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Chapitre 3 : Le panel des figures entrepreneuriales retenues Des parcours singuliers

II. Action sociale, culture et développement locaux

5. Bob, pour une approche « ancrée » de l’enseignement en Afrique

Bob est né en 1955 dans la région de l’Ouest, de parents paysans. Son père, chef des notables attaché à la coutume ancestrale, souhaite préparer son fils à lui succéder à la chefferie.

« Avant que je ne naisse je devais succéder à mon père au niveau de son titre, puisque lui-même a porté le titre, son père a porté le titre, c’est de génération en génération » (Bob).

À trois ans, Bob et sa sœur jumelle vont rejoindre leur sœur aînée à Yaoundé. C’est elle qui élève le jeune Bob jusqu’à l’âge adulte. Il fait ses études primaires dans une école protestante située au cœur d’un quartier populaire de la ville. Il y passe des moments « inoubliables », qu’il s’empresse d’opposer viscéralement à l’environnement éducatif actuel. Il obtient le Certificat d’études primaires et réussit au concours d’entrée au lycée Leclerc de Yaoundé.

« C’était un des plus grands lycées du pays, sinon même le plus grand. Les enfants du Cameroun venaient de partout, du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest. C’était un brassage humain extraordinaire » (Bob).

Bob est interne et vit pleinement sa jeunesse, prenant du bon temps avec ses camarades dans l’insouciance du lendemain. Il affirme ainsi avoir choisi la série littéraire par « suivisme ».

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En 1975, il obtient son baccalauréat et s’inscrit à l’Université de Yaoundé. Il découvre en même temps les réalités de l’autoritarisme ambiant. Déboussolé par le contraste qui sépare le monde universitaire « mesquin » du « paradis » connu au lycée, Bob renonce à l’idée de poursuivre ses études supérieures au Cameroun : « On savait que tout était fini pour nous, on ne serait plus jamais rien dans la vie, on avait jeté l’éponge ». C’est alors que Bob et ses camarades vont saisir l’opportunité d’un recrutement, lancé sur étude de dossier, des enseignants pour les classes de 6ème et 5ème des lycées de « brousse » nouvellement créés. Quelques jours seulement après, Bob est affecté à l’Ouest, dans la localité de Foumban. Durant cette première année, le jeune enseignant, qui a déjà entériné l’idée de « fuir le Cameroun », va s’imposer un rythme de vie ascétique afin de faire des économies suffisantes. Aidé par d’anciens amis qui se trouvaient déjà en France, il y trouve assez facilement une inscription. Non boursier, Bob alterne études et job. Il travaille à « Ouest France » qui à cette époque semble être un quotidien important.

« J’ai travaillé aux rotatives, au service expédition de ce journal pendant presque 9-10 ans et c’était la nuit… c’était assez dur, mais je peux dire que par rapport à l’image que je m’étais fait de ce pays ci, c’était des moments les plus doux » (Bob).

Mais c’est à l’université que Bob effectue ses premières expériences biographiques déterminantes. D’abord il est impressionné par la simplicité de certains enseignants universitaires, qu’il s’empresse aussitôt de comparer avec la « hauteur disproportionnée » des enseignants camerounais. Ensuite, il découvre une certaine « proximité » avec « l’homme blanc ». Ce qui l’aidera à évacuer les réflexes d’inféodation incorporés depuis le Cameroun. Bob poursuit ses études supérieures jusqu’en thèse de doctorat en Marketing et Management. Nous sommes au milieu des années 1980. Il décide de faire un Certificate à Londres où vit sa sœur jumelle et son mari. Bob projette ensuite aller se perfectionner aux États-Unis avant de revenir au bout de cinq années s’installer définitivement en France. Mais durant ce séjour de 6 mois à Londres, les « siens » lui conseillent de retourner au Cameroun. Bob récuse. Mais à la suite des pressions exercées par sa sœur jumelle et un proche parent ministre, il finit, malgré lui, par retourner au Cameroun en 1986.

Arrivé à Yaoundé, Bob « galère » pendant une année, à la recherche d’un travail. Devenu « fauché », il finit néanmoins par être recruté à l’Université de Douala. Déconcerté par l’environnement, il renoue avec l’envie de s’exiler. Mais le changement de grade inespéré, qui intervient cinq années après son recrutement, bouleverse le regard porté sur son

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environnement. Lui qui jusque-là voulait s’enfuir, décide « d’affronter » cet environnement. Alors même qu’il parvient à avoir une proposition de poste à Saint-Malo, Bob sera sensible aux avertissements de son promoteur français.

« C’est-à-dire, tu crois résoudre un problème par la fuite, mais ce problème va te poursuivre toute ta vie parce qu’il y a quand même un échec au-delà du grade. Celui de la non-réussite d’intégration dans son milieu naturel » (Bob).

Durant cette longue période de « tribulations », Bob prend conscience de l’inconsistance du système éducatif camerounais. Libéré de ses anciens « démons », il va se replier sur lui-même pour penser le projet de l’Institut Supérieur de Management (ISMA) qui connait sa première promotion en 1998. Il va ainsi concentrer l’essentiel de ses énergies à la mise en place de cet établissement rêvé. Durant les premières années, Bob va louer des sites un peu partout dans la ville de Douala pour dispenser des cours, au fur et à mesure que ses effectifs grandissent. Il est habité par l’idée d’innover à travers l’introduction des filières industrielles, tout en centrant les enseignements sur les nécessités de l’environnement endogène. Il attendra 10 années pour obtenir le financement requis en vue de construire un campus universitaire répondant à son projet. Ce financement lui viendra de la BDEAC et Ecobank. Le campus est en cours de construction, mais les premiers locaux sont déjà opérationnels. Bob affirme avoir été exonéré de la TVA par le gouvernement camerounais, durant la période de consolidation de son projet. Cependant, il est astreint à de nouveaux défis de management de ce projet face à une pluralité d’acteurs dont le partage de l’idéal de Bob est loin de faire l’unanimité.