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Chapitre 3 : Le panel des figures entrepreneuriales retenues Des parcours singuliers

IV. Pensée critique et universitaire : entre le politique et l’espace public

6. Ambroise, entre dissidence intellectuelle et innovation académique

Originaire d’une famille modeste de la région de l’Ouest, Ambroise fait ses études primaires à Nkonsamba et s’imprègne précocement de la mentalité « rebelle » de cette région « controversée » de l’histoire du Cameroun – considérée comme le fief historique des « maquisards ». Il obtient son Certificat d’études primaires en 1959 et s‘inscrit au collège.

« Tous mes professeurs du secondaire étaient des Français, ce n’est pas l’école camerounaise ça, car les programmes étaient français. Quand nous partions d’ici pour aller en France, on rencontre les jeunes français, on parlait des mêmes choses. Donc je suis un produit de l’école coloniale, un produit de l’université coloniale car l’université de Yaoundé, c’est la fondation française de l’enseignement supérieure à l’époque, c’était l’affaire des français, géré par les recteurs de l’académie, c’est eux qui nous ont géré, même des doyens étaient des Français » (Ambroise).

Il obtient le baccalauréat en 1967. Après un passage à l’université fédérale de Yaoundé, il va poursuivre ses études en Occident (France et Canada). Il soutient une thèse en 1981, en littérature négro-africaine. Séduit par la démarche dissidente et entrepreneuriale de Mongo Beti qui vient de fonder la Revue Peuple-Noire – Peuples Africains (PNPA), Ambroise nouera des contacts profonds avec ce « modèle». Après sa thèse, il souhaite retourner en Afrique. Mais les conditions idoines ne se présentent guère à l’immédiat. Il s’installe d’abord au Canada et travaille comme Assistant à l’Université de Sherbrooke. Néanmoins, il continue à explorer les modalités de son retour en Afrique.

« Pour nous à cette époque, c’était un problème de génération. Nous, nous appartenons à une génération de Camerounais qui ne cherchaient pas à immigrer pour fuir, mais qui étaient allée se former pour revenir au Cameroun et travailler pour leur pays. Ce n’était donc pas les papiers qui me manquaient » (Ambroise).

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Il obtient trois propositions de travail, en Algérie, au Maroc et au Zaïre. Il choisit l’Université Mohamed V de Rabat.

« Le Maroc s’était présenté comme le meilleur choix. Le Congo n’était pas très différent du Cameroun à l’époque, je savais déjà à quoi ça ressemble. Quant à l’Algérie, c’est parce que ce n’était pas à Alger, c’était en périphérie. J’ai donc préféré partir à Rabat » (Ambroise).

Il enseigne à Rabat jusqu’en septembre 1984, date à laquelle un « job en bonne et due forme » lui est proposé à l’Université de Yaoundé.

« Entre-temps, j’avais envoyé mon dossier au Cameroun, et il a fallu deux ans et demi voire trois ans pour le gérer » (Ambroise).

À son arrivée au Cameroun, Ambroise est détenteur de deux thèses. Mais s’étant rendu compte de l’incompatibilité de ses travaux avec les besoins réels de l’environnement estudiantin camerounais, il va entreprendre un travail de refonte de son programme d’enseignement, en vue de le réadapter aux « exigences de l’environnement ». L’approche d’enseignement inaugurée par Ambroise consiste à intégrer les éléments culturels et sociologiques dans son enseignement de littérature. Cette approche contextuelle, « redoutée » par ses supérieurs hiérarchiques, va créer une certaine émulation autour de sa personne. Incidemment, il est sollicité continuellement par des collègues et étudiants en vue de participer à l’animation des cercles de réflexion scientifique, voire culturelle. C’est ainsi qu’approché par le club étudiant de l’Unesco pour intervenir dans une conférence, des propos critiques à l’égard des autorités gouvernantes vont l’entraîner dans les locaux de la police politique. Mais au-delà des faits évoqués, l’interrogatoire s’accentuera sur la nature de ses relations avec l’écrivain dissident Mongo Beti. En effet, depuis leur rencontre en 1981, Ambroise est devenu l’un des animateurs les plus en vue de la revue fondée par Mongo Beti. Nous sommes en 1987.

À la faveur des mouvements de démocratisation, il est à la manœuvre du retour de Mongo Beti en 1991 au Cameroun. Il essaye, avec des amis, de fonder une association de défense des droits de l’homme (Human Right Watch), qui est démantelée par les autorités. Ambroise rentre dans le maquis. Il publie des ouvrages blancs avec d’autres collègues, sur la situation politique, sociale et culturelle du Cameroun. Chaque ouvrage est assorti de propositions en

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vue de sortir de la crise ambiante72. Désarçonnés par la reprise autoritaire, Ambroise et ses « camarades » réorienteront le sens de leur engagement en fondant une Association « neutre » d’apparence, qui est à l’origine de la création de l’Université des Montagnes en 2000. À la suite de la Réforme universitaire de 1993 qui conduira à ce qu’il appelle la « balkanisation de l’université camerounaise », il prend quelques distances avec l’université de Yaoundé.

Avec des collègues et amis, il se lance dans un projet de création d’un campus universitaire plus sensible au besoin de développement endogène. Ce long processus de travail va déboucher à la création en 2000 de l’Université des Montagnes, situées dans la ville de Baganté, au sein de la région de l’Ouest. Depuis lors, cette université qui ne cesse de grandir occupe l’essentiel de l’énergie d’Ambroise.

« Progressivement, nous avons ajouté en plus de la Médecine et de la Pharmacie et autres, la chirurgie dentaire, la médecine vétérinaire, on les forme tous ici. La première promotion des médecins vétérinaires va sortir bientôt. Je vous ai également parlé de la Technologie » (Ambroise).

La mise en place de cette université n’est pas exclusive de frictions avec les autorités, qui guettent d’un mauvais œil cette initiative d’universitaires dissidents. Mais fort heureusement, plusieurs problèmes seront anticipés par les promoteurs. Ce qui les conduit à faire participer la diaspora camerounaise, tout en multipliant des partenariats avec des institutions étrangères. La participation d’Ambroise reste davantage focalisée à la gestion, à l’administration, à l’organisation et à la mise en œuvre73. Comme écrivain, Ambroise est aussi l’auteur d’une

dizaine d’ouvrages, dont plusieurs portent sur les biographies des figures historiques comme Mongo Beti et le philosophe Fabien Eboussi Boulaga.

72 En plus du récit recueilli auprès d’Ambroise, des informations sur ce groupe clandestin nous seront également

révélées par Jean-Baptiste Sipa, ancien directeur de publication du quotidien Le Messager et doyen de la presse privée camerounaise.

73 Aujourd’hui, une friction interne, opposant Ambroise avec d’autres membres-fondateurs du l’UdM, a

débouché sur la démission de ce sujet-entrepreneur qui, depuis lors, passe l’essentiel de son temps dans les locaux de la librairie des peuples noirs fondées par Mongo Beti. Suivant une source autorisée, Ambroise serait en train de préparer un ouvrage portant sur son expérience au sein de cette aventure entrepreneuriale.

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