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Instabilité de cisaillement

6.5 Instabilités hydrodynamiques liées à la rotation

6.5.1 Instabilité de cisaillement

L’instabilité de cisaillement est souvent considérée comme étant la principale source de transport turbulent dans les zones radiatives stellaires (Knobloch & Spruit, 1983; Zahn, 1992). Les écoulements cisaillés sont omniprésents dans la nature et existent dès que deux particules fluides adjacentes se déplacent dans la même direc-tion, mais à des vitesses différentes. Le cisaillement est alors l’amplitude du gradient de vitesse dans la direction perpendiculaire au déplacement. Dans cette section, nous

présenterons le cas classique d’un écoulement plan parallèle, pour un fluide non-visqueux, avec et sans stratification, et nous discuterons des effets diffusifs.

Cas non stratifié

Prenons un fluide incompressible et non-visqueux entre deux plaques parallèles localisées respectivement à z “ 0 et z “ H. Considérons maintenant que ces deux plaques sont imperméables, c’est-à-dire vzpHq “ vzp0q “ 0, et qu’il existe un écou-lement satisfaisant l’équation du mouvement stationnaire, dirigé dans la direction x, et dont le profil vertical arbitraire est imposé, v“vxpzqex. Le fluide n’étant pas vis-queux, il n’existe pas de couche limite au niveau des deux parois. Une vue schématique de la configuration géométrique est représentée Fig. 6.10. L’équation du mouvement et l’équation de continuité dans le référentiel inertiel s’écrivent simplement

$

Étudions maintenant la stabilité de l’écoulement laminaire v sujet à des per-turbations d’amplitudes infinitésimales. Pour cela, nous décomposons le champ de vitesses env “v`v˜“vxpzqex`v, où˜ v˜ est la perturbation infinitésimale du champ de vitesses. Nous faisons la même décomposition pour le champ de pression. Cepen-dant, le terme non linéaire d’accélération convective pv¨∇qv “ 0, donc ∇P “ 0.

Ainsi, nous pouvons écrire les équations du mouvement projetées dans les directions x etz et linéarisées, ainsi que l’équation de continuité. Il vient

$

Les coefficients de ce système d’équations aux dérivées partielles ne sont ni fonction de t ni de x. Ainsi, nous cherchons des solutions de la forme qpx, z, tq “˜ ˆ

qpzqexppikxx`λtq, oùλ est le taux de croissance des perturbations, etkx est la com-posante horizontale du nombre d’onde (Garaud et al., 2015). Le système d’équations (6.77) s’écrit alors

Figure 6.10: Exemples de profils verticaux laminairesvx entre deux parois parallèles et imperméables.

$

’’

’’

’’

&

’’

’’

’’

%

λˆvx`ikxvxx`vˆz

dvx

dz “ ´ikxP ,ˆ λˆvz`ikxvxz “ ´dPˆ

dz , ikxˆvx`dˆvz

dz “0.

(6.78)

Il suffit maintenant de combiner ces trois équations, et d’introduire la vitesse de phase des fluctuations sinusoïdalesctelle queλ “ ´ikxc(Drazin,2002;Garaudet al., 2015), pour obtenir l’équation de Rayleigh

pvx´cq

˜d2z

dz2 ´kx2z

¸

´ˆvz

d2vx

dz2 “0, (6.79)

qui doit être résolue numériquement. Nous notons cependant que les modes se pro-pagent de la même manière dans le sensxpositif etxnégatif. En effet, les solutions de cette équation ne dépendent pas du signe dekx. Notons aussi que les modes instables (Rpλq ą 0) àkx ą0, correspondent aux modes dont la partie imaginaire de la vitesse de phase Ipcqest positive. Si c est réel, alors les modes associés ne sont ni stables ni

instables, ils oscillent et sont appelés modes neutres. Nous pouvons maintenant déri-ver la condition de stabilité linéaire (nécessaire mais pas suffisante) appelée théorème du point d’inflexion de Rayleigh (Rayleigh,1880). En effet, multiplions (6.79) et son complexe conjugué respectivement par ˆvz˚{pvx ´cq et vˆz{pvx ´c˚q où le symbole ˚ indique la forme complexe conjuguée, soustrayons ces deux équations et intégrons le résultat entre z “0 et z“H. Il vient

Ipcq żH

0

ˆ vz˚z pvx´cqpvx´c˚q

d2vx

dz2 dz “0 , (6.80)

en utilisant la condition limitevˆz “0àz “0etz “H. Nous avons vu, plus haut, que les modes instables sont caractérisés par Ipcq ą 0. Ainsi, pour Ipcq ą 0, les termes dans l’intégrale ne peuvent pas rester positif dans l’ensemble du domaine, et le seul terme pouvant potentiellement changer de signe est d2vx{dz2. Le critère nécessaire pour l’instabilité linéaire requiert que quelque part entre z “0et z “H

d2vx

dz2 “0 , (6.81)

et donc que l’écoulement laminaire possède un point d’inflexion. Ainsi, il est intéres-sant de remarquer, par exemple, qu’un profil de vitesse laminaire linéaire est toujours linéairement stable vis-à-vis du cisaillement, lorsque l’on considère un fluide non-visqueux et non-stratifié.

Cas stratifié et non-diffusif

Considérons maintenant les effets de la stratification en imposant un profil ver-tical de densité nominale ρpzq en équilibre hydrostatique, c’est-à-dire tel que

dPpzq

dz `ρpzqg “0. (6.82)

Cette densité nominale sera choisie décroissante avec la hauteur z dans notre système bi-dimensionnel, telle que le fluide soit stratifié de manière stable. Cette stra-tification stable introduit ainsi une force de rappel, la force d’Archimède, qui tend à inhiber les mouvement verticaux et à stabiliser l’écoulement. Les zones radiatives stellaires étant elles même stratifiées, cet incrément de sophistication est un pas sup-plémentaire vers une modélisation réaliste des intérieurs stellaires. Nous nous plaçons dans l’approximation de Boussinesq, souvent utilisée pour simplifier les études théo-riques et numéthéo-riques des fluides stratifiés et incompressibles. Ainsi, nous supposons que les fluctuations de densité autour du profil nominal sont négligeables, sauf dans

le terme de poussée d’Archimède. L’utilisation de cette approximation est justifiée si les vitesses restent faibles par rapport à celle du son (M2 “ V2{c2s ! 1) et si les hauteurs de pression, de température et de densité sont grandes par rapport à la hau-teur du domaine occupé par le fluide (Spiegel & Veronis,1960). Cette approximation considère l’équation d’état ρ˜“ ´ραT˜ où T˜ est la perturbation du profil nominal de température T, et α“ ´ρ´1pBρ{BTqP est le coefficient de dilatation thermique.

Le profil de température nominale est choisi linéaire, c’est-à-dire dT{dz “Tz “ Cte, et les équations du mouvement, de la température et de continuité peuvent alors s’écrire, dans le cas non-diffusif

$

Comme pour le cas non stratifié, nous linéarisons ces équations, les projetons dans les deux directions, x et z, et cherchons des solutions de la forme qpx, z, tq “˜ ˆ

qpzqexppikxx`λtq. La combinaison de ces équations permet alors d’obtenir l’équation de Taylor-Goldstein oùN2 “αgTz est la fréquence de Brunt-Väisälä. Notons que dans le cas non stratifié, c’est-à-dire le cas où N2 “0, nous retrouvons l’équation de Rayleigh (6.79). Comme pour le cas non-stratifié, nous remarquons que les solutions de cette équation peuvent être associées à des modes neutres si Ipcq “ 0, ainsi qu’à des modes instables si Ipcq ą 0. De manière analogue au cas non-stratifié, il est possible de montrer que cette équation implique (Miles,1961;Howard, 1961)

Ipcq

vx´c. La condition nécessaire (mais pas suffisante) d’instabilitéIpcq ą 0 implique que le terme de droite est positif. Le terme de gauche doit alors l’être aussi. Ainsi, un écoulement non visqueux et stratifié peut être linéairement instable si quelque part dans le domaine

Jpzq “ N2

`dux{dz˘2 ă 1

4 , (6.86)

où Jpzq est le nombre de Richardson local. Ainsi, la stratification stable a un effet stabilisateur sur l’écoulement cisaillé. Les intérieurs stellaires sont généralement très fortement stratifiés, en particulier Jpzq ne tombe jamais en dessous de l’unité dans les zones radiatives. Ce critère implique donc que les intérieurs stellaires sonta priori toujours stables vis-à-vis de l’instabilité de cisaillement (à quelques rares exceptions près, voir Edelmann et al., 2017). Autrement dit, le cisaillement généré par la ro-tation différentielle est a priori trop faible pour surpasser l’effet stabilisateur de la stratification.

Le rôle de la viscosité et de la diffusion thermique

Jusqu’ici, nous avons étudié les conditions de stabilité d’un écoulement cisaillé non visqueux et non diffusif. Tandis que la viscosité tend à avoir un effet stabilisateur, nous avons vu qu’une stratification (stable) en densité peut stabiliser un écoulement qui, s’il n’était pas stratifié, serait instable. La diffusion thermique quant à elle lisse les perturbations de température et donc de densité. Ainsi, lorsqu’elle est prise en compte, cette dernière inhibe la force d’Archimède qui stabilise l’écoulement et peut alors permettre à l’instabilité de se développer. C’estTownsend(1958) qui, le premier, montre que les effets d’ajustement thermique des particules fluides par la radiation à leur voisinage entraîne une augmentation du nombre de Richardson critique, passant ainsi de1{4àpStcoolq´1, oùS “ |dv{dz|est le taux de cisaillement local, tcool “l2T

est le temps de refroidissement par la radiation, l est la longueur caractéristique des tourbillons, et κT est la diffusivité thermique. Ainsi, la nouvelle condition pour l’instabilité peut s’écrire JP el ă pJP eqc où P el “ Stcool est le nombre de Péclet turbulent et pJP eqc est une constante d’ordre 1. Cette condition indique que tout écoulement cisaillé et stratifié peut toujours être instable si l est suffisamment petit.

Évidemment, l ne peut pas être infiniment petit à cause de la viscosité.Zahn (1974) introduit alors une échelle de longueur critique pour les tourbillonslcqui correspond à la plus petite échelle pour laquelle le nombre de Reynolds est supercritique. Le nombre de Reynolds critiqueRec “Slc2{ν est une constante universelle d’ordre 103. Le critère d’instabilité, pour toute échelle de longueur peut alors s’écrireJP eă pJP eqcRe{Rec, c’est-à-dire

JP r ă pJP rqc ” pJP eqc

Rec

, (6.87)

où P r “ ν{κT est le nombre de Prandtl, très petit dans les intérieurs stellaires ra-diatifs, et pJP rqc » 0.007 (Garaud & Kulenthirarajah, 2016; Prat et al., 2016; Ga-raud et al., 2017). En particulier, Jcrit qui était égal à 1{4 dans le cas non-diffusif, peut atteindre des valeurs de l’ordre de 103–104 dans les intérieurs stellaires, et ainsi permettre au cisaillement généré par la rotation différentielle de surpasser l’effet sta-bilisateur de la stratification (stable). Bien-sûr, la géométrie adaptée à l’étude des intérieurs stellaires est sphérique et le taux de cisaillement s’écrit S “ rsinθdΩ{dr pour une rotation en coquilles (Ω“Ωprq).

Les écoulements cisaillés turbulents associés à l’instabilité de cisaillement sont caractérisés par un transport turbulent des scalaires passifs et de la quantité de mou-vement, dans la direction du cisaillement, et sont associés, respectimou-vement, au coef-ficient de diffusion verticale Dv et à la viscosité turbulente νv. Pour déterminer leur expression,Zahn(1992) fait l’hypothèse simple que l’écoulement reste marginalement stable, c’est-à-dire qu’il supposeJP r“ pJP rqc. Cette hypothèse définit ainsi la taille des tourbillons

oùH est l’échelle de longueur verticale de la couche de cisaillement etP e“SH2T. Il vient alors Dv » νv » CκT{J9Sl2Z où C » 0.08 (Garaud et al., 2017) est une autre constante universelle et κT est la diffusivité thermique. Le critère d’instabilité (6.87) est vérifié par les simulations numériques directes de Prat et al. (2016) et de Garaud et al. (2017) mais l’expression des coefficients de transport ne reproduit pas correctement les résultats numériques dans la limite de faible stratification (J ! 1) pour laquelleZahn(1992) prédit queDvetνv doivent tendre vers une valeur infinie, ce qui n’est évidemment pas physique.Garaudet al.(2017) montre que le fait que la taille des tourbillons est inversement proportionnelle à J, et que la taille du domaine est limitée verticalement, implique que dans la limite des faibles stratifications lZ ÑH, donc que dans ce régime Dv et νv tendent vers une valeur constante. Ils proposent alors un nouveau modèle 0.08, b » 0.25 et la valeur de a dépend de la configuration du système mais peut être prise égale à 1. La figure 6.11 montre la comparaison entre le modèle de Zahn, le modèle présenté Eq. 6.89, et les données numériques, pour différents nombres de

Figure 6.11: Comparaison entre le modèle de Zahn pour le transport turbulent et celui de Garaud et al. (2017). Les symboles correspondent aux résultats des simula-tions numériques directes de Garaud et al. (2017) à différents nombres de Reynolds ReC “SCH2{ν. Source : Garaudet al. (2017).

Reynolds.

Gagnier & Garaud (2018) montrent ensuite que l’apparition de la turbulence dans un écoulement cisaillé et stablement stratifié est sujette à l’hystérésis. En par-ticulier, le critère d’instabilité linéaire (6.87) n’est pas une condition suffisante (bien que nécessaire) pour être le siège de turbulence, et l’apparition de cette turbulence dé-pend de l’évolution de la stabilité de cet écoulement. Aussi,Gagnier & Garaud(2018) montrent que contrairement à ce qu’implique le critère d’instabilité linéaire (6.87), il existe un “overshoot” turbulent entre les régions théoriquement stables vis-à-vis de ce critère, et les régions théoriquement instables adjacentes. L’échelle de longueur de cet overshoot où l’amplitude de l’écoulement turbulent décroît exponentiellement, δ, est de l’ordre de l’échelle de longueur verticale des tourbillons.

Ainsi, bien que le modèle de Zahn pour l’instabilité de cisaillement soit très largement utilisé, en particulier pour modéliser le transport turbulent dans les codes d’évolution stellaire, ce dernier possède quelques limites. En particulier, le critère d’instabilité de Zahn (1974) ne prend pas en considération les effets non-locaux de la turbulence, et l’expression analytique des coefficients de transport deZahn (1992) n’est pas nécessairement valide dans tous les régimes de stratification. Enfin, bien que dans les étoiles le cisaillement est associé à la rotation différentielle, le modèle de Zahn ne prend pas en considération les effets de la rotation, qui sont potentiellement cruciaux. En effet, selon le signe du gradient de moment cinétique dans la direction

perpendiculaire à l’axe de rotation, la rotation peut soit stabiliser soit déstabiliser un écoulement cisaillé et stratifié, et donc modifier considérablement les conditions d’instabilité ainsi que le transport turbulent associé.

6.6 Stabilité des couches limites horizontales et