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INITIATION DU CHAMAN ESQUIMAU

Leur caractère et leur initiation

I. INITIATION DU CHAMAN ESQUIMAU

Lorsque je m'apprêtais à devenir chaman, j'ai choisi de souffrir dans les deux choses qui sont le plus dangereuses à l'homme : la faim [96] et le froid. J'ai eu faim pendant cinq jours et je fus en-suite autorisé à boire une gorgée d'eau chaude. Les vieux disent que c'est uniquement si l'eau est chaude que Pinga et Hila remar-queront le novice et l'aideront. Ensuite je souffris de la faim pen-dant quinze jours et encore une fois l'on me donna une gorgée d'eau chaude. Ensuite je jeûnais encore pendant dix jours. Je pus alors recommencer à manger, mais uniquement des aliments non prohibés, de préférence de la viande maigre, mais jamais d'intes-tins, de tête, de cœur ou d'entrailles ni de la viande touchée par des loups ou « wolverines » dans une cache. J'ai dû observer cette diète pendant cinq mois. Les cinq mois suivants j'ai pu manger n'im-porte quoi. Mais après cela je fus de nouveau forcé à suivre la diète

43 J. W. LAYARD, Flying Tricksters, Ghosts, Gods and Epileptics, Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, vol. LX, Londres, Juillet-Décembre 1930, pp. 507-509.

44 E. M. LOEB, Shaman and Seer, American Anthropologist, vol. XXXI, Menasha, Wis., pp. 66-71.

45 Canon CALLAWAY, The Religious System of the Amarulu, Natal, 1870, pp. 259.

266.

46 R. S. RATTRAY, Religion and Art in Ashanti, pp. 40-47.

47 Teuira HENRY, Ancient Tahiti, Bernice P. Bishop Museum, Bulletin 48, Honolu-lu, 1928, pp. 153 et suiv.

carnée qui est prescrite pour tous ceux qui font pénitence afin de devenir purs. Les vieillards attachent une grande importance à la nourriture que le futur chaman mange. Ainsi un novice qui désire devenir habile à tuer ne peut jamais manger d'une certaine espèce de saumon. S'il en mange, au lieu de tuer autrui, il se tuera lui-même.

Mon instructeur fut le père de ma femme, Perqanaq. Perqanaq construisit une petite hutte de neige à l'endroit où je devais me tenir. Cette maison de neige était juste assez grande pour m'abri-ter et me permettre de m'asseoir. Je ne reçus pas de peaux pour me protéger du froid pendant mon sommeil, je n'eus qu'un morceau de peau de caribou pour m'asseoir. J'y fus enfermé. La hutte de neige où j'étais assis était loin du sentier suivi par les hommes et lorsque Peqanaq trouva l'endroit où il pensait qu'elle pourrait être construite, il arrêta le traîneau à une certaine distance et je dus rester assis jusqu'à ce que la hutte de neige fût prête. Pas même moi qui, cependant, devais rester là, je ne pus imprimer ma trace autour de la hutte et le vieux Perqanaq dut me porter du traîneau jusqu'à la hutte pour que je pusse m'y glisser. Dès que je fus seul, Perqanaq me dit de penser à une seule chose et ceci devait attirer l'attention de Pinga sur ma présence et sur mon désir de devenir un chaman. Pinga devait me posséder.

Mon noviciat eut lieu au milieu de l'hiver le plus froid, et moi qui n'avais rien pour me chauffer et ne pouvais bouger, j'ai eu très froid. Il était si fatigant d'avoir à s'asseoir sans oser se coucher que c'était comme si je mourais un peu. C'est uniquement à la fin d'une période de trente jours qu'un esprit servant vint me trouver.

C'était un merveilleux et magnifique esprit comme je n'aurais ja-mais pu l'imaginer. C'était une femme blanche. Elle vint à moi alors que j'avais succombé à l'épuisement et que je dormais. Mais je la vis comme au naturel s'empressant autour de moi. Depuis ce jour je n'ai jamais fermé les yeux ou rêvé sans la voir. C'est précisément ce qu'il y a de remarquable avec mon esprit : je ne le vois jamais à l'état de veille, mais seulement en rêves. Elle est venue de la part de Pinga pour me signifier que Pinga m'avait remarqué et avait l'in-tention de me donner les pouvoirs qui feraient de moi un chaman.

Quand la nouvelle lune brilla et eut la même forme que celle qui brillait lorsque nous quittâmes le village, Perqanaq revint avec le petit traîneau et s'arrêta loin de ma maison de neige. A ce moment-là je n'étais plus tout à fait en vie et je n'avais pas la force de me dresser. En fait je ne tenais plus sur mes jambes. Perqanaq me tira hors de la hutte, me porta sur le traîneau et me ramena à la maison de la même façon qu'il m'avait conduit à Kingarjuit. J'étais si mai-gre que les veines de mes mains, de mon corps et de mes pieds avaient entièrement disparu. Pendant longtemps je ne pus manger que très [97] peu pour dilater mes intestins. Ensuite vint la diète qui devait ni aider à me purifier.

Pendant un an je ne dus pas coucher avec ma femme qui cepen-dant préparait mes aliments. Pencepen-dant un an je dus avoir ma petite marmite particulière et mon plat à viande. Personne ne pouvait manger de ce qui avait été cuit pour moi.

Plus tard, lorsque je fus redevenu moi-même, je compris que j'étais devenu le chaman de mon village. Les gens du voisinage ou venus d'ailleurs me visitaient pour que je guérisse les malades ou que je fisse des pronostics s'ils devaient voyager. Quand ces consultations avaient lieu, je convoquais les gens de mon village et je leur disais ce que l'on attendait de moi. Alors je quittai la tente ou la maison de neige et je me retirais dans la solitude loin des de-meures des hommes. Ceux qui restaient derrière moi devaient chanter sans arrêt pour rester vifs et joyeux.

Ces jours consacrés à la quête de la connaissance sont très fa-tigants, car il faut marcher tout le temps quel que soit le temps et l'on ne peut se reposer que par moments. Je suis alors rendu, fati-gué, non seulement dans mon corps mais aussi dans ma tête lorsque j'ai trouvé ce que je cherchais.

II. – INITIATION