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Chapitre 3 : Le panel des figures entrepreneuriales retenues Des parcours singuliers

III. Défense militante des droits humains

2. Henriette, une combattante invétérée

Fille d’un bourgeois de l’administration, Henriette grandit à Douala dans les années 1950. Elle reçoit une éducation civique accentuée par l’amour de la lecture. Marquée précocement par les inégalités sociales, elle développe une sensibilité marxiste-socialiste, ainsi qu’elle l’affirme en 2009 dans les colonnes du quotidien d’Haman.

« Nous, on a grandi à Bonanjo66 mais dans d’autres quartiers il règne la misère. Donc, je trouvais qu’il y avait de l’injustice. Lorsque mon père est parti en stage en France, avec mes frères nous sommes allés vivre à New Bell en 1959, où la répression a été extrêmement sanglante. Nous avons assisté à l’incendie du quartier Congo, ce qui a été mon premier grand traumatisme » (Henriette).

Après des études primaires et secondaires au sein des établissements convoités de Douala et Yaoundé, elle va poursuivre son cursus supérieur à Tours en 1969. Sur place, elle opte pour les études de langue anglaise. Dès son arrivée en terre française, Henriette adhère à l’Union Nationale des Étudiant Kamerunais (UNEK), section estudiantine du parti nationaliste banni. Comme militante, elle conforte sa sensibilité politique d’orientation gauchiste.

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« C’est ça le fondement du socialisme d’une manière générale, c’est-à-dire l’État qui gère prend dans les richesses et redistribue. Et comme c’est mal redistribué, moi j’aspire à prendre le pouvoir avec notre parti l’UPC pour accomplir une mission sociale qui peut être appelé socialisme » (Henriette).

Après sa Maîtrise, elle émigre vers Paris pour trouver du travail. Tout en travaillant, elle suit une formation académique en histoire et se rapproche également des leaders de la section clandestine de l’UPC. Au cours des années 1970, ses activités clandestines en France consistent à « se former », « recruter des gens » et « convaincre ».

« Nous écrivions un journal qui s’appelait La Voix du Cameroun. On voulait être présent dans les activités des Camerounais, essayer de disséminer les idées selon lesquelles il doit y avoir une démocratie au Cameroun et créer le multipartisme » (Henriette).

Le nom d’Henriette est fiché par les services secrets. Il lui est déconseillé de retourner au Cameroun. En France, elle travaille, entre autres, comme traductrice au sein d’une multinationale. Avec l’arrivée de Paul Biya au pouvoir en 1982, elle parvient à s’octroyer un passeport depuis l’Ambassade du Cameroun en France, grâce à l’intervention d’une connaissance de son père. Arrivée au Cameroun en 1983, Henriette rentre directement dans la clandestinité, l’UPC étant toujours « bannie ». Alors qu’elle parvient à obtenir du travail au sein d’une entreprise parapublique « prisée », la direction du parti lui confie la gestion de son journal clandestin « Kamerun nouveau ». Le choix de se consacrer à la permanence du parti constitue « une grande douleur pour ma famille qui a payé mes études », reconnait-elle. Traqués par la police politique, ses camarades sont arrêtés en 1986, et Henriette s’enfuit dans la région de l’Ouest et y demeure pendant un an et demi. À 37 ans, elle conçoit son premier enfant, et décide de se « caser » pour s’occuper de sa fille. En 1989, alors que sa fille est âgée de deux ans, Henriette est arrêtée et incarcérée, dans le cadre de l’affaire « Yondo Black ». Elle est torturée. À sa sortie de prison au bout de quelques mois, elle réintègre l’UPC désormais rentrée dans l’officialité, à la faveur du mouvement de libéralisation. Mais le parti, infiltré et peu préparé à affronter le nouvel environnement, va se retrouver disloqué.

« C’est-à-dire qu’il y a l’UPC des gens qui ont continué le combat après Ouandié, c’est nous. Les vagues d’arrestation sont là. Pour le reste, c’est des usurpateurs. Je donne un exemple, Kodock est Directeur de la Camair, un camarade qui vient de faire 23 ans de prison va chez Kodock, il le jette dehors ! En disant qu’il est membre fondateur du RDPC, le prince Dicka est fondateur du RDPC. Et puis après évidemment l’équation personnelle va jouer, les marches, je suis à toutes les marches, je suis au front je suis arrêtée, je suis tabassée, on me relâche, on m’arrête, on va me torturer à Bonanjo, pendant que les autres sont torturés ici à la gendarmerie du port » (Henriette).

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En novembre 1996, elle connaît une courte expérience d’éditorialiste dans le journal privé Le

Front. Puis dans la même foulée, elle se fait recruter dans La Nouvelle Expression de Séverin.

Elle y demeure jusqu’en 2005. Elle revient néanmoins dans la même boîte, mais comme journaliste télé. Entre-temps, en 2000, elle rentre à Transparency International. Elle devient vice-présidente, puis présidente de la section Cameroun en 2003. Mais pas pour longtemps. Cette position in-conforte les autorités camerounaises. En 2008, elle lance un journal baptisé

Bebela (Vérité en langue bulu). Ce journal critique du régime s’essouffle au bout de deux

années, faute de moyens. Le 8 mars 2011 à Washington, elle reçoit le prix du courage féminin décerné par le département d’État américain. Ce prix reçu des mains d’Hillary Clinton en présence de Michelle Obama, débouchera sur une crise diplomatique entre le ministre camerounais des relations extérieures et l’ambassadeur des États-Unis au Cameroun. Passée la soixantaine aujourd’hui, Henriette continue à animer son émission à Equinoxe télévision, tout en officiant comme consultante au sein d’autres chaînes privées indépendantes.