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INITIATION DU PRÊTRE TAHITIEN

DE L'HOMME-MÉDECINE MENTAWEI

VIII. INITIATION DU PRÊTRE TAHITIEN

Les individus choisis pour la prêtrise y étaient aptes physique-ment et la plupart d'entre eux étaient de haute taille. Ils ne pré-sentaient aucun défaut corporel, car les dieux, croyait-on, répu-diaient ceux qui avaient une infirmité telle qu'un dos bossu, une tê-te chauve ou un regard louche. Ils devaient aussi être adroits de leurs mains et avoir le pied sûr pour ne pas faire preuve de gauche-rie pendant le service des dieux.

Une fois au courant de la science du pays, le candidat prêtre était séparé de sa famille et des autres gens pour se consacrer à son noviciat avec les prêtres. Là, il apprenait toutes les prières et les rites mystiques. Il communiait avec les dieux dans la solitude.

Ses rapports avec les divinités avaient lieu de nuit ou dans des ca-vernes obscures dans lesquelles il se rendait pour prier. Ainsi il s'immunisait contre le contact avec les dieux et les mauvais es-prits,

Il apprenait à réciter sans hésitation les morceaux suivants : les prières du temple (marae) ; les discours religieux ou politiques pour le public ; les chants de guerre et les enchantements avec les feuil-les de ti : la façon de plaider la paix ; comment abréger une prière

en cas d'urgence ; les invocations pour investir des idoles ou d'au-tres objets de la dignité de dieux ; des invocations pour attacher des prisonniers avec des cordelettes en fibres de coco ; des exor-cismes contre la magie noire ; des invocations nocturnes ; des invo-cations pour la pêche.

Les invocations nocturnes, étaient enseignées dans les ténèbres, ou au clair de lune sur des collines boisées ou le long du rivage. Les novices apprenaient ainsi à lire des présages dans le ciel ou sur la route qu'ils suivaient. La chute de météores, la fuite des nuages, les cris des oiseaux ou des insectes étaient autant de signes. L'in-vocation finale était la suivante :

« O hôte des dieux ! La prière doit finir. Chassez l'obscurité et [109] envoyez la lumière comme le flot d'une inondation. Faites-la bouger et courir, faites-la vibrer pour qu'elle remplisse complète-ment, faites-en un moyen d'accomplir de grandes choses.

Donnez-moi le don de la prière, faites de moi un héraut, un ora-teur, en une nuit, ô dieux ! Volez vers le soleil levant, avec le soleil levant est la vie, ô dieux. »

Lorsque le novice avait atteint une certaine expérience dans ces récitations, il était obligé de comparaître devant la confrérie appe-lée autahua pour faire montre de son éloquence. S'il commettait la moindre erreur en débitant ses textes, il devait reprendre des le-çons et se représenter à un nouvel examen. S'il était reçu avec honneur, il était accueilli dans le corps sacerdotal en qualité de utupa'a (« endurci des lèvres »), il était alors prêt pour l'inaugura-tion appelée amo-o-upu (avant-coureur des prières). Cette cérémo-nie consistait en une belle fête préparée par les parents du novice exclusivement pour les prêtres et célébrée sur le terrain du tem-ple. Les mets étaient solennellement mangés par les prêtres après qu'une offrande appropriée eût été déposée sur l'autel pour les dieux. À partir de ce moment le nouveau prêtre faisait définitive-ment partie de la confrérie. Si quelqu'un doutait de ses droits, il pouvait fièrement lui répondre :

« Je ne suis pas un mendiant. Je ne me nourris pas de restes. Je suis un invocateur de Ta-ere (le dieu et la source de toute connais-sance) ».

J'ai apporté de l'écorce à mes maîtres ; j'ai coupé du poisson pour mes maîtres ; j'ai donné des vêtements fins à mes maîtres ; j'ai donné des nattes à mes maîtres ; j'ai écrasé des fruits pour mes maîtres ; j'ai apporté des porcs appartenant à la famille à mes maîtres. »

Il énumérait ensuite toutes les écoles qu'il avait fréquentées et les prêtres réputés qui avaient été ses maîtres, ce qui lui permet-tait de revendiquer la place qui lui revenait.

Les exemples que nous avons donnés dans ce chapitre montrent que la condition première, pour devenir un chaman dans des sociétés sim-ples comme celles des Esquimaux ou des Arunta, consistait à jouir d'un tempérament sujet à la névrose. Lorsque nous nous trouvons en pré-sence de tribus dont l'organisation est plus compliquée, cette prédis-position entre en ligne de compte, mais est subordonnée à d'autres facteurs. Nous avons déjà expliqué ce changement : les honoraires at-tachés à cette profession, en devenant plus conséquents attiraient vers la prêtrise des gens parfaitement normaux. Le comportement-type observé pour parvenir à cet état avait été fixé antérieurement et le chaman, même non névrosé, était obligé de s'adapter à des règles établies et fixées par ses prédécesseurs qui, eux, étaient affectés de troubles nerveux. Ce schème comportait trois aspects - tout d'abord un état névrotique et des souffrances endurées au cours de transes, deuxièmement un isolement complet, physique et mental, et troisiè-mement une concentration obsessionnelle sur le but à atteindre. Les épreuves auxquelles les novices sont soumis dérivent du premier de ces aspects, l'importance revêtue par les tabous et les purifications, du second, et de la troisième phase [110] découle l'idée de la posses-sion par l'esprit, que le chaman soit l'agent actif ou passif de cette possession.

Ce qui tout d'abord était dû à des nécessités psychiques devint une formule prescrite et mécanique à l'usage de tous ceux qui désiraient devenir prêtres ou entrer en contact avec le surnaturel. En d'autres termes, certains problèmes fondamentaux de la religion furent envisa-gés, heureusement ou malheureusement, sous l'angle de phénomènes très spéciaux et tout à fait anormaux.

Comme on peut aisément l'imaginer il y avait là de nombreuses pos-sibilités de conflits intérieurs ou extérieurs, surtout si l'on songe que la religion primitive visait surtout au maintien des valeurs essentielles de l'existence et était rigoureusement déterminée par les exigences économiques de la communauté.

Dans l'évolution qui fit du théologien primitif un magicien puis un prêtre, ces conflits ont pris des formes différentes et leur nature s'est adaptée aux circonstances auxquelles ils devaient se soumettre.

Aussi longtemps que la religion fut aux mains d'individus névrosés et épileptoïdes, les aspects de la religion reflétant leur mentalité parti-culière restèrent au premier plan. C'est ce qui explique pourquoi les rites et les pratiques magiques furent traités par eux avec une telle minutie et avec une telle dévotion. Nous reviendrons sur ce sujet, mais auparavant il nous faut ébaucher la nature des fonctions de l'homme-médecine et du chaman ainsi que les transformations que celles-ci su-birent au cours des âges.

[111]

La religion primitive.

Sa nature et son origine. (1941)

Chapitre VII

DU MAGICIEN AU PRÊTRE.