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Interroger la maquette numérique de la métropole rennaise : entre sociologie de l’innovation et socio-économie de l’information

Le rapport du CAS

2.2. Les machines et les « mégamachines » au cœur d’une socio-économie de l’information

2.2.5. Interroger la maquette numérique de la métropole rennaise : entre sociologie de l’innovation et socio-économie de l’information

Ce que nous observons pour le moment est plutôt marqué par des pratiques marquées par la fragmentation, ce qui laisse supposer voire confirmer que les logiques sociales et organisationnelles précédent les objets techniques qui viennent s’y greffer. 2.2.5. Interroger la maquette numérique de la métropole rennaise : entre sociologie de l’innovation et socio-économie de l’information

Nous développons également cette approche socio-économique à travers un projet de recherche intitulé SmartRennes. Ce projet vise à étudier les dynamiques d’évolution d’un processus d’innovation par l’analyse des réseaux d’acteurs chargés de développer une maquette numérique de la métropole rennaise et plus largement de développer la ville intelligente. L’enjeu de la recherche est de comprendre quelles formes prennent les innovations du point de vue des formes organisationnelles. Il s’agit donc à la fois d’inscrire la compréhension des processus dans un temps long en montrant les logiques sociales et économiques à l’œuvre (descriptions des collaborations qui se sont nouées entre les acteurs rennais sur ce thème depuis les années 2000) ; et dans une logique située (modalités d’organisation actuelle autour de la mise en œuvre de la plateforme 3DEXPERIENCITY-Virtual Rennes).

Cette recherche se fera notamment à l’aune d’une socio-économie de l’information dans laquelle le temps long des institutions doit nécessairement prendre toute sa place dans l’analyse des discours et des pratiques. Le travail d’Antoine Picon nous semble sur ce point tout à fait intéressant. Evoquant le développement des discours et des pratiques numériques liées à la smart city, l’auteur se demande s’il ne serait pas plus judicieux de parler d’évolution plutôt que de révolution et rappelle que :

« Toute une série de travaux historiques ont montré en effet comment le numérique,

au lieu d’apparaître comme le fruit d’une série d’innovations radicales conduisant à une rupture franche avec le passé, n’est que le troisième moment d’un processus plus évolutif que l’on peut faire débuter avec l’avènement de sociétés fondées sur la production et l’usage de quantités massives d’information à la charnière des XIXe et XXe siècles » (Picon, 2018)300. Ce point de vue rejoint nos analyses et propositions quant à la prise en compte des processus socio-techniques comme cadre d’analyse des machines et de leurs usages. « De cette époque datent d’ailleurs les premiers instruments d’enregistrements et de

traitement de l’information comme les machines à écrire ou les tabulatrices. Leur usage permet à des administrations publiques et des organisations privées de plus en plus complexes de fonctionner » (Picon, 2018).

Dans cette perspective, afin de questionner la place et le rôle des machines dans les processus d’innovation et plus largement dans le développement du capitalisme, nous nous fondons également sur les travaux de Joseph Schumpeter qui peut en effet être considéré comme un socio-économiste puisqu’il a toujours tenté de ne pas séparer approches économiques et sociologiques dans ses analyses de l’évolution technique. C’est ainsi lui, le premier, qui a défini l’innovation comme une transaction commerciale réussie contrairement à une invention (J. A. Schumpeter, 1999)301. Cette définition font, selon nous, de Joseph Schumpeter un précurseur de la sociologie de l’innovation qui définira l’innovation comme une invention qui acquiert un statut de légitimité dans un contexte déterminé, c’est-à-dire une définition qui met l’accent sur les usages socio-techniques et non sur les aspects strictement techniques.

Tout comme celle d’Antoine Picon, l’approche schumpeterienne permet également de questionner la supposée révolution numérique afin de la mettre en perspective avec deux autres révolutions industrielles : celle de la machine à vapeur, de

300 Picon, A. (2018). Villes et systèmes d’information : de la naissance de l’urbanisme moderne à l’émergence de la smart city. Flux, (111‑112), 80‑93. https://doi.org/10.3917/flux1.111.0080

301 Schumpeter, J. A. (1999). Théorie de l’évolution économique. Recherches sur le profit, le crédit, l’intérêt ...: Réimpression de la 2e édition de 1935 (Rééd.). Paris : Editions Dalloz - Sirey.

la métallurgie, du textile, des chemins de fer et de l’acier de la fin du XVIIIe siècle à la fin du XIXe siècle ; puis celle de l’électricité, de la chimie, de l’automobile, de la production et consommation de masse de la fin du XIXe siècle à la fin du XXe siècle.

L’une des questions centrales est alors la suivante : sommes-nous face à une troisième révolution industrielle ou les technologies de l’information et de la communication, ce que d’aucuns appellent le deuxième âge de la machine, ne seraient-elle que l’accélération et la radicalisation des processus et phénomènes enclenchés par la seconde révolution industrielle ? Toujours d’un point de vue socio-économique, Joseph Schumpeter est également intéressant dans la mesure où il tente de comprendre le rôle des acteurs économiques et des institutions. Analysant tout d’abord la place de l’entrepreneur individuel dans la dynamique de l’innovation, il passe ensuite à une analyse des grandes entreprises comme facteur déterminant la co-construction et le développement de l’innovation (J. Schumpeter, Casanova, & Fain, 1990)302. Le progrès technique devient ainsi une routine organisationnelle développée par des organisations aux moyens financiers suffisamment importants pour développer des études et conquérir des marchés. Joseph Schumpeter voit ainsi l’émergence de la grande entreprise managériale rationalisée qui ouvre les analyses de l’innovation sur le modèle de la Big Science, développé notamment par John K. Galbraith (1908-2006) (Galbraith, Crémieux-Brilhac, & Nan, 1989)303.

Ces deux pôles de l’analyse socio-économique, entre des dynamiques entrepreneuriales et l’innovation en grand permettent ainsi de s’interroger sur l’émergence de formes organisationnelles hybrides qui développent des formes complémentaires et imbriquées entre activités de Recherche & Développement et sérendipité, entre collaboration et concurrence, ce qu’il s’agit notamment d’analyser dans le cadre du projet SmartRennes.

302 Schumpeter, J., Casanova, J.-C., & Fain, G. (1990). Capitalisme, socialisme et démocratie : Suivi de Les possibilités actuelles du socialisme et La marche au socialisme, Paris, Payot.

303 Galbraith, J. K., Crémieux-Brilhac, J.-L., & Nan, M. L. (1989). Le Nouvel État industriel: Essai sur le système économique américain (3e éd. rev. et augm), Paris, Gallimard.

Si la socio-économie place les institutions comme des éléments centraux dans la compréhension de l’émergence des formes sociales, nous voudrions désormais aborder une deuxième approche qui nous permet d’éclairer et de compléter les analyses réalisées avec les outils précédents. Il s’agit des hypothèses et méthodes relatives à la socio-cognition.

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