• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Le panel des figures entrepreneuriales retenues Des parcours singuliers

IV. Pensée critique et universitaire : entre le politique et l’espace public

5. Claude, un engagement modéré ?

Cadet d’une famille de 11 enfants, Claude voit le jour en 1973.

« Dans le ventre de ma mère, on a deux catégories d’enfants. Il y a une première série de 8 dans le cadre de son union avec son époux. Et à la suite du décès de son époux, ma mère étant resté jeune, a contracté une relation qui n’est pas une relation maritale. De cette relation-là va naître une paire de jumeaux (une fille et un garçon), et moi ensuite » (Claude).

Le jeune Claude est élevé par sa maman qui survit grâce à la revente de la viande de brousse. Celle-ci est aidée dans cette tâche par ses frères aînés qui, d’une certaine manière, contribuent

71 Pichichi est le surnom donné au meilleur buteur du championnat de football espagnol. Le fait que ce

qualificatif lui soit attribué en 2005, au moment où l’avant-centre camerounais de renommé évolue dans le FC Barcelone, semble assez significatif.

78

également à son éducation. Il grandit dans un milieu catholique et se trouve assez impliqué dans les activités de l’Église.

Maladif durant les premières années de sa naissance, Claude débute son cursus scolaire au primaire, dans une mission catholique. Issu d’un quartier populaire, son enfance est marquée « par les jeux avec le reste des enfants, marquée également par un appétit prononcé pour le football que j’ai vraiment longtemps pratiqué, jusqu’aujourd’hui dans mes moments de loisirs le dimanche ». Aussi, il s’agit d’une enfance affectée par la précarité matérielle, associée à une certaine discrimination de la part de ses frères aînés : « Tu n’es pas des nôtres ». Claude avoue avoir toujours eu une personnalité « difficile ».

« Si tu me donnes de l’argent, ça ne signifie pas que je dois me mettre nécessairement en quatre ou autre, plier l’échine. Donc de ce point de vue-là il y a cet autre élément. Donc il faut souligner ça, un certain nombre de mes aînés ne le supportaient pas » (Claude).

Durant son enfance, il passe l’essentiel de ses congés de vacance dans son village maternel, auprès de ses grands-parents.

Grâce au tableau d’honneur acquis avec l’obtention du Certificat d’études primaires et élémentaire, il obtient une bourse qui le permet de rentrer « paisiblement » dans un collège situé à un quart d’heure de marche de son domicile. En 1990, il obtient le BEPC, et s’inscrit au lycée Leclerc de Yaoundé. En 1993, il passe son baccalauréat de lettre et philosophie. Il s’inscrit au département de sociologie de l’Université de Yaoundé. L’université camerounaise est en pleine réforme en 1993.

« Quand j’arrive à l’université c’est l’année où la bourse changeait de camps. C’est-à-dire qu’en fait, c’était aux étudiants de payer la bourse. Et dans cette université on a vécu des choses parce qu’on était des vrais cobayes » (Claude).

Claude rêve d’abord de faire journalisme. Il présente le concours de l’ESSTIC, est admissible, mais se retrouve recalé au stade de l’oral. Il obtient sa licence en 1996 et décide de présenter le concours de l’École Nationale de l’Administration et de la Magistrature (ENAM). Une fois encore, il est admissible, puis recalé à l’oral. Claude se révolte intérieurement contre le système, et décide de ne plus faire de concours.

Seulement, sa famille qui ne parvient plus à soutenir ses études lui propose de présenter le concours de l’École normale Supérieure de Yaoundé (ENS). Il s’y oppose, car il commence à projeter de poursuivre ses études jusqu’en doctorat. Il se retrouve ainsi « seul », abandonné

79

par ses frères. Mais voyant sa mère s’endetter pour lui, il prend conscience de devoir se prendre personnellement en charge. Après l’obtention de la maîtrise, Claude passe une année « libre », dans l’attente de la sélection en DEA. Il assiste son promoteur dans une pluralité de « tâches » académiques, voire extra-académiques. Il assume aussi ses responsabilités de dirigeant de la chorale de son église, qu’il a intégré depuis la classe de première secondaire. Durant cette période, il joue de la castagnette dans les cabarets. L’année suivante, il est reçu en DEA. Son mémoire porte sur Le politique saisi à partir de la communication. Après sa soutenance, il est reçu en thèse de doctorat. Il est astreint à changer de promoteur, le premier n’ayant pas encore le grade requis. Il commence à faire l’expérience des séminaires et colloques à l’international, et s’ouvre aux autres disciplines. Mais une brouille en sourdine avec son premier promoteur va prendre de l’ampleur. Celui-ci, suivant les propos de Claude, supportant difficilement son émancipation.

Contraint de se prendre en charge, Claude sera tour à tour moniteur au département de sociologie, puis vacataire à l’INJS et à l’ENIET. Le véritable basculement de sa trajectoire socioprofessionnelle s’opère en 2000-2001. Grâce à l’anthropologue Séverin Cécile Abéga (qui deviendra son mentor), Claude obtient un cours à l’Université Catholique d’Afrique- centrale. Recruté à un grade intermédiaire (chef de travaux), Claude a hâte de soutenir sa thèse pour pouvoir accéder au grade de chargé de cours. Mais…

« Le directeur fait 2 ans avec le texte en main. Qu’est-ce qu’il lit ? Je ne sais pas. Entre temps je commence à mijoter comment je peux finalement soutenir cette thèse autrement et pas nécessairement avec lui » (Claude).

Une fois encore, son « mentor », après avoir pris connaissance de son travail, va l’amener à le revisiter, avant de lui trouver une inscription à Paris, par le biais de l’anthropologue français Jean-Pierre Warnier. Le 28 juin 2004, Claude soutient sa thèse à Paris 13, au laboratoire des sciences de l’information et de la communication, sous la direction de René Boti. Depuis 2001 cependant, Claude travaille « pratiquement » comme l’adjoint de Séverin Cécile Abéga au sein de l’Institut de Recherche en Socio-Anthropologie (IRSA), fondée en 1994 sous l’impulsion de ce dernier et du prêtre jésuite Claude Pierrot.

Après le décès de son « mentor » en 2008, il va prendre la tête de ce laboratoire de recherche. Depuis lors, le laboratoire continuera à mener des recherches et à publier des livres sous la houlette de Claude, avec la collaboration d’autres chercheurs. Oscillant entre la recherche fondamentale et la consultation, les travaux de l’IRSA vont contribuer à l’assainissement du

80

cadre juridique et institutionnel relatif à un certain nombre de domaines relatifs au travail des enfants et à leur exploitation sexuelle, aux politiques publiques du Sida, et au vivre-ensemble dans les cités. En plus de ses nombreuses interventions au sein de l’espace public, Claude enseigne dans plusieurs autres institutions académiques, sur des thèmes variés. Il est aussi régulièrement sollicité au sein de l’espace public, et se présente, aux côtés de Mathias et d’Alain, comme un critique du régime en place. Mais peu à peu, son discours critique, ces dernières années, va connaître quelques atténuations qu’il impute implicitement à son identité de socio-anthropologue observant « autrement » l’évolution globale de la société.