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Applications pratiques

3. LA NATURE JURIDIQUE DES DROITS POLITIQUES

3.3. La conception fonctionnelle

3.7.2. Applications pratiques

Le premier exemple concerne le vote dit

obligatoire (Stimmzwang)

7s institué par une série de cantons 79 qui estiment que l'abstentionisme doit être puni d'une amende. Si le droit de vote est une faculté, le citoyen est libre de l'exercer ou de ne pas l'exercer et l'Etat ne peut pas influencer ce choix par quelque moyen que ce soit. Si en revanche le droit de vote est une obligation civique, son non exercice peut et doit même logiquement être suivi d'une sanction, faute de quoi il ne s'agit que d'une

Lex imperfecta.

Or, le Tribunal fédéral, dans l'arrêt

Audéoud

du 26 septembre 1946 80 a explicitement rejeté le premier terme de l'alternative et déclaré constitutionnelle la loi vaudoise sur l'exercice des droits politiques de 1924 qui punissait d'une amende de Fr. 2.-le citoyen n'ayant pas pris part à une votation fédéra2.-le. Tout en recon-naissant que l'institution d'une sanction était une question d'opportunité politique qu'il appartient à chaque législateur de trancher, il a admis que le « droit de vote implique, en Suisse, une obligation, peu importe que celle-ci soit ou non prévue dans une loi et qu'elle soit ou non sanc-tionnée par une pénalité » 81. Ce faisant, et malgré un passage où il semble adhérer à lë. thèse dualiste, le Tribunal fédéral s'est rallié à la théorie de Giacometti : l'aspect « fonction» des droits politiques trans-forme leur aspect « droit » en une obligation.

78 AUBERT (note 1), vol. II, N°• 1103-1105; Paul SIEGENTHALER,

Der

Stimm-zwanK als rechtsstaatliches Problem, R.S.J.B. 1961, p. 241-255 ; USTERI (note 68), p. 412 a SS.

79 ZH, SH, AR, SG, TG.

80 ATF 72 1 165.

81 Id., p. 169.

Le second exemple, plus récent, a trait à la qualité pour former un recours de droit public, basé sur l'art. 85 let. a 0] 82 , en matière de droit d'initiative. Selon une jurisprudence constante et contrairement aux recours pour violation des droits constitutionnels des citoyens 83, la qualité pour recourir contre une prétendue violation des droits poli-tiques n'est pas soumise à l'existence d'un intérêt personnel et juri-dique au sens de l'art. 88 Oj. li suffit d'avoir l'exercice du droit de vote pour la votation ou l'élection en cause 84 • En matière de droit d'ini-tiative, qui fait partie des droits politiques au sens de l'art. 85 let. a 0] 85, cela signifie que tout citoyen actif a qualité pour recourir contre le refus de l'autorité de consulter les électeurs sur une initiative 86.

Autrement dit, le droit d'initiative que le droit cantonal accorde à une fraction du corps électoral appartient à chaque citoyen actif, lequel peut donc se plaindre de ce que l'autorité, par une décision d'irreceva-bilité, en restreigne la portée. Mais qu'en est-il lorsque l'autorité, en soumettant au peuple une initiative inconstitutionnelle ou illégale, élargit les droits des citoyens? Est-ce que chaque électeur est en droit de se plaindre de l'admission d'une initiative laquelle, selon le droit fédéral ou cantonal, n'aurait pas dû être soumise au peuple ou faut-il réserver ce droit aux seuls recourants lésés dans leurs droits ? Dans un arrêt Schmid du 30 septembre 1965 87 le Tribunal fédéral, s'écartant de sa propre jurisprudence antérieure 88 ainsi que de celle du Conseil fédé-ral 89, a dénié la qualité pour recourir à un citoyen zurichois qui se plaignait de ce qu'une initiative prétendument inconstitutionnelle était soumise au vote populaire : il a estimé qu'un tel élargissement du droit de vote ne porte pas atteinte à la situation juridique des électeurs, de sorte que ces derniers, n'étant pas lésés au sens de l'art. 88

OJ,

n'ont pas qualité pour former un recours de droit public pour violation de leurs droits politiques. Ce faisant, il a implicitement reconnu que l'exer-cice des droits politiques n'est pas une fonction mais un droit dont seule la violation mais non point l'élargissement peut faire l'objet d'un recours de droit public. L'autorité compétente pour examiner la validité maté-rielle d'une initiative populaire est autorisée à ne pas la soumettre au

82 Voir généralement infra, p. 70 ss.

83 Art. 84 al. 1 let. a 0].

84 ATF 102 la 266; 100 la 388; 99 la 728; 180; 55 et les arrêts cités; Hans MARTI, Die staatsrechtliche Beschwerde, 3' éd., 1977, p. 68.

85 ATF 100 la 381 ; 388.

86 ATF 101 la 254.

87 ZBI 67 (1966), p. 31.

88 ATF 59 1 122.

89 Voir les références dans l'ATF 59 1 122 précité. jusqu'au 1•r février 1912, c'est le Conseil fédéral qui était compétent pour statuer sur les recours en matière de violation des droits politiques, en vertu de l'art. 189 al. 4 de la loi fédérale sur l'organ~sation judiciaire fédérale du 22 mars 1893, voir W.

B!RCH-MEIER, Bundesrechtspflege, p. 339.

NATURE JURIDIQUE 25 peuple lorsqu'elle arrive à la conclusion qu'elle est contraire au droit : elle n'y est cependant pas tenue. L'arrêt Schmid n'a cependant pas fait jurisprudence. Le Tribunal fédéral semble même l'avoir oublié pendant un certain temps, en estimant, dans l'arrêt Voggensberger du 8 décembre 1970 90 que la question de savoir si l'électeur a un droit à ce qu'une ini-tiative contraire au droit ne soit pas soumise au peuple ne lui avait,

« soweit ersichtlich » pas encore été soumise. Ce n'est que trois ans plus tard, dans l'arrêt Burkhalter, du 25 septembre 1973 91 , qu'il a expres-sément répudié l'arrêt Schmid, en lui reprochant de ne tenir compte ni des particularités du recours basé sur l'art. 85 let. a OJ ni de la portée qu'il faut attribuer à l'art. 88 OJ dans ce contexte. Il s'agissait bien cette fois de définir la nature juridique des droits politiques :

Le droit de vote des citoyens, protégé par le recours spécialement prévu à l'art. 85 let. a OJ, est une fonction organique et donc un droit qui va plus loin que les droits constitutionnels des citoyens dont la violation fait l'objet du recours prévu à l'art. 84 al. 1 let. a OJ. Un droit constitutionnel individuel ne peut, selon sa nature même, être violé que si le recourant est touché dans sa situation juridique ,ainsi que l'exige l'art. 88 Oj. Mais par ces droits politiques ,le citoyen exerce, en même temps qu'un droit indivi-duel, une compétence organique et donc une fonction publique. Une viola-tion des droits politiques peut dès lors entrer en considéraviola-tion sans que le citoyen soit touché dans ses intérêts personnels et ce sont toujours aussi des intérêts publics que l'on poursuit par le recours pour viol·ation du droit de vote 92.

C'est donc exclusivement selon l'art. 85 let. a OJ que le Tribunal fédéral tranche la question de la qualité pour former un recours pour violation du droit de vote des citoyens, qualité qui est soumise à la seule condition de la possession du droit de vote pour l'élection et la votation en cause 93. En d'autres termes, la question de savoir si une initiative prétendument inconstitutionnelle ne doit pas être soumise au peuple se résout au regard du droit cantonal. Si ce dernier, comme c'est le cas à Zurich, met à la charge de l'autorité législative l'obli-gation d'examiner la constitutionnalité et la légalité des initiatives et lui interdit de soumettre au peuple celles qui sont contraires au droit, le refus d'organiser une votation populaire sur une initiative inconsti-tutionnelle est un devoir pour l'autorité 94 • En revanche, si le droit

can-90 ATF 96 1 636, 646.

91 ATF 99 la 724.

92 ATF 99 la 729/730.

93 Encore faut-il qu'il s'agisse d'une votation ou d'une élection cantona:le au sens de cette disposition et non pas d'une élection d'autorité au second degré par exemple, où seul entre en considération un recours basé sur l'art. 84 al. l let a OJ et où par conséquent, la condition de l'airt. 88 OJ doit être remplie, voir infra, p. 80 ss.

94 A TF 99 la 730.

26 LA NOTION DES DROITS POLITIQUES

tonal ne contient pas de règle qui restreint la faculté dont dispose le parlement de soumettre au peuple une initiative inconstitutionnelle ou illégale, l'autorité législative est libre d'organiser ou non la votation populaire. Tel est le cas notamment dans le canton de Vaud 95 •

Sans revenir expressément sur l'arrière-plan théorique de l'arrêt

Burkhalter,

le Tribunal fédéral a confirmé cette jurisprudence dans un arrêt

Minelli

du 30 octobre 1974 os dans lequel il était appelé à statuer sur la qualité pour recourir contre la décision du législateur cantonal de soumettre au peuple non pas une initiative populaire, mais

un projet préparé par les autorités

97,

Le citoyen actif a-t-il qualité pour attaquer

tout projet

soumis à la votation populaire, quel que soit son auteur, en prétendant qu'un tel projet est irrecevable? Malgré une phrase de l'arrêt

Burkhalter

qui semble préconiser une réponse affirmative à cette question 98, le Tribunal fédéral a préféré la laisser ouverte, étant donné que le recourant, dans l'affaire

Minelli,

n'agissait pas en tant que simple électeur, mais en tant que signataire d'une initiative populaire remise en cause, après son accep-tation, par une décision du législateur cantonal. On peut en conclure, pour notre contexte, que notre Cour Suprême hésite à admettre toutes les conséquences d'une conception fonctionnelle des droits politiques.

Pourtant, il paraît difficile de soutenir que seul un recours dirigé contre l'admission d'un projet, préparé par le peuple, poursuit un intérêt public, tandis qu'un recours formé contre l'admission d'un projet émanant des autorités est subordonné à l'existence d'un intérêt juridique. La nature juridique des droits politiques ne peut dépendre de l'auteur de l'acte qui y porte prétendument atteinte. On ne voit pas pour quelle raison il s'agirait d'une fonction organique si l'acte émane du peuple, mais d'un droit s'il émane des autorités, car dans les deux cas, les droits poli-tiques des citoyens risquent d'être atteints. Il faut même admettre que, vu leur fréquence, les projets émanant des autorités représentent, d'un point de vue quantitatif, un plus grand danger pour les droits politiques que ceux présentés par le peuple, de sorte qu'il conviendrait d'admettre, de façon générale, que chaque citoyen actif peut s'en prendre, par le

95 ATF 102 la 548, 550, Fédération des sections vaudoises de la Diane.

96 ATF 100 la 378.

97 Le 30 juin 1974, les électeurs zurichois avaient accepté, contre le préavis des autorités, une initiative tendant à l'adoption d'une loi sur la délinquance juvénile. Deux mois plus tard, un député a demandé, par la voie d'une initiative parlementaire, l'abrogation de cette loi, initiative que le Kantonsrat avait accepté le 16 septembre 1974. C'est contre cette décision que les signataires de l'initiative populaire ont recouru au Tribunal fédéral en invoquant tme viola-tion de leurs droits politiques.

os « Die Beschwerdeführer sind Zürcher Stimmbürger und damit grund-satzlich befugt, im Zusammenhang mit einer kantonalen Volksabstimmung Be-schwerde zu führen », ATF 99 la 728.

recours prévu à l'art. 85 let. a OJ, à tout projet soumis à la votation populaire en invoquant son irrecevabilité. L'objet du droit protégé par cette disposition serait ainsi la fonction organique elle-même que les citoyens actifs exercent en vertu du droit positif.

3.8.

Conclusion.

Nous pouvons en rester là. Les deux exemples tirés de la jurispru-dence du Tribunal fédéral indiquent que malgré sa nature ésotérique la discussion relative à la construction juridique des droits politiques n'est pas dénuée de tout intérêt pratique 99. Sans doute ne revêt-elle plus l'importance qu'elle avait tout au long du XIX" siècle, comme véri-table point de départ de bon nombre d'aménagements concrets, dans le droit positif, de l'exercice et de la protection des droits politiques.

Ces aménagements évoluent et se développent depuis lors selon une logique qui leur est propre et dont la nature juridique des droits poli-tiques ne constitue plus qu'un arrière-plan qui reste généralement dans l'ombre. Ce n'est qu'occasionnellement, lorsque telle ou telle évolution du droit positif se met directement en contradiction avec l'une ou l'autre théorie des droits politiques, que celle-ci réapparaît ouvertement dans les considérants d'un arrêt ou lors des travaux préparatoires d'une révision législative ou constitutionnelle. Et encore, en tout cas dans cette dernière perspective, revêt-elle un caractère subsidiaire par rap-port aux analyses récentes du rôle politique, des résultats statistiques et des implications sociologiques de l'exercice des droits populaires 100 qui dans leur spécificité prennent le pas sur les études consacrées aux droits politiques dans leur ensemble. C'est un peu comme si les polito-logues et les sociopolito-logues étaient appelés, de nos jours, à jouer le rôle qu'assumaient, auparavant, les théoriciens du droit public. Ces derniers, attirés et parfois même écrasés par la multiplicité des problèmes concrets que pose le droit public moderne, en sont venus à négliger quelque peu les fondements théoriques de celui-ci. Se contentant trop souvent de jongler, dans un jeu dont la subtilité cache mal son carac-tère artificiel, avec les concepts et les notions techniques du droit positif, ils ont cédé leur place aux politologues qui, dans un langage tout aussi ésotérique que celui des positivistes purs, semblent mieux parvenir à expliquer le fonctionnement réel et les bases théoriques des institutions du droit public. Cependant, à nouvelles sciences, nouvelles questions

-99 Comme le prétend ENGLER (note 69), p. 226.

100 Voir notamment concernant le référendum, Leonhard NEIDHART (note 23);

Repriisentatio11sforme11 i11 der direkten Demokratie, in mélanges Erich GRUNER, Berne, 1975; sur l'initiative : Jean-Daniel OELLEY (note 23), passim ; sur Je comportement des électeurs, voir Dusan SIDJANSKI, Charles ROIG, Henri KEHR, Ronald !NGLEHART, Jacques NICOLA; Les Suisses et la politique, Berne, 1975.

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les préoccupations théoriques de la science politique moderne ne sont plus celles de la doctrine publiciste classique.

Avec raison, car la conviction que la théorie la plus sophistiquée de la nature juridique des droits politiques ne permet pas de garantir, dans les faits, l'exercice de ceux-ci est de plus en plus répandue. Les concepts et les distinctions subtiles élaborés par la doctrine ont trop souvent été écrasés par ce que les publicistes appellent pudiquement la

«normative Kraft des Faktischen ». Et là où elles ont trouvé et gardé une expression dans l'organisation concrète d'un pouvoir politique, les théories juridiques -- ou sociologiques - de la démocratie et du rôle du peuple en son sein partagent avec le droit positif une relativité qui s'accorde mal avec leur prétention d'universalité.

Trois degrés d'élévation du pôle renversent toute la jurisprudem:e. Un méridien décide de la vérité ; en peu d'années de possession, les lois fonda-mentales changent ; le droit a ses époques ... Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà 101.

101 Blaise PASCAL, Pensées III, 8.

LES DROITS POLITIQUES