur rebozo.83 Debout ou assises à côtés de leur homme, elle n’ont rien à voir avec la grandeur des puissants. Au contraire, elles sont l’image même de la faiblesse et de la résistance.84

Les femmes vivent dans les campements militaires avec les soldats (figure 19) et se déplacent avec les troupes (figure 20) dans des conditions assez précaires.

83 Rebozo : Large foulard porté par les femmes mexicaines, souvent sur la tête.

84 PONIATOWSKA, Elena, Las soldaderas, Mexico : ERA, CONACULTA, INAH, 1999, p.13 : « En las fotografías de Agustín Casasola, las mujeres […] no parecen las fieras malhabladas y vulgares que pintan los autores de la Revolución Mexicana. Al contrario, aunque están presentes, se mantienen atrás. Nunca desafían. Envueltas en su rebozo, cargan por igual al crío y las municiones. Paradas o sentadas junto a su hombre, nada tienen que ver con la grandeza de los poderosos. Al contrario, son la imagen misma de la debilidad y de la resistencia ».

Figure 19. La Ilustración Semanal, 17 août 1914. « Artilleurs de l’ancienne armée fédérale préparant le campement – La vie au campement – Le repos »

Figure 20. La Semana Ilustrada, 17 avril 1912. « Soldaderas à bord d’un train militaire » (photographie du milieu)

À bord des trains, les femmes, parfois avec leurs enfants, s’installaient sur des plateformes (comme sur cette image) ou sous les wagons, à l’intérieur desquels elles n’étaient généralement pas admises.85 Sur la photographie ci-dessus, elles sont entourées de paniers et de sacs contenant sans doute leurs maigres effets personnels et des provisions pour le voyage.

La soldadera combattante est une figure plus mythique de la Révolution que celle de la femme qui accompagne les troupes sans participer aux affrontements. L’image de la femme courageuse se battant pour défendre les idéaux révolutionnaires ou la patrie naît dès les premiers combats. Certaines photographies montrent ainsi les

soldaderas en « uniforme », c’est-à-dire en habits de tous les jours (généralement chemise à manches longues et jupe ample en toile) mais portant des cartouchières croisées sur la poitrine, un fusil à la main et un chapeau large (figure 21).

Figure 21. La Ilustración Semanal, 24 mars 1914. « Soldaderas et soldats du 48ème Bataillon au repos après la lutte » (photographie du bas)

Cette figure pittoresque de la Révolution a traversé les océans et en France, le supplément illustré du Petit Journal lui a consacré la couverture de son numéro du 16 novembre 1913 (figure 22). La gravure montre les deux aspects de la vie des

soldaderas. La vie de guerrière est représentée par la femme au premier plan, celle qui

85 Voir La Ilustración Semanal du 14 décembre 1914, p.18, pour une photographie de soldaderas et de soldats installés sous un wagon.

est assise sur les rochers à gauche de l’image et la cavalière à droite. Elles portent toutes les trois un fusil dans la main droite et ont un regard fermé et dur. La vie d’épouse est évoquée par les deux femmes qui s’affairent autour d’un feu et d’une marmite. Le mythe86 de la soldadera commence véritablement à prendre forme pendant les années de la guerre civile, au Mexique comme à l’étranger. Le texte à la page suivante sur « Les femmes aux armées » rappelle également le double rôle des femmes mexicaines pendant la Révolution :

Dans l’armée révolutionnaire, [les femmes] ne se contentent pas de remplir les obligations qui peuvent convenir à leur sexe, mais elles prennent part aux combats, sauf, la lutte terminée, à déposer leur fusil pour rentrer dans le rôle que la nature leur a dévolu et devenir soit infirmières, soit ménagères, soigner les blessés et préparer la popote du soldat. La plupart de ces guerrières sont les femmes des soldats et des officiers de l’armée révolutionnaire.87

Figure 22. Supplément Illustré du Petit Journal, 16 novembre 1913. « Les femmes mexicaines dans l’armée révolutionnaire »

Malgré l’intérêt des photographes envers le peuple, nouveau protagoniste du papier satiné grâce à la Révolution, une grande absence se fait sentir, celle du civil. Très peu d’images se penchent sur la vie quotidienne des Mexicains pendant la guerre. Nous n’en avons recensé qu’une quinzaine sur la période. Si le sort des civils pendant une guerre fait aujourd’hui partie de l’imagerie classique d’un conflit, ce n’était

86 Nous utilisons le terme « mythe » dans le sens suivant : représentation idéalisée, communément acceptée et convoquée par l’imaginaire collectif.

pas encore le cas en 1910, même si peu de temps après, la Première Guerre Mondiale a mis en avant « la souffrance des civils », ainsi que la « figure récurrente de la mère à l’enfant ».88 Malgré cette affirmation, Laurent Gervereau n’accorde pas aux photographies de civils une place de choix dans son ouvrage s’intéressant de façon très large aux images de guerre. Les civils semblent encore oubliés des études sur les conflits et leurs représentations.

La plupart de ces quelques photographies de civils ont été publiées par Revista

de Revistas qui semble plus préoccupée que ses consoeurs par leur sort, en particulier

lors de la famine qui sévit dans la capitale au cours de l’année 1915 en raison des problèmes économiques et commerciaux liés à la Révolution. Le manque de charbon, les répartitions de bons de rationnement ou de vivres, les coupes de bois pour se chauffer ou les soupes populaires (figure 23) ont fait l’objet de sujets photographiques de décembre 1914 à septembre 1915.

Figure 23. Revista de Revistas, 29 août 1915. « Un magasin municipal de vivres – Les soupes populaires. La distribution du bouillon » (photographies du haut et du milieu)

La revue relaie également l’information selon laquelle des civils fuient le port de Veracruz en juin 1913 à cause de l’instabilité due au conflit, et publie une image de la manifestation contre la hausse des prix des produits de première nécessité à Mexico en 1916. La Semana Ilustrada ne s’intéresse aux civils que de très loin, lorsqu’ils arrêtent une charrette de charbon pendant le siège de Mazatlán en juin 1911 ou pour

88 GERVEREAU, Laurent, Voir, ne pas voir la Guerre. Histoire des représentations photographiques de la guerre, Op. Cit., p.257.

montrer le portrait d’une famille de réfugiés à Tuxpan en 1913. Quant à La Ilustración

Semanal, elle publie en juillet 1914 une photographie des habitants de Veracruz

déambulant dans une rue du port pendant l’invasion nord-américaine, afin que les lecteurs observent, comme l’explique la légende, « le peuple étonné ».

La publication d’images de la vie des civils pendant la Révolution reste donc anecdotique dans la presse illustrée qui semble peu soucieuse des hommes ne participant ni aux combats, ni aux changements politiques. L’homme qui, pour les médias, se trouve au cœur du conflit est celui qui est soit au front, soit au cœur du pouvoir.

Si le peuple est considéré comme le protagoniste de la Révolution, les personnalités clefs du conflit attirent fortement elles aussi l’attention de la presse illustrée. La guerre civile au Mexique a mis en avant plusieurs leaders soulevant les passions de leurs partisans et de la presse. Les photographies de deux d’entre eux en particulier remplissent les pages des revues de la capitale : Francisco I. Madero et Venustiano Carranza (159 et 148 occurrences, respectivement). Arrivent en deuxième position Victoriano Huerta (72) et Álvaro Obregón (64), puis, dans l’ordre décroissant de leurs apparitions photographiques : Pascual Orozco (38), Francisco Villa (32), Pablo González (31), Félix Díaz (26), Emiliano Zapata (23), Manuel Mondragón (15), Lucio Blanco (12) et Felipe Ángeles (11).

Le petit nombre de photographies de Francisco Villa et d’Emiliano Zapata est frappant, car ils sont aujourd’hui considérés comme les deux personnages les plus emblématiques de la Révolution Mexicaine. Mais, comme nous le verrons au quatrième chapitre, le processus de mythification qui les a élevés au rang de héros indiscutables ne s’est produit qu’une fois la guerre terminée. Nous avançons plusieurs hypothèses expliquant leur faible présence dans les pages des magazines illustrés de Mexico. Ils ont tous deux été longtemps considérés comme des bandits par la presse qui se méfiait de leur passé (en particulier celui de Villa), de leurs origines et de leurs mœurs militaires. Les troupes qui leur étaient fidèles étaient fréquemment désignées dans les légendes des photographies comme des « hordes » ou des « rebelles ». L’éloignement géographique de Villa, qui a opéré dans le Nord du pays la plupart du temps, (États de Chihuahua, Sinaloa et Coahuila) explique sans doute qu’il ait été davantage accompagné de journalistes et photographes états-uniens (fortement attirés par la personnalité hors du commun de ce chef de guerre). L’assassinat de deux journalistes en août 1912 dans la localité de Ticumán, lors d’un assaut zapatiste dans le train reliant Mexico à Cuautla – information relayée par El Mundo Ilustrado, La

Semana Ilustrada et Revista de Revistas quelques jours après les faits – a peut-être dissuadé certains photographes de se rendre en terre de Zapata.89 La crainte de la « terreur » zapatiste a été relancée dans la presse par La Ilustración Semanal en 1914

89 Les journalistes assassinés sont Humberto L. Strauss, du quotidien El Imparcial, et Ignacio Herrerías du journal El País.

à travers le récit de l’emprisonnement de quelques heures de quatre de leurs collaborateurs (figure 24).

Figure 24. La Ilustración Semanal, 3 août 1914. « Ceux qui ont vu le mauser devant leurs yeux ». « Abraham Lupercio, photographe, Mariano A. Sosa, régent, Andrés Rojas, caissier et le populaire Martín, assistant de photographie ; ces quatre braves compagnons se sont aventurés en terrain zapatiste jusqu’au moment où ils ont été faits prisonniers et emmenés à San Nicolás Totolapa pour y être fusillés ; ils se sont échappés grâce à leur diplomatie, et nous leur devons la superbe information qui apparaît dans ce numéro. En-dessous : groupe de révolutionnaires du Sud qui ont appréhendé nos intrépides collègues »

Francisco Villa et Emiliano Zapata n’étaient pas très populaires dans le milieu de la presse illustrée, milieu bourgeois et urbain comme nous l’avons déjà souligné. La rencontre avec le monde des révolutionnaires issus des couches paysannes les plus pauvres n’était donc pas aisée. Par ailleurs, ni l’un ni l’autre n’ont exercé de pouvoir politique fédéral, ce qui n’a pas facilité leur acceptation par la presse.

En revanche, la surreprésentation de Francisco I. Madero et Venustiano Carranza à la même période est, elle, aisément explicable. Leur popularité est née pendant la guerre même et, à la différence de Zapata et de Villa, un processus de réhabilitation de leur image ne sera pas nécessaire après la fin de la Révolution armée.90 Francisco Madero s’est trouvé sur le devant de la scène pendant plus de deux ans, de 1910, année de l’élection présidentielle controversée, au 23 février 1913, date de son assassinat. Venustiano Carranza, déjà présent aux côtés de Madero lors de la bataille de Ciudad Juárez en mai 1911, ne devient véritablement un leader révolutionnaire qu’en mars 1913, lors de la proclamation du Plan de Guadalupe qui déclenche la deuxième phase de la Révolution destinée à renverser Victoriano Huerta, l’usurpateur du pouvoir. À partir de cette date-là, et jusqu’à son assassinat le 20 mai 1920 – c’est-à-dire pendant sept ans – Venustiano Carranza est le plus important des chefs de guerre et le président de la République pendant trois ans.

Proportionnellement et visuellement, Francisco Madero est donc le révolutionnaire le plus médiatisé de la guerre dans la capitale ; les médias se sont plus intéressés à ses agissements en à peine trois ans, qu’en sept ans pour Venustiano Carranza. Leur rôle de porte-parole des principes révolutionnaires – la défense de la démocratie dans la lutte contre la réélection de Porfirio Díaz pour Madero et la réalisation d’une nouvelle Constitution garante de ces mêmes principes pour Carranza – ainsi que leurs mandats présidentiels en ont fait des personnalités incontournables de la guerre civile. Parce qu’ils étaient issus de familles de riches propriétaires fonciers du Nord du pays, leurs origines ont également facilité le contact avec le monde des médias.91

D’après l’ensemble des photographies contenues dans le corpus déterminé pour cette étude, l’image que la presse illustrée de Mexico a donnée de la Révolution Mexicaine au moment même où elle avait lieu est ambivalente. D’une part, la couverture photographique est minutieuse et se veut exhaustive. Les rédactions tissent des réseaux de correspondants et nouent des contacts avec des photographes ou des agences de province, ce qui leur permet d’obtenir assez rapidement des images de l’intérieur du Mexique. Les multiples batailles qui ont eu principalement lieu dans le Nord et le centre du pays font l’actualité. Malgré l’écrasante prépondérance photographique de deux événements médiatiquement porteurs, la Decena Trágica, et l’invasion nord-américaine de Veracruz, les affrontements moins spectaculaires ou stratégiquement moins importants ne sont pas délaissés par la presse. De la même