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Chapitre 3 : Le panel des figures entrepreneuriales retenues Des parcours singuliers

III. Défense militante des droits humains

1. Jean-Bosco, un engagement citoyen intrépide ?

Fils de paysans de la région de l’Ouest, Jean-Bosco naît en campagne au début des années 1960. Les circonstances délicates de sa naissance et de son enfance au sein d’un univers enchanté, présentent quelques grands traits qui vont structurer sa personnalité à venir :

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« Les circonstances de la vie lors de ma venue au monde ne sont pas favorables. Quand je nais, quelque temps après je tombe gravement malade. Entre-temps, ma maman avait notre grande sœur que je n’ai pas connue, elle était morte mais elle voyait des choses, elle faisait des choses de telle enseigne que quand mon papa était en prison – on l’a tué et on l’a enterré avant que ma maman ne rentre de la visite qu’elle est allée rendre à mon papa. Donc à un moment donné, ma maman était avec ma grande sœur. Mon papa a été enfermé au temps des colons pendant la période des troubles à l’Ouest, les maquisards, les Upcistes et autres. Bien que j’ai connu mon père, ma maman ne voulait pas que je reste à côté de lui parce qu’elle disait que je suis un enfant que Dieu a donné pour aller se chercher. Alors, c’est en ce moment que je comprends que j’ai une destinée qui n’est pas celle de tous les autres. Mes parents avaient le sens de la spiritualité à telle enseigne que les noms qu’ils donnaient à leurs enfants avaient des impacts sur leur vie. Et ils étaient attachés au traditionalisme de telle sorte qu’ils ne donnaient pas le nom au hasard à un enfant. C’est pourquoi nos noms ont des significations et des impacts, que ce soit ma grande sœur, que ce soient tous les autres enfants. Comme on dit dans la Bible, ‘‘au départ était la parole, la parole était avec Dieu et la parole était Dieu’’. Sans avoir besoin de lire ou de réciter la bible. Alors quand je viens au monde, je tombe très gravement malade quelques jours après, et tout le village se dit : ‘‘Je suis mort’’. Et de là aussi, du coup, je tire les origines de ma foi et de ma détermination. À cette funeste nouvelle, ma maman dit : ‘‘Non, mon enfant n’est pas mort’’, même comme la peau commençait déjà à faire des trucs mais, elle dit : ‘‘Non il n’est pas mort’’. Elle prend le couteau et dit aux personnes présentes : ‘‘Avant d’enterrer celui-ci, vous allez d’abord me tuer. Comme vous avez enterré l’autre, je n’étais pas là, celui-ci vous allez me dire’’. On l’abandonne avec ‘‘mon cadavre’’. Mais comme elle aussi était voyante, on avait déjà tout fait, creuser la tombe. Ma maman dit : ‘‘Jamais de la vie, vous avez enterré l’autre’’. On lui dit donc : ‘‘Ok, comme tu es devenu sorcière, tu vas manger ton enfant’’. Elle me prend, on va en forêt, elle cueille des herbes pour mettre sur mes blessures qui étaient sur moi. C’est là que je bouge un bras et elle continue donc avec les prières et à me soigner. Tout ce que je rencontre ce n’est pas ma maman qui me raconte, mais ma grande sœur, vu qu’on appelait ma mère ‘‘sorcière’’. Le village également raconte cette histoire et disait que je suis comme un enfant qui allait tomber du feu et qu’on a ramassé de justesse. Tu vois donc ma maman de son vivant, elle ne m’a jamais appelé … C’est pour te montrer que Dieu est même dans mon nom (Jean-Bosco).

L’enfance de Jean-Bosco, à l’instar des circonstances relatives à sa naissance, l’astreint assez précocement à lutter pour exister.

« Je me souviens qu’on ne m’a jamais inscrit à l’école, je partais à l’école comme ça depuis le jardin, comme ça au hasard. J’arrive à Obala parce que ma grande sœur était en mariage là-bas, j’étais très petit, il y a une grande différence d’âge entre ma sœur et moi, vu que ma mère ne savait même pas que je devais naitre. Dès que je viens au monde, à l’âge de 4 ou 5 ans, ma grande sœur m’a emmené à Obala. La-bàs, elle apprenait à faire la couture au quartier Baganté, c’était à environ 5 km de la maison. Nous restions de l’autre côté de l’Afamba, qu’on appelle Nanga-Eboko. Moi j’étais petit mais il y avait aussi les petits frères de son mari qui faisaient le cours préparatoire à côté. Mais à mon petit âge je ne fréquentais pas, vu que j’étais trop petit. Elle ne pouvait pas nous transporter à deux, sa fille sur le dos et moi, pour nous emmener au quartier Baganté. C’est comme ça donc qu’elle me laisse entre les mains de

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ses petits beaux-frères. Et quand ils allaient à l’école, ils me prenaient avec eux. Arrivé là-bas, je restais sous le manguier quand ils sont en classe. En ce moment il n’y avait qu’une seule classe, d’un côté la sil, de l’autre le Cours préparatoire. Sous le manguier donc, je commence de temps à autre à aller rester à côté d’eux dans la salle de classe, tout petit. Et moi aussi je commence à apprendre à écrire. On me donne mon cahier à la maison quand j’ai commencé à pleurer que moi aussi je veux mon cahier. Et en fin d’année, je passe aussi pour aller au Cours élémentaire 1. Voilà comment je suis allé à l’école. Et c’est à partir de là qu’on commence à m’inscrire à l’école. Et je me rappelle un jour au cours élémentaire 2, c’était à Obala, le maître voulait taper sur une certaine Ayissatou, que je connaissais à peine. Je m’étais lever pour prendre le bâton à sa place, c'est-à-dire qu’on me tape à sa place » (Jean- Bosco).

En dehors des périodes scolaires, Jean-Bosco passe l’essentiel de son enfance au village, près de son père qu’il accompagne dans les plantations. Il affirme n’avoir jamais intégré une religion, son père lui ayant laissé la liberté d’opérer ses propres choix de vie. Il affirme en outre avoir toujours été sensible à l’injustice. De même, l’auto-prise en charge de soi se serait inscrite dans la banalité de son quotidien, au point de lui apparaître comme une forme normale d’exister. En classe de 5ème

, il achète son propre poste radio qui ne le quitte que rarement. En 3ème, il crée un club journal et lance un plateau de radio dans la même foulée. Le besoin d’autonomie qui l’habite le pousse à vendre des journaux, du Cours Moyen primaire jusqu’en classe de terminale.

« En seconde, quand je n’avais pas de livre, je copiais les fascicules, je restais à coté de quelqu’un comme ça et copiais. J’achète un cahier pour les sujets et corrections pendant les grandes vacances. C’est tout cet ensemble qui m’a rendu sensible » (Jean-Bosco).

Il obtient son bac en 1981 au lycée classique de Bafoussam, dans la région de l’Ouest. À l’Université de Yaoundé, il est accueilli par son neveu, le fils de sa grande sœur consanguine. Après quelques mois de cohabitation, une tension latente aux ramifications familiales va pousser ce dernier à le mettre « à la porte ». Bénéficiant déjà d’une bourse universitaire, Jean- Bosco parvient à louer une chambre. Après un premier semestre « tranquille » et sanctionné par une réussite, il est « calomnié » durant le second semestre et traduit régulièrement au conseil de discipline. Ces reconductions permanentes, en période autoritaire, vont le « perturber », et le conduire à son « premier échec scolaire ». Il poursuit néanmoins ses études jusqu’en Licence et est reçu au concours de l’École Normale Supérieure de Yaoundé. Au bout de trois ans de formation, il sort avec le grade de professeur de lycée en sciences naturelles. Sa carrière d’enseignant prend directement une orientation tumultueuse, du fait de son engagement syndical, très peu apprécié par sa hiérarchie. Suivant son témoignage, il ne fera

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jamais plus de deux années au sein d’un même établissement, du fait des affectations disciplinaires continues. Si ces sanctions renforcent et consolident paradoxalement son esprit d’indocilité, celles-ci auront également un impact néfaste sur sa vie privée. Il serait ainsi resté jusqu’à ce jour célibataire, et n’aurait eu son premier et unique enfant qu’après avoir largement dépassé la quarantaine. Avec Jean-Marc Bikoko65, il écrira quelques pages déterminantes du syndicalisme camerounais de la décennie 1990, au sein de la Dynamique

Citoyenne. Vers le milieu des années 1990, il se rapproche du philosophe Fabien Eboussi

Boulaga, avec qui il chemine dans la fondation des fora et espaces scientifiques de discussions sur des sujets d’actualités. Avec le philosophe, ils coopèrent avec des centres et institutions intellectuels comme le Groupe d’Études et de Recherche sur la Démocratie et le Développement Économique et Social (GERDES), la Fondation Friedrich Ebert, et les Éditions CLÉ. Dans la seconde moitié de la même décennie, on le voit militer aux côtés de l’écrivain engagé Mongo Beti, et de la militante UPCiste Henriette, avec qui il fondera la première section camerounaise de Transparency International. En 2003, il déclare l’existence du journal Germinal, qui ne devient effectif qu’en 2008. D’orientation subversive, il imaginera à l’intérieur de Germinal des Dossiers Spéciaux, qui s’attaqueront principalement aux exactions de l’élite au pouvoir. Si ces Dossiers se « vendent bien », l’hebdomadaire quant à lui demeure déficitaire, du fait, entre autres, de l’absence de publicité, les annonceurs ayant une préférence compréhensible pour des journaux plus « sobres » et « professionnels ». Lors du premier anniversaire de Germinal, le succès « inattendu » d’une conférence-débat lancé à cet effet sur la succession à la tête de l’État, va créer le déclic qui le poussera à lancer l’idée de « La Grande Palabre ». Ce grand forum que Jean-Bosco appréhende comme une sorte de « parlement de la rue » va prendre l’habitude de se tenir une fois par mois. Il est animé par des universitaires engagés dont Mathias et Claude qui y officient bénévolement comme principaux coordonnateurs. Durant toute l’année 2012, ce forum se déroule chaque mois et attire public et média. Jean-Bosco verra ainsi La Grande Palabre retransmise en direct par Radio Cheikh Anta Diop de Tayou, qui se proposera de le faire « gratuitement ». À l’entame de l’année 2013, les problématiques politiques soulevées par ces rencontres in- confortent les autorités publiques. C’est ainsi que le directeur de l’hôtel qui les héberge, « une égérie du parti au pouvoir » suivant les propos de Claude, les sommera d’évacuer les lieux :

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Activiste et figure de de proue du mouvement syndical camerounais. Il fait partie de notre échantillon large, mais n’a pas été retenu finalement après le second entretien, parce que plus proche du profil de « courtier ».

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« Ce que vous faites entre en contradiction avec les intérêts politiques », renchérit Jean- Bosco. En changeant de lieux, les ennuis, pour autant, ne vont guère disparaître.

« Maintenant, quand nous changeons de lieu, pour aller à l’Hôtel Franco, la première édition est interdite par un sous-préfet par intérim. Le sous-préfet par intérim interdit La Grande Palabre et dit qu’il veut nous voir au tribunal. Durant 3 mois, on allait au tribunal. Le tribunal nous donne raison parce qu’ils ont légiféré. Entre-temps aussi, comme La Grande Palabre grandissait, on avait également les sympathisants dans l’administration et partout. Ensuite, même à l’Union européenne, parce qu’on nous a même envoyé la décision d’interdiction dans les ambassades et tout, en passant par la Présidence de la République. Je le sais parce qu’en voulant, une fois, négocier un produit avec l’Union européenne, on m’a dit : ‘‘Non, on sait ce que vous êtes en train de faire, on vous observe depuis mais on ne peut pas vous soutenir en faisant du bruit’’. Voilà un peu comment on a vécu cette période-là » (Jean-Bosco).

Suite à l’avènement de la menace Boko Haram, La Grande Palabre sera suspendue par les autorités. Pour autant, Jean-Bosco, entre autres maître en karaté et en yoga, continue à se remuer autrement en imaginant d’autres activités. En janvier 2016, la cérémonie de dédicace de son ouvrage sur l’engagement de la société civile, écrite en collaboration avec Mathias, sera interdite par le sous-préfet.