• Aucun résultat trouvé

LES INITIATIVES POPULAIRES

Dans le document Les droits politiques dans les cantons suisses (Page 133-138)

DU TRIBUNAL FÉDÉRAL *

3. LES INITIATIVES POPULAIRES

Il y a 35 ans, Giacometti pouvait encore écrire que l'initiative popu-laire tant constitutionnelle que législative ne jouait qu'un rôle mineur dans la pratique constitutionnelle des cantons et qu'à l'exception des cantons de ZH et BS, la seconde n'avait acquis nulle part une réelle importance politique 98. Aujourd'hui, le nombre sans cesse croissant de recours qui sont adressés au Tribunal fédéral en cette matière 99 indique que cette affirmation doit être sérieusement remise en question. Le domaine des initiatives populaires est en effet devenu, depuis une quin-zaine d'années, celui où l'art. 85 let. a OJ est invoqué le plus fré-quemment : le Tribunal fédéral a publié pas moins de 20 arrêts en cette matière depuis 1962, dont 13 pendant la seule période allant de 1972 à 1976 100. Cet accroissement considérable des interventions du Tribunal fédéral est sans doute dû, même si l'on ne connaît malheureusement pas de statistiques précises, au nombre croissant d'initiatives cantonales et communales 101. Il est à espérer que nos politologues, qui commencent à s'intéresser au fonctionnement des initiatives populaires au niveau fédéral 102 , en viennent bientôt à étendre le champ de leurs recherches aux niveaux du droit cantonal et communal.

Nous avons examiné dans quels domaines les cantons accordent au peuple le droit d'initiative et à quelle fraction du corps électoral ils réservent ce droit 103, En étudiant la jurisprudence du Tribunal fédéral, nous pouvons donc renoncer à faire la distinction entre l'initiative cons-titutionnelle, législative, administrative, voire financière et tenter de grouper les problèmes juridiques soulevés par cette jurisprudence selon d'autres critères. Ces derniers nous sont dictés par la jurisprudence elle-même : en effet, plus de deux tiers des arrêts concernant \es ini-tiatives populaires portent sur la question de la validité de celles-ci.

Nous examinerons donc les conditions de validité d'abord formelles puis

98 Das Staatsrecht der schiveizerischen Kantone, Zurich 1941, p. 467, 475.

99 Le premier arrêt publié date de 1922, ATF 48 1 56 Perret.

100 Supra, p. 93, tableau 3.

101 Voir Rapport de gestion du Tribunal fédéral pour l'année 1976, p. 297.

102 Voir notamment l'ouvrage récent de DELLEY, Mythe et réalité de la démocratie directe - le cas de l'initiative populaire, thèse Genève 1978.

10s Supra, p. 45 ss.

LA JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL FÉDÉRAL

surtout matérielles que la cour constitutionnelle a dégagées soit du droit cantonal soit directement du droit fédéral, en ajoutant une remar-que sur l'invalidité partielle d'une initiative, de même remar-que sur le pouvoir du Tribunal fédéral. Une autre question, moins complexe, est celle, d'une part, de la possibilité pour les autorités d'opposer un contre-projet à une initiative populaire, d'autre part du délai pendant lequel elles doivent prendre position sur celle-ci. Restera enfin le second aspect du droit d'initiative, celui de récolter des signatures sur la voie publique

et

les questions constitutionnelles qu'il soulève.

3.1. La validité formelle.

Les conditions de validité formelle des initiatives populaires sont définies surtout par la constitution et la législation cantonales. En dehors des limites très larges que trace l'art. 4 Cst à l'adoption et à l'application de prescriptions formelles, le droit fédéral ne pose en cette matière qu'une seule règle qui lie tant les citoyens actifs que les autorités : le respect du principe de l'unité de la matière.

3.1.1. Le droit cantonal.

L'exercice du droit d'initiative par une fraction du corps électoral est soumis à un certain nombre d'exigences de forme qui tiennent non seulement à la définition de cette fraction c'est-à-dire au nombre de signatures nécessaires à l'aboutissement d'une initiative, mais encore par exemple au libellé des listes, à l'attestation de celles-ci ou au délai dans lesquelles elles doivent être déposées auprès de l'autorité compé-tente 104 • Ces exigences varient d'un canton à l'autre. Dans la mesure où elles font partie des conditions de l'exercice des droits politiques et non pas du contenu ou du contrôle de ceux-ci, elles touchent une ques-tion que nous avons délibérément exclue de l'objet du présent travail 1 05 ,

Le Tribunal fédéral n'a d'ailleurs pas eu, sauf erreur, à se prononcer sur la validité de ces exigences au regard de l'art. 85 let. a 0

J.

Il les

a examinées parfois sous l'angle de l'art. 4 Cst., qui interdit aux

auto-104 Voir par exemple ZH art .13 a\.. 2 de la loi sur l'initiative populaire du 1 •r juin 1969 (délai de 6 mois) ; GR art. 53 de la loi sur l'exercice des droits politiques du 7 octobre 1962 (délai de 1 an) ; Tl art. 3 al. 3 de la loi sur les initiatives populaires, le référendum et la révocation du Conseil d'Etat du 22 février 1954 (délai de 60 jours) ; VD art. i02 de la loi sur l'exercice des droits politiques du 17 novembre 1948 (délai de 3 mois); NE art. 120 de la loi sur l'exercice des droits politiques du 21 novembre 1944 (délai de 6 mois). Comp.

au niveau fédéral l'art. 71 de la loi fédérale sur les droits politiques du 17 dé-cembre 1976 (délai de 18 mois), acceptée en votation populaire du 4 dédé-cembre 1977.

105 Supra, p. 30.

rités de faire preuve d'un formalisme excessif que ne justifie aucun intérêt digne de protection et qui empêche ou complique de façon insou-tenable l'application du droit matérieJ 106. C'est ainsi qu'il a déclaré dans l'arrêt Lechleiter qu'une exigence de forme prévue par la loi en vertu de laquelle les noms et adresses des membres du comité d'ini-tiative doivent figurer sur chaque liste de signatures n'est pas contraire à l'art. 4 Cst. 101. En revanche, dans un arrêt du 9 février 1977, il a estimé que l'autorité cantonale qui annule des signatures émanant de ménagères ou de retraités qui ne remplissent pas la rubrique réservée à la profession du signataire, de même que celles qui mettent le prénom dans la rubrique réservée au nom de famille et inversément, fait preuve d'un formalisme excessif 1os.

Nous pouvons en rester là. Tout au plus peut-on se demander jusqu'à quel point l'art. 4 Cst. assure aux citoyens une protection suffisante contre une définition ou une application des exigences formelles qui porterait une atteinte directe au contenu de leur droit d'initiative. On peut penser par exemple à un relèvement massif du nombre de signatures nécessaire à l'aboutissement d'une initiative ou à un délai extrêmement court pour le dépôt de celle-ci. Mais en examinant cette question, il convient de ne pas perdre de vue qu'en dehors des limites très larges que leur impose l'art. 6 al. 2 let. c Cst. 109, les cantons sont souverains dans la définition de ce contenu, ce qui implique qu'ils peuvent le restreindre à leur guise, soit directement en limitant l'objet du droit d'initiative, soit indirectement en soumettant son exercice à des condi-tions formelles très strictes. Le Tribunal fédéral ne peut donc, sur la base de l'art. 85 let. a 0

J,

étendre le contrôle des prescriptions canto-nales de forme au-delà de ce qui découle de l'art. 4 Cst.

3.1.2. Le principe de l'unité de la matière.

On a beaucoup parlé et beaucoup écrit, ces derniers temps, à propos du principe de l'unité de la matière qui, avec l'accroissement du nombre d'initiatives populaires, en est venu à jouer un rôle important dans les débats politiques que suscitent certaines de celles-ci. En suivant ces débats, on serait tenté de conclure que les esprits sont divisés quant à l'unité de la matière. Toutefois, ce jeu de mots ne caractériserait que partiellement la règle dont nous allons parler. En effet, s'il est vrai 1oa ATF 102 la 100. Association pour la défense des intérêts de Serrières ; 102 la 37 X ; 101 la 114 Hoirs de Fernand Delley et les arrêts cités.

101 ATF 100 la 386 ss., voir aussi supra, p. 106-107.

1os ATF 103 la 280, Mouvement populaire pour l'environnement. Cet arrêt concerne à vrai dire le droit de référendum, mais ses considérants doivent s'appliquer par analogie au domaine du droit d'initiative.

109 Voir supra, p. 46 ss.

qu'au niveau fédéral, la Constitution 110, la loi 111, la pratique de l'As-semblée fédérale 112 et la doctrine 113 donnent des significations parfois contradictoires à ce principe, la jurisprudence récente du Tribunal fédéral relative à l'importance et au contenu de celui-ci en droit can-tonal permet, sans trancher la controverse doctrinale, d'en dégager une définition suffisamment nuancée pour pouvoir être appliquée avec sou-plesse.

110 « Si, par la voie de l'initiative populaire, plusieurs dispositions différentes sont présentées pour être révisées ou pour être introduites dans la constitution fédérale, chacune d'elles doit former l'objet d'une demande d'initiative distincte», art. 121 al. 3 Cst. Initiative au/ Partialrevision der Bundesverfasscmg und die Kriseninitiative, RSJ 1935/36, p. 93 ss. ; Das Staatsrecht der schiveizerischen Kantone, op. cil., p. 424; W. BuCKHARDT, Kommentar der schiveizerischen Bundesverf ssunrt, 1931, p. 815; Manfred KUHN, Das Prinzip der Einheit der Materie bei Volksinitiativen

exclusivement de la législation cantonale et la seule base constitution-nelle qui permettrait au Tribunal fédéral d'intervenir serait l'art. 4 Cst., à savoir l'interdiction de l'arbitraire. C'est au cas où la réunion de différents objets en un projet unique contredirait toute raison et ne se justifierait par aucun motif soutenable qu'elle constituerait une vio-lation de la constitution. En d'autres termes, dans la mesure où la législation cantonale ne prévoit pas expressément le contraire et sauf le cas d'arbitraire, l'électeur n'aurait aucun droit à ce que les questions soumises au peuple aient un objet unique 115.

Cette jurisprudence très restrictive n'a été abandonnée qu'en 1964 dans l'arrêt

Couchepin

116 où le Tribunal fédéral a reconnu pour la première fois que le principe de l'unité de la matière découle direc-tement du droit fédéral et bénéficie de la protection de l'art. 85 let. a 0 ], même si la constitution et la législation cantonales ne contiennent aucune disposition à cet égard. Les droits politiques garantis par le droit fédéral comprennent aussi la liberté de vote, c'est-à-dire le droit pour le citoyen de voter dans le secret, à l'abri de toute influence extérieure et de remplir son bulletin d'une manière conforme à sa volonté réelle. Or la liberté de vote implique, en matière de référendum financier, que le citoyen ne soit en principe appelé à voter que sur une question à la fois. C'est donc le droit fédéral lui-même qui oblige l'autorité à sauve-garder cette liberté et à organiser une votation pour chaque objet.

Sinon le citoyen qui n'approuve qu'un des deux objets qui lui sont soumis en un projet unique est obligé soit de repousser ce dernier en bloc pour manifester son opposition à l'autre, soit de l'accepter, mais en faisant croire alors par son vote qu'il appuie les deux objets 111.

Cette jurisprudence a été maintes fois confirmée depuis 11s.

En ce qui concerne

le contenu

du principe de l'unité de la matière garanti par le droit fédéral et les

exigences concrètes

qu'il pose, il y a lieu de distinguer selon les domaines dans lesquels il peut s'appliquer.

Destiné à garantir l'expression sûre et véritable de la libre volonté du corps électoral, il doit en principe être respecté lors de la formulation de toute question soumise à ce dernier, qu'il s'agisse d'une loi ou d'un arrêté émanant des autorités ou d'une initiative proposée par une frac-tion du corps électoral 1rn. Ce qui vaut pour les initiatives ne vaut cependant pas nécessairement pour le référendum et en particulier pour le référendum financier. Nous reprendrons plus loin le contenu du

prin-115 ATF 57 l 188, 193.

116 ATF 90 1 69 SS.

117 A TF 90 l 72-73.

11s ATF 100 la 376 Gremaud; 99 la 183 Müller.

119 ATF 97 l 673 Schlatter voir aussi ATF 99 la 182 Müller et 99 la 646 Weber.

cipe de l'unité de la matière dans ce dernier domaine 120. Il suffit de relever ici que le Tribunal fédéral pose des exigences plus sévères au respect de ce principe dans le domaine des initiatives populaires que dans celui du référendum. Car, dit-il en s'inspirant de la doctrine 121,

en cas d'initiative populaire, l'exigence de l'unité de la matière vise non seulement à garantir la liberté de vote du citoyen et la manifestation non faussée de la volonté populaire, mais aussi à éviter que le droit d'initiative ne soit utilisé de manière abusive : la réunion d'objets les plus divers en une seule initiative populaire faciliterait de façon exces-sive la récolte des signatures requises 122. La règle veut donc notamment empêcher que les auteurs d'une initiative puissent réunir des partisans de réformes différentes et atteindre ainsi plus aisément le chiffre requis de signatures, en risquant de donner ainsi un reflet inexact de l'opinion populaire 1 23.

D'autre part, le principe impose des restrictions plus sévères aux auteurs d'une initiative constitutionnelle qu'à ceux qui lancent une ini-tiative législative.

En cas de révision constitutionnelle,

le Tribunal fédéral a Jugé dans

Dans le document Les droits politiques dans les cantons suisses (Page 133-138)