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Pour la première catégorie (C1), la sacralité du corps humain est à l‟origine de leur attitude. Pour 4/22 des étudiants interrogés, l‟organisme est intouchable après la mort et « le corps doit rester intact » (Et 1). Nous rappelons qu‟en lien avec cette représentation de sacralité du corps, certains pays choisissent le régime de consentement explicite, comme le Maroc, l‟Allemagne, la Suisse et le Japon. Il est à signaler que d‟après l‟agence de la biomédecine (2018, p. 19), la sacralité du corps humain, au Maroc, est garantie dès la naissance et se poursuit après la mort. Ainsi, un prélèvement d‟organes sans consentement explicite est formellement interdit.

Les réponses classées dans la catégorie (C2), 6/22 sont en faveur de don d‟organes en cas de mort encéphalique car c‟est la seule solution pour sauver la vie d‟un être humain dans le cas d‟organe unique comme le cœur. D‟après ces étudiants, la mort cérébrale est une mort irréversible et c‟est ainsi qu‟on arrive à avoir un organe de « bonne qualité » (Et 2). Les

propos classés dans cette catégorie rappellent des notions de cours de bioéthique et de biovigilance. La réanimation du donneur en état de mort encéphalique et le respect strict des délais d‟ischémie chaude conditionnent la qualité du transplant. Ces étudiants de la catégorie C2 ont des idées venant de cours sur les controverses autour de la catégorie III de Maastricht. Cette dernière, dite « contrôlée », car l‟état hémodynamique du donneur et le T0 de l‟arrêt circulatoire sont souvent plus courts et connus de l‟équipe médicale. D‟où l‟argument mobilisé par l‟Et 2 : « dans ce cas, l‟organe est de bonne qualité ».

Pour analyser la catégorie C3 (12/22), nous rappelons que Jodelet (1989, p. 36) définit les représentions sociales ainsi : « dans leur richesse phénoménale, on repère des éléments divers (...) : élément informatifs, cognitifs, idéologiques, normatifs, croyances, valeurs, attitudes, opinions, images, etc. Mais ces éléments sont toujours organisés sous l‟espèce d‟un savoir disant quelque chose sur l‟état de la réalité ».

En effet, les étudiants de cette dernière catégorie mobilisent des arguments faisant référence aux valeurs, aux opinions, aux croyances, en disant qu‟ « on a la croyance qu‟il est encore vivant » (Et 4) et que « ce n‟est pas éthique de prélever le cœur d‟une personne en état de mort encéphalique, on n‟est pas sûr de l‟irréversibilité de l‟arrêt cardiaque » (Et 11). En argumentant leur refus, ils mobilisent plutôt des conceptions appartenant au registre empirique : « son cœur bat, il respire, il est encore chaud au toucher » (Et 10). L‟Et 8 argumente son refus en disant : « je n‟accepte jamais, malgré que je suis très convaincu que c‟est une mort irréversible » et pour l‟Et 9, « la mort encéphalique n‟est pas considérée comme une vraie mort ». Pour l‟étudiant Et 10, « même si les données médicales révèlent qu‟elle est une mort, tant que son cœur bat encore, il est chaud au toucher, il respire, je ne veux pas stopper sa vie ». On note également que les arguments, comme ceux de l‟Et 11, du type « ce n‟est pas éthique de prélever le cœur d‟une personne en état de mort encéphalique, on n‟est pas sûr de l‟irréversibilité de l‟arrêt cardiaque », sont d‟ordre axiologique.

D‟autres travaux ont identifié la mobilisation de plusieurs déterminants axiologiques chez un échantillon représentatif de citoyens tunisiens (Hamouda et al., 2010) et chez des étudiants (Touzri Takari, 2017), dans le cadre de don d‟organes. Pour expliquer les arguments mobilisés de la catégorie C3, on rappelle que la mort était depuis l‟antiquité définie essentiellement par l‟arrêt de la respiration, puis l‟arrêt des battements cardiaques. Actuellement, la notion de mort cérébrale ne semble pas être acceptée par la catégorie C3 car tant que la chaleur vitale est présente et que l‟individu respire, même artificiellement, la mort n‟est pas une mort complète pour ces étudiants.

Chapitre VI – Représentations notion de mort et don d‟organes

Nous constatons aussi que les propos de ces derniers étudiants rejoignent ceux de Jonas (1969) qui définit l‟individu à travers l‟unité de son cerveau et de son cœur. La mort, pour lui, comme pour cette dernière catégorie d‟étudiants, est la mort concomitante du cerveau et du cœur. La préservation d‟une fonction hémodynamique, nécessaire pour avoir un transplant de bonne qualité, n‟est pas une mort complète de la personne pour C3. L‟Et 11 de la catégorie 3 considère même que l‟arrêt de l‟activité cérébrale (mort encéphalique) n‟est pas un critère essentiel de la mort. Pour lui, avec une personne en état de mort encéphalique, « on n‟est pas sûr de l‟irréversibilité de la mort ». Pour cette catégorie d‟étudiants, comme pour Jonas, cette personne en état de coma irréversible ou de mort cérébrale est une personne mourante et non morte.

Ce genre d‟arguments mobilisés par cet échantillon d‟étudiants biologiquement instruits pourrait expliquer les fortes réticences aux dons d‟organes post mortem en Tunisie. Notons que pour remédier aux réticences qu‟expriment les Tunisiens envers le don post mortem, des efforts de sensibilisation ont été déployés par l‟Association Tunisienne de Sensibilisation au Don d‟Organes (ATSADO). Ces efforts ont contribué à ramener le taux d‟opposition des familles au prélèvement d‟organes de 85% à 75% en 2007 et depuis ce taux n‟a pas beaucoup changé.

Dans ce cadre de promotion de don d‟organes, on note qu‟une progression du nombre de greffes rénales sur des personnes dialysées, en Tunisie, s‟est faite. Ce taux encore faible, mais en progression. Ceci pourrait s‟expliquer par les arguments mobilisés par cet échantillon d‟étudiants tunisiens car la progression observée de greffes rénales est due aux donneurs vivants et pas aux dons post mortem (Ben Ammar, 2009, p. 115).