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Pourquoi les insectes sont-ils plus consommés sous les tropiques que dans les zones tempérées du monde?

3. Culture, religion et histoire de l’entomophagiede l’entomophagie

3.1.1 Pourquoi les insectes sont-ils plus consommés sous les tropiques que dans les zones tempérées du monde?

Il est généralement admis que la pratique de manger des insectes a lieu exclusivement dans les pays tropicaux. Ce n’est pas tout à fait vrai, car les insectes sont aussi consommés dans des pays partiellement ou entièrement en zones tempérées, tels que la Chine (Feng et Chen, 2003), le Japon (Mitsuhashi, 2005) et le Mexique (Ramos Elorduy, 1997). Même entre les pays tropicaux et à l’intérieur de ceux-ci, il peut y avoir de grandes différences entre les groupes ethniques sur la comestibilité des insectes (Meyer-Rochow, 2005).

Toutefois, en général, la consommation des insectes est courante sous les tropiques, alors que dans les zones tempérées elle est souvent absente. Un certain nombre d’assertions en faveur de l’entomophagie sont connues à travers la littérature, bien que certaines soient difficiles à défendre:

• Les insectes tendent à être plus gros sous les tropiques, ce qui facilite la récolte.

Bien qu’une taille plus grande du corps des insectes soit souvent observée sous les tropiques, comparée à celle observée dans les régions tempérées, ce trait ne peut pas être généralisé (Jansen et Schoener, 1968; Gaston et Chown, 1999). La taille du corps est liée au métabolisme de l’insecte, mais la façon dont apparaissent des corps de différentes tailles n’est pas complètement expliquée (Gaston et Chown, 1999).

Cependant, pratiquement tous les insectes de taille exceptionnellement grande appartiennent à des espèces tropicales, et ceci peut être dû, dans une certaine mesure, à la façon dont les insectes respirent. Tout comme les humains, les insectes ont besoin

Encadré 3.1

Crevettes du ciel et grillons des mers

Les Indiens d’amérique, tels que ceux qui vivaient librement dans ce qui s’appelle de nos jours l’Utah, étaient très accoutumés à consommer des sauterelles, des criquets et des grillons. La première fois qu’ils ont goûté des crevettes, les Indiens Goshute ont nommé ces créatures

«grillons de mer» (Lockwood, 2004).

récemment, en australie, christopher carr et Edward Joshua du département des industries primaires de Nouvelle-Galles du Sud ont proposé de renommer les criquets «crevette du ciel», une appellation plus acceptable dans les pays occidentaux, et ont compilé des recettes dans un livre de cuisine, Cuisiner les crevettes du ciel (BBc, 2004).

d’oxygène et rejettent du dioxyde de carbone (CO2) comme déchet. Cependant, les insectes respirent, à la place de poumons, grâce à un ensemble de tubes appelé le système trachéen. L’échange gazeux se fait dans tout le corps, principalement, par diffusion, ce qui, se produisant plus rapidement à température plus élevée, permet l’apparition de plus gros insectes sous climats plus chauds (Kirkpatrick, 1957).

Comme le montrent les restes fossiles, les insectes atteignaient de plus grandes tailles au paléozoïque tardif (Shear et Kukalová-Peck, 1990), certains atteignant un mètre en raison de températures atmosphériques plus élevées.

• Sous les tropiques les insectes se rassemblent souvent en grand nombre, ce qui permet de récolter en une seule fois de grandes quantités. Les essaims de criquets s’abattent pour la nuit, rendant la récolte très facile le soir ou tôt le matin.

Les termites ailés, qui prennent leur envol nuptial lors de la chute des premières pluies à la fin de la saison sèche, émergent des termitières en grand nombre. Dans les forêts, les chenilles se rassemblent naturellement en masse. Certains insectes se rassemblent aussi dans les régions tempérées, tels que la sauterelle mormone (Anabrus simplex) et la chenille processionnaire du chêne (Thaumetopoea processionea). Les Amérindiens consommaient probablement la sauterelle mormone (Madsen et Kirkman, 1988); toutefois, la chenille processionnaire du chêne porte des poils qui peuvent provoquer la papillonite (dermatite, conjonctivite et affection pulmonaire) (Gottschling et Meyer, 2006) et ne devrait pas être consommée.

• Une diversité d’espèces d’insectes comestibles peut être trouvée tout au long de l’année sous les tropiques. Dans les zones tempérées, les insectes hibernent pour survivre aux hivers froids. Pendant cette période, aucune espèce active d’insecte ne peut être trouvée, et leur développement s’arrête.

• Pour de nombreuses espèces d’insectes sous les tropiques, la récolte est prévisible.

Ceci peut n’être pas vrai pour les vols de criquets, par exemple, mais de nombreuses populations locales connaissent où et quand récolter une grande variété d’espèces d’insectes. Ce type de savoir a disparu ou est en train de disparaître dans les zones tempérées et dans les régions en voie d’occidentalisation.

• Localisation. Les charançons du palmier, par exemple, sont trouvés dans les palmiers tombés au sol (p. ex. après les typhons en Asie) ou qui ont été abattus intentionnellement pour déclencher la ponte des insectes adultes (Choo, Zent et Simpson, 2009). Les chenilles du bambou sont trouvées dans les tiges de bambou, les bousiers sous les bouses, les termites soldats dans les termitières, et ainsi de suite. De nombreux insectes ont également leurs plantes ou leurs arbres préférés.

• Période d’abondance. Ceci peut être saisonnier (souvent en fonction des pluies) ou à une heure préférée du jour. Par exemple, les sauterelles sont récoltées tôt le matin lorsqu’il fait trop frais pour qu’elles puissent voler.

3.2 PourquoI Les InseCtes n’ont-ILs Pas ÉtÉ domestIquÉs à des FIns aLImentaIres?

Les insectes sont considérés comme des mets raffinés dans de nombreuses parties du monde, particulièrement sous les tropiques. Par exemple, l’édition de 1992 du Malawi Cookbook (Livre de cuisine du Malawi) présente moult recettes sous le titre «friandises traditionnelles». Il déclare que de nombreuses espèces d’insectes sont très recherchées, dont les larves de charançon du palmier grillées au barbecue et les termites rôtis. Alors pourquoi, à l’exception des abeilles, des cochenilles et du ver à soie, les insectes n’ont-ils jamais été domestiqués?

La domestication des animaux et des plantes a eu lieu il y a des milliers d’années sous différentes formes, apparaissant indépendamment en différents points du globe et à diverses époques. Le Croissant fertile, la Chine, l’Inde, la Mésoamérique (Mexique du Centre et du Sud, et zones adjacentes), les Andes en Amérique du Sud et l’Est des États-Unis, prétendent tous à une production alimentaire à une époque très reculée

(Diamond, 2005). À noter le cas de la Mésoamérique, où les Aztèques ont développé une société complexe avec de fortes densités de populations sans domestication d’animaux de grandes dimensions. On pense qu’une de leurs sources de protéines de base était les insectes et les œufs d’insectes, ces derniers étant produits grâce à des méthodes de production naturelle améliorée dans les marécages et les étangs du plateau central du Mexique (Parsons, 2010) (voir chapitre 4).

Des activités autour de la gestion de diverses ressources non- domestiquées peuvent être observées de nos jours dans les forêts tropicales (Perez, 1995). Les espèces végétales et animales récemment domestiquées comprennent la noix de macadamia (Macadamia integrifolia), la carambole (Averrhoa carambola), le paca (Agouti paca) et l’iguane (Iguana iguana) (Vantomme, Gazza et Lescuyer, 2010). D’autres cas de production naturelle améliorée d’insectes comestibles existent (Van Itterbeeck et van Huis, 2012), dont un, bien connu, est celui du charançon du palmier, Rhynchophorus palmarum, en Amérique latine (Choo, Zent et Simpson, 2009). Apprivoiser et gérer une espèce sont les premières étapes de la domestication (Barker, 2009); toutefois, les insectes sous production naturelle améliorée et les autres insectes comestibles – à l’exception des abeilles, des cochenilles et du ver à soie – n’ont jamais été domestiqués. Bien qu’une explication simple ne soit pas possible ici, quelques facteurs importants peuvent être décrits.

Il y a 148 espèces de grands mammifères herbivores et omnivores terrestres pesant au moins 45 kg. Le fait que seules 14 d’entre elles ont été domestiquées n’est dû ni à l’ignorance des hommes ni à leur incapacité, mais il est le résultat direct des caractéristiques biologiques intrinsèques des animaux. Diamond (2005) a identifié six caractéristiques qu’un animal doit avoir pour permettre sa domestication:

• un régime alimentaire adéquat (les herbivores sont les plus faciles à garder et les plus efficaces comme ressource alimentaire);

• un taux de croissance élevé (il est plus économique et plus avantageux d’investir dans des animaux à croissance rapide);

• la capacité à être élevé en captivité (certains animaux refusent tout simplement de le faire);

• une disposition à la domestication (p. ex. la domestication du cheval a réussi, mais celle des zèbres a échoué du fait de leur agressivité et de leur tendance à mordre sans relâche);

• un comportement relativement calme (les animaux qui ont tendance à paniquer peuvent créer des situations dangereuses);

• une structure sociale hiérarchique claire (permettant à l’homme de prendre la place du chef).

Tout comme les mammifères, tous les insectes comestibles ne sont pas aptes à la domestication. Cependant, les insectes n’étant pas des mammifères, les caractéristiques énumérées ci-dessus ne peuvent pas être considérées comme infaillibles en évaluant les possibilités de domestication des espèces d’insectes. Gon et Price (1984) ont compilé une liste des caractéristiques favorables pour sélectionner les espèces d’insectes candidates à la domestication (elles sont présentées plus loin, au chapitre 7).

Les contextes historiques, pendant lesquels la domestication des plantes et des animaux a eu lieu, doivent aussi être pris en compte. La domestication des grands animaux (et des plantes) a donné aux Européens un avantage considérable sur les autres régions, qui a été mis en évidence par leurs conquêtes tout autour du monde (Diamond, 2005). Ces conquêtes ont permis aux Européens d’exercer une influence majeure sur la production alimentaire, avec des habitudes, des connaissances, des techniques et des organismes exportés dans le monde entier. Les attitudes négatives mentionnées plus haut, vis-à-vis de la consommation des insectes, faisaient peut-être partie de cet ensemble, tout comme à une époque plus récente (Encadré 3.2). Il est concevable qu’avec plus de temps et sans la colonisation européenne ni les importations, la production naturelle améliorée d’insectes comestibles (ou même la domestication) aurait pu être plus répandue et concerner plus d’espèces.

Encadré 3.2

exemples du mali et des États-unis8

Les cultures occidentales ont une histoire embarrassante d’élimination physique, émotionnelle et culturelle des peuples autochtones. chez 25 à 50 pour cent des tribus amérindiennes, par exemple, il existait une longue histoire de consommation des insectes; or, du fait que les cultures occidentales n’avaient aucune expérience culturelle forte de cette pratique, les Européens la considérèrent primitive, ils la découragèrent et la supprimèrent chez les tribus amérindiennes lorsque ces deux groupes culturels commencèrent à interagir durant les XVIIIe et XIXe siècles. Les cultures occidentales infligèrent les mêmes dommages à d’autres groupes autochtones, dont de nombreux groupes en afrique subsaharienne, dans le but de les moderniser et de les occidentaliser. cette suppression culturelle était toujours en vigueur à la fin du XXe siècle. En conséquence, l’entomophagie a presque disparu du canada et des états-Unis et montre des signes d’essoufflement en afrique de l’Ouest.

mali. Traditionnellement, les enfants au Mali chassent et consomment les sauterelles en amuse-gueule. Dans le village de Sanambele on peut les voir récoltant les insectes dans les champs de coton. depuis 2010, cependant, le coton est cultivé comme culture de rente dans des champs plus près du village pour obtenir des rendements élevés dans les champs même où les enfants récoltent les sauterelles. Les conseillers occidentaux préconisèrent aux agriculteurs l’usage de pesticides afin d’obtenir plus de stabilité économique dans la zone, une stratégie basée sur une tolérance zéro pour tout insecte sur toute culture.

Le fait que les sauterelles fassent partie de cet agroécosystème et soient essentielles à la santé nutritionnelle des enfants de Sanambele ne fut pas pris en compte. Des données récentes ont montré que 23 pour cent des enfants de Sanambele étaient à présent en danger de malnutrition protéino-énergétique ou déjà mal nourris (un état connu sous le nom de kwashiorkor). Bien qu’elles soient une source protéinique saisonnière, les sauterelles fournissent des protéines en quantité significative pour combler le déficit. Les mères du village de Sanambele, inquiètes de voir leurs enfants exposés aux pesticides, leur interdisent de récolter et de consommer les sauterelles. Les attitudes occidentales vis-à-vis de l’entomophagie ont ainsi abouti à des pratiques dommageables aux gens et à l’environnement fragile de l’afrique de l’Ouest.

États-unis. Les Utes, étroitement apparentés aux Shoshones orientaux, sont une tribu amérindienne qui vivait dans ce qui est maintenant appelé l’Utah, aux états-Unis, particulièrement autour du Grand Lac Salé. À la fin du XIXe siècle, des colons blancs arrivèrent de l’Est dans des chariots bâchés, avec beaucoup d’espérances, mais avec aucune ou peu de connaissance traditionnelle. Leurs cultures échouèrent en raison de pluies insuffisantes et d’attaques de sauterelles, et il devint évident que les réserves alimentaires ne suffiraient pas aux familles pour passer un hiver rigoureux. Les colons se tournèrent vers les Utes pour leur demander des vivres. Les Utes préparèrent leur plat traditionnel nourrissant riche en protéines, appelé gâteau de la prairie, confectionné à l’aide d’amélanches, de noix locales, et d’autres ingrédients locaux. Les colons blancs les trouvèrent délicieux et les consommèrent durant tout l’hiver. Leurs descendants notent que lorsque les colons ont découvert plus tard qu’un des ingrédients principaux du gâteau de prairie était une variété de sauterelle tettigoniidae (appelée katydid) abondante sur les rives du Grand Lac Salé, ils refusèrent d’en consommer – preuve de l’aversion, il y a 150 ans, dans les cultures occidentales à l’égard des insectes alimentaires. cette sauterelle tettigoniidae qui a sauvé la vie des colons mormons est appelée de nos jours la sauterelle mormon.

8 cet encadré a été rédigé par Florence dunkel.