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La mitochondrie, gardienne d’effecteurs de mort sous contrôle permanent

1.4. Facteurs de mort libérés

1.4.2. Inhibiteurs d’inhibiteurs Smac/Diablo et OMI/Htra2

Les insectes comme les vertébrés expriment des inhibiteurs de protéines apoptotiques (IAPs) endogènes afin d’empêcher l’activation des pro-caspases en caspases matures. Cette famille de protéines est caractérisée par la présence d’un ou plusieurs domaines BIR (baculovirus IAP repeat), séquences d’environ 70 acides aminés très conservées de la levure à l’homme (38). On compte chez l’homme huit membres de cette famille : NAIP (BIRC1), c-IAP-1 (BIRC2), c-IAP2 (BIRC3), XIAP (BIRC4), survivin (BIRC5), Apollon/Bruce (BIRC6), ML-IAP (BIRC7) et ILP-2 (BIRC8). Parmi elles, quatre sont particulièrement impliquées dans la régulation de l’apoptose, c-IAP1, c-IAP-2, ML-IAP et XIAP (39). Au sein des protéines de l’espace intermembranaire mitochondrial libérées lors de la mort cellulaire, on compte deux inhibiteurs des IAPs: Smac/DIABLO et Omi/Htra2 (Figure 8). Smac a été découvert chez la souris comme protéine se liant et séquestrant les IAPs une fois dans le cytosol. Son orthologue humain DIABLO était mis en évidence par un autre groupe et présente les mêmes fonctions. Le clivage de sa forme précurseur permet l’exposition de son domaine de liaison aux IAP et Smac/DIABLO agit en dimère lors de cette interaction (40). Le rôle du domaine de liaison aux IAP est néanmoins mis en doute car une forme mutée de Smac sur ce site permet quand même l’induction de l’apoptose normale. Par ailleurs, les souris invalidées génétiquement pour Smac sont viables et fertiles sans phénotype apparent

(40). C’est peut-être parce que Smac/DIABLO est exprimé essentiellement dans le cœur, le foie, le rein et les testicules contrairement à Omi/HtrA2 qui est exprimé ubiquitairement. Ce dernier est une serine protéase de 49kDa homologue de l’endoprotéase bactérienne HtrA2, codée par l’ADNmt et probablement réminiscente de la bactérie issue de l’endosymbiose originelle (37). Elle peut cliver les IAPs dans le cytosol quand elle est libérée de la mitochondrie mais elle cible aussi d’autres protéines comme celles du cytosquelette. Elle participe à la mort cellulaire à la fois de façon dépendante et indépendante des caspases. Omi/HtrA2 a été associée in vivo à de la neurodégénérescence et les résultats obtenus avec les souris déficientes pour cette protéine suggèrent fortement un rôle encore non identifié d’Omi/HtrA2 dans la physiologie normale de la mitochondrie (41).

1.4.3. Endonucléase G (EndoG)

Cette nucléase très conservée dans le règne eucaryote réside normalement dans l’espace intermembranaire mitochondrial et ne relocalise au noyau qu’après induction de la perméabilité mitochondriale. Elle y clive l’ADN de façon indépendante des caspases (Figure 8). Certaines études ont associé EndoG à une fragmentation oligonucléosomale tandis que d’autres seulement à une dégradation grossière de l’ADN (42). La déplétion d’EndoG in vivo ou in vitro peut en tout cas induire une protection vis de la mort induite par divers signaux. Une étude a récemment démontré un rôle d’EndoG dans le fonctionnement du tissu cardiaque grâce à un crible génétique visant à identifier des facteurs inducteurs d’hypertrophie cardiaque (43). EndoG s’est avéré être contrôlé par PGC1α et ERRα et être capable d’interagir avec le génome mitochondrial pour réguler la masse mitochondriale. Les cardiomyocytes issus des souris EndoG-/- présentent ainsi des niveaux d’ADNmt plus faibles et une masse mitochondriale diminuée. Les taux de respiration mitochondriale sont réduits et le taux de production de ROS augmente. Parmi les gènes transcriptionnellement régulés par EndoG on compterait des sous-unités du complexe I, du complexe IV et du complexe V de la chaine respiratoire (37).

Chez C.elegans, le cytochrome c ne joue pas sa fonction dans la mort cellulaire mais la mitochondrie y a quand même une place importante. L’orthologue de BCL-2 induit la sortie de la mitochondrie de l’orthologue d’EndoG, CPS-6, et de WAH-1, orthologue d’AIF. Tous deux participent à la condensation de la chromatine et à la dégradation de l’ADN (40). Puisque l’orthologue de l’endonuclease CAD n’existe pas chez le nématode, ces deux protéines pourraient représenter une voie ancestrale de dégradation de l’ADN, toujours effectuée chez les plantes, les champignons et les protozoaires (41).

47 1.5. AIF, un facteur de mort pas comme les autres

1.5.1. Structure

AIF (Apoptosis-Inducing Factor) fut originellement découverte en 1996 en tant que protéine de l’espace intermembranaire mitochondrial, libérée dans le cytosol après la perte de perméabilité mitochondriale (44). Sa surexpression entraine la condensation de la chromatine, une fragmentation de l’ADN de haut poids moléculaire (50kb), la dissipation du potentiel de membrane mitochondrial et l’exposition des phosphatidylsérines à la membrane plasmique (45). Toutes ces actions sont indépendantes de l’activité des caspases. AIF est codé par le gène nommé AIFM1 de 16 exons localisé sur le chromosome X au niveau des régions 25 et 26 du bras long chez l’humain (équivalent A6 chez la souris). Il est traduit sous la forme d’un précurseur de 67 kDa. Ce dernier est adressé à la mitochondrie en raison de sa séquence MLS (mitochondrial localization sequence) située en N-terminal (Figure 9) (46).

Figure 9 : Structure d’AIF

a. Organisation génomique d’AIFM1. Les codons d’initiation et stop sont indiqués. Les numéros correspondent aux exons (rectangles noirs).

b. Schéma représentant les 3 formes d’AIF: précurseur, mature et tronqué. AIF est une flavoprotéine contenant un domaine bipartite FAD (jaune, aa 128-262 et 401-480), un domaine de liaison au NADH (violet, aa 263-400) et un domaine C-terminal (rouge, aa 461-608). Sa séquence de localisation mitochondriale (MLS, vert, aa 1-41) est dans le domaine N-terminal. Entre le premier motif FAD et la MLS, AIF a un domaine transmembranaire flanqué de deux sites de clivage: un site de clivage pour une peptidase mitochondriale (MPP, en bleu, aa 54) et un site pour les calpaïnes ou cathepsines (en rouge, aa 103). HSP70 et CypA peuvent se lier à AIF au niveau des regions indiquées et AIF possède deux domaines de liaison à l’ADN. L’AIF tronqué est produit lors de l’induction de la mort cellulaire. c. La structure en ruban d’AIF (mature) est présentée ci-après avec son co-facteur le FAD (en rose). On distingue les trois domaines dans la protéine, liaison au FAD, laison au NAD et domaine C-terminal. On observe une insertion au niveau du domaine C-terminal propice aux interactions protéines-protéines. D’après Victor Yuste, Atlas of Genetics

and Cytogenetics in Oncology and Haematology. AIFM1 gene Xq26.1 AIF protein AIF structure a b c

Au cours de l’importation dans l’espace intermembranaire via la matrice, la MLS est clivée par une peptidase mitochondriale au niveau des acides aminés 54-55 et le cofacteur FAD est ajouté à AIF, permettant ainsi à la protéine d’adopter sa conformation de flavoprotéine. Il semblerait alors qu’AIF soit sous la forme d’une protéine de 62 kDa associée à la membrane interne mitochondriale. La partie N-terminale se situe du côté de la matrice et la partie C-N-terminale dans l‘espace intermembranaire (47). Trois domaines structuraux sont identifiables sur AIF : un domaine de liaison au FAD, un domaine de liaison au NAD et un domaine C-terminal (48). Les deux premiers domaines permettraient une fonction oxydoréductase de la protéine. Cette portion est très conservée dans l’évolution car homologue d’oxydoréductases provenant de bactéries, de champignons ou de plantes (49). Elle est probablement responsable de la fonction vitale d’AIF qui comme le cytochrome c joue à la fois un rôle dans la phosphorylation oxydative et dans la mort cellulaire. Nous détaillerons cette fonction liée au métabolisme dans le tome 2 de ce manuscrit. Le domaine C-terminal, constitué des acides aminés 508 à 612, est associé à la fonction de mort cellulaire d’AIF. Cette région est composée de cinq feuillets β anti-parallèles et de deux α-hélices (48). On y trouve un motif PEST potentiellement associé à la dégradation de la protéine et un module riche en prolines capable d’interagir théoriquement avec des domaines SH3 ou WW (se liant à des peptides riches en prolines ou en tryptophane respectivement). La découverte ultérieure de deux isoformes d’AIF et l’étude de leur structure renforcent l’idée que seule la partie C-terminale est responsable du rôle d’AIF dans la mort cellulaire. L’une, AIFsh, n’est constituée que de la partie C-terminale et a uniquement les effets pro-apoptotiques d’AIF (50). L’autre, AIFsh2, ne possède pas la partie C-terminale, et présente seulement l’activité oxydoréductase (51).

Lors d’un signal de mort cellulaire impliquant AIF, la protéine est clivée en N-terminal (acides aminés 101/102) en une protéine tronquée tAIF ce qui lui permet de ne plus être ancrée dans la membrane interne mitochondriale. Ce clivage se fait par des cystéines protéases qui peuvent être selon les modèles étudiés soit les calpaïnes soit les cathepsines (52). tAIF est par la suite relargué dans le cytosol sous la forme d’une protéine soluble de 57 kDa. Cette dernière va alors agir sur ses différents effecteurs notamment nucléaires à condition qu’elle ne soit pas séquestrée par HSP70. Cette chaperonne se lie en effet à AIF dans le cytoplasme et empêche sa translocation nucléaire normalement induite par ses deux séquences NLS. Le site de liaison se trouve au niveau N-terminal d’AIF, dans la portion en épingle à cheveux β 190-202. Les résidus critiques pour cette interaction ont été identifiés chez l’AIF humain comme étant l’arginine 192 et la lysine 194 (53). AIF n’est pas la seule cible pro-apoptotique d’HSP70 (APAF-1 l’est aussi) ce qui explique d’ailleurs la surexpression d’HSP70 par un grand nombre de cellules tumorales. Le peptide ADD70 (AIF-derived decoy for HSP70) de séquence similaire à la portion d’AIF liant HSP70 a montré son efficacité sur des modèles précliniques de mélanomes chez le rat (54). Cette stratégie pourrait permettre de sensibiliser les tumeurs aux thérapies conventionnelles.

49 AIF est ubiquitairement exprimé mais sa régulation transcriptionnelle est assez mal connue. Le facteur de transcription p53 est nécessaire à des niveaux de transcrits et de protéines normaux d’AIF et le gène d’AIF possède un élément de réponse à p53 dans le quatrième intron. Cette régulation n’a pourtant pas été particulièrement associée à un stress de dommage à l’ADN. BNIP3 serait quant à lui un répresseur de la transcription d’AIF. Il a été démontré dans des gliomes humains qu’en se fixant au niveau du promoteur d’AIF, BNIP3 favoriserait la survie de la tumeur (53). D’autres facteurs sont probablement liés à la régulation d’AIF mais ils demeurent à ce jour inconnus.

Une autre façon de réguler AIF consiste à gérer sa dégradation. L’E3-ligase CHIP permet cette dégradation via le protéasome. Cette ligase aide surtout à l’élimination de protéines mal repliées. Elle peut aussi aider HSP70 au repliement de protéines non natives. Il est d’ailleurs possible que l’interaction d’HSP70 avec tAIF permette l’action de CHIP, relativisant alors l’importance d’HSP70. L’enzyme USP2 est par contre responsable de la dé-ubiquitination de tAIF (55). Elle favorise donc l’exécution de la mort cellulaire tandis que CHIP l’inhibe. Une autre ubiquitination passe par XIAP mais celle-ci n’influence pas la dégradation d’AIF par le protéasome (56, 57). Cette modification post-traductionnelle est néanmoins protectrice vis à vis de la mort cellulaire car elle concerne la lysine 255, résidu critique pour l’interaction avec l’ADN, donc aussi pour la condensation de la chromatine et la fragmentation du noyau.