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Chapitre 3 : Le panel des figures entrepreneuriales retenues Des parcours singuliers

II. Action sociale, culture et développement locaux

1. Claire, une figure émergente de la fibre humanitaire

Claire est la fille d’un enseignant-fondateur d’établissement secondaire et d’institut d’enseignement supérieur, originaire de la région du centre. Elle grandit dans un cadre aisé, mais affirme avoir été précocement marquée par la misère environnante.

J’ai grandi à Mvog-Ada, tout autour de moi il y avait la misère, mes parents eux ils étaient nantis et tous mes jouets, je donnais aux enfants du quartier (Claire).

Après un cursus scolaire « normal », son père lui confie la gestion de son établissement secondaire en 2000. Claire est alors âgée de 28 ans. Une anecdote va pourtant réorienter sa trajectoire de vie.

« Je dirigeais l’Institut Samba secondaire à Mvog-Ada, en qualité de Principale de collège. En 2005 je me suis retrouvée devant le cas d’un petit garçon qui volait les livres de ses camarades parce qu’il voulait se faire arrêter et être jeté en prison, dans le dessein d’y aller retrouver sa maman ; et donc, d’y

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vivre avec cette dernière, incarcérée. Cette histoire m’a touchée. On l’a emmené dans mon bureau, après quoi, les autres responsables et enseignants ont prévenu d’autres enfants de se méfier de ce ‘‘voleur’’. Bref c’était un enfant qui dormait dans la rue, il venait à l’école tous les matins, mais il dormait dans la rue, il avait fugué et il faisait tout pour que les antigangs l’attrapent pendant qu’il proposait les livres aux gens à l’Avenue Kennedy. Car il dormait au Boulevard du 20 mai. Donc c’est une histoire qui m’a touché, je suis allée à la prison avec l’enfant pour qu’il puisse voir sa maman qu’il n’avait pas vue depuis trois ans. J’ai appelé son papa qui vendait la tomate au marché du Mfoundi. Ça n’a pas été facile. Mais j’ai pu le convaincre pour qu’il me passe le numéro de téléphone de son épouse, car entre-temps, il s’était remarié. Ils sont venus au bureau ; j’ai prié la dame de convaincre son mari, et puis c’est parti comme ça. On est allé à la prison et c’était très difficile de vivre cette scène-là, de voir cet enfant qui va s’agripper sur sa mère, de voir la maman qui tombe dans les pommes, et voir la belle-mère même, la nouvelle femme pleurer, voir le papa qui pose les mains sur la tête et c’est parti comme ça » (Claire).

Après cet épisode, Claire va prendre sur elle de reconstituer le lien entre l’enfant et sa maman détenue. Pour y parvenir, elle alloue un subside à la belle-mère de l’enfant afin qu’elle puisse l’accompagner tous les mercredis à la prison pour rencontrer la maman. Cette approche ne tarde pas produire des résultats positifs.

« À l’époque, j’avais un très bon salaire. Enlever vingt-cinq mille pour aider un enfant ne représentait rien du tout (…). Avant ses retrouvailles avec sa maman, cet enfant, qui faisait la classe de cinquième, ne travaillait pas bien à l’école. Il avait une moyenne qui oscillait autour de 8/20. Puis, au bout de deux mois, c’était la métamorphose : il est passé de 8 à 16 de moyenne. Pour moi, c’était un génie » (Claire).

Engagée dans cette aventure avec son protégé, Claire va vivre une autre scène qui va ré- inciter sa fibre humanitaire, et la pousser définitivement dans la création, en 2006, de l’association Relais Enfants-Parents du Cameroun (REPCAM).

« Un samedi, je suis allée à la prison. Pendant que j’y étais, une autre détenue a accouché devant moi. Ce jour-là, le médecin de la prison – c’était une femme – se mariait et ne pouvait donc être présente. Et il n’y avait pas d’infirmiers à proximité. Une codétenue l’a fait accoucher. Je suis rentrée chez moi, j’avais 7.000 francs, je me suis arrêté au marché d’Ekounou pour acheter de petites choses. On avait sectionné son cordon ombilical avec un couteau, sans gants ! Quand je suis revenue, le régisseur était déjà là, parce qu’il était au mariage aussi. Il nous a donné un peu d’argent, 4.000, nous sommes allés au centre de santé de Nkol-ndongo pour vérifier si l’accouchement s’était bien passé, si le ventre de la dame était sain. Au bout de vingt heures, on est rentré. J’ai donné le nom de Mélanie à cette enfant. Elle a 9 ans aujourd’hui. Après cette deuxième rencontre, j’ai décidé de créer l’association » (Claire).

Avec le concours de trois amis, Claire crée l’association qui, d’années en années, va se développer et accéder à la reconnaissance grâce aux actions concrètes menées sur le terrain, mais aussi au plaidoyer permanent mené par la fondatrice. Les sources de financement, en

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plus des modestes cotisations des membres, viennent pour l’essentiel des dons. Depuis sa mise sur pied, le Réseau articule ses activités sur des points précis et à des dates inchangées.

« Nous faisons un paquet scolaire qu’ils reçoivent des mains de leurs mamans. C’est ce qu’on a toujours fait dès 2006 : on a toujours célébrer la fête des mères, la fête des pères, la rentrée scolaire en septembre et Noël en décembre. Nous venons juste d’achever la neuvième édition de la rentrée scolaire qui vient de passer. On s’apprête maintenant à couvrir la neuvième édition de la fête de Noël » (Claire).

En 2011, Claire renonce à la charge de principale de l’établissement secondaire fondée par son père, pour se consacrer entièrement aux activités de son association. La multiplication des sollicitations, associée aux projections que les membres se font de leurs actions les amènent à se comporter comme un véritable groupe de pression qui parvient à faire « bouger » les décideurs administratifs et politiques. C’est ainsi qu’après avoir débuté son action au sein de la prison centrale de Yaoundé, le REPCAM réussira par la suite à obtenir l’autorisation légale de poursuivre ses activités dans l’ensemble des prisons centrales du Cameroun. De même, une requête menée pour la gratuité des soins d’accouchement en faveur des détenues sera validée par le responsable de l’hôpital central de Yaoundé, à la suite d’un incident « fatal ». Pour autant, Claire ne s’arrête pas là.

« On est en train de nous battre pour qu’une décision similaire soit prise à l’échelon national, pour que le ministre fasse appliquer la même chose à l’hôpital central de Douala, à l’hôpital régional de Sangmélima, ainsi de suite, partout où il y a des prisonniers. On est sur le projet » (Claire).

Claire ne considère pas son association comme un groupe de pression. Elle affirme ne guère s’intéresser à la politique. La question de savoir si les autorités font convenablement leur travail lui semble ainsi secondaire. Ce qui ne l’empêche pas de recourir auprès des mêmes autorités pour présenter ses doléances en vue de l’avancement de son œuvre. Aussi, la plupart des cérémonies ayant lieu au sein des prisons, Claire et son équipe vont construire des édifices d’accueil et de récréation à l’intérieur desdites prisons. Mais, l’association n’étant guère subventionnée, la fonctionnalité des édifices se fait encore de manière intermittente.