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Partie I. Le cadre de formation du prix des services d’eau délégués en France

Chapitre 5 Les premières pistes sur les déterminants du prix de l’eau

1. L'influence des variables techniques

1.1. Les coûts du service

1.1.1. Le recouvrement des coûts

Un cabinet de conseil a fourni au ministère de l'écologie et du développement durable une étude sur les coûts d'exploitation et d'investissement des services d'eau potable français (Ernst & Young, 2004), ainsi que sur leur recouvrement. Sur la base des comptes rassemblés par la Direction Générale de la Comptabilité Publique (pour ce qui concerne les collectivités) et des enquêtes sectorielles de l'INSEE et du SESSI (activité des 12 plus grandes entreprises du secteur de l'eau, regroupant 82% du chiffre d'affaires des services d'eau), le bureau de conseil a pu consolider les comptes des entreprises (Tableau 6) et des collectivités (Tableau 7).

Charges (M€) Produits (M€)

Exploitation 4812 Eau et assainissement 4120

Investissement 476 Etudes, travaux et autres 1167

Chiffre d'affaires (hors recettes pour compte de tiers) : 5288 Tableau 6 - Extrapolation de l'enquête Ernst & Young sur la France entière

Exploitation 1800 (dont 450 subventionnés)

Frais financiers 550

Dépenses (M€)

Investissement 3750 (dont 1100 subventionnés)

Recettes de la facturation (M€) 3950

Tableau 7 - Bilan des comptes des collectivités

Les dépenses d'exploitation seraient couvertes à environ 140%, dégageant des financements pour les investissements. En outre, cette étude, sur la base du descriptif des infrastructures des services, a évalué une consommation de capital fixe (un équivalent d'amortissement) sur l'ensemble du territoire. La fourchette fournie se situe entre 2100 et 4600 M€/an pour les services d'eau. Le rapport d'étude explique que les investissements sont couverts à hauteur de 90% par la capacité d'autofinancement des services, le reste devant être assuré par l'emprunt ; les dépenses de renouvellement ne sont pourtant pas à la hauteur des nécessités évaluées. Globalement, les coûts sont couverts par les recettes des services.

1.1.2. Etudes économétriques

Des travaux récents (Bouscasse, Destandau et al., 2006) ont estimé une fonction de coût des services d'eau potable américains, sur lesquels les auteurs disposaient de données sur les coûts. Plusieurs modèles (de forme translog) ont été mobilisés : une estimation

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des fonctions de coût variable des services, ainsi que des frontières de coût stochastiques. Les termes de premier ordre les plus significatifs, dans les 2 modèles, sont le volume distribué, les prix des facteurs de production, le nombre de branchements, le volume stocké, la longueur du réseau, les pertes et la proportion d'eau d'origine souterraine dans la production. La gestion publique fait progresser les coûts, dans ce cas, ce qui est tempéré par le croisement avec le nombre de plaintes des abonnés.

Un article (Garcia et Reynaud, 2004) présente l'estimation d'une fonction de coût à partir des comptes-rendus financiers des entreprises. Cette fonction de coût prend en compte trois facteurs de production : l'énergie, le travail et les autres dépenses. Il prend encore en compte différents facteurs77 permettant de tenir compte du contexte local. Cet article est le prolongement d'une thèse (Garcia, 2001) estimant notamment le modèle de coût, les substituabilités des différents facteurs de production, des élasticités et des rendements d'échelle. Dans un autre article (Boyer, Ibid., 2006), les auteurs nous expliquent que la "forme fonctionnelle translog est la meilleure représentation possible de la technologie

[des services d'eau]". Il met en évidence des rendements de densité de production

croissants (les réseaux ont la capacité de fournir plus de production aux mêmes abonnés), plus en gestion directe qu'en gestion déléguée, des rendements de densité d'usagers quasiment constants, et des rendements d'échelle décroissants. Un article économétrique (Garcia et Thomas, 2001) met enfin en évidence le compromis économique effectué entre les pertes du réseau et la production supplémentaire d'eau potable.

1.2. La qualité du service

Une thèse de Sciences et Techniques de l'Environnement (Boistard, 1993) a permis d'identifier, sur un panel de 500 collectivités représentatives du paysage Français, certains déterminants du prix. Ce travail s'est articulé autour de la qualité de l'eau distribuée : celle-ci est corrélée à différentes caractéristiques des services, comme la taille des collectivité et la structure de l'habitat, le mode de gestion et le type de traitement de l'eau. L'élasticité-prix de la demande en eau a fait l'objet d'une attention particulière. Celle- ci est relativement proche de 0 (-0,2), c'est-à-dire que l'augmentation du prix ne fait quasiment pas baisser la consommation d'eau. Ce phénomène n'est pas surprenant pour un bien de première nécessité non substituable.

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Le coût augmente notamment avec le volume distribué et le nombre d'usagers. Il se réduit lorsque le rendement du réseau ou sa longueur augmentent.

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L'auteur a analysé, sur la base de comparaison de moyennes, des relations entre la qualité de service à l'usager et le prix. Les tests ont concerné la qualité de l'eau, selon plusieurs paramètres, la fiabilité de la distribution, la tarification, et des éléments perçus par les usagers. La seule relation claire a été trouvée entre la qualité bactériologique de l'eau (analyses DDASS) et le prix du service : en effet, les améliorations de qualité de l'eau dans ce type de paramètre sont très liées à des augmentations de prix. Mais, devant les surcoûts limités liés à l'amélioration et au suivi du traitement, la relation avancée ne peut provenir des coûts. L'auteur explique que les services où l'eau potable est de mauvaise qualité ont probablement fait l'objet d'un mauvais suivi, faisant en sorte que les coûts du service sont mal connus. La maintenance des infrastructures ainsi que l'investissement devraient être réduits pour ces services. Ainsi, seuls les services bien gérés, répercutant au plus juste des coûts du service bien identifiés sur les prix, ont une bonne qualité de l'eau, en termes bactériologiques, d'après ces travaux.

Il définit encore les obstacles à l'établissement d'une relation entre le prix et la qualité. En effet, cette relation statistique est la résultante de la relation qualité-coût et de la relation coût-prix. Et la complexité des impacts sur le prix est illustrée par un graphique (p 284), parmi lesquels les coûts, eux-mêmes impactés par des paramètres tels que des conditions externes, le mode de gestion, l'histoire, le pouvoir politique, l'efficacité ou la qualité du service. Les obstacles à des relations statistiques sont ainsi nombreux (situation locale, mode de gestion, efficacité, histoire, tarif…), d'autant plus que les collectivités n'étaient pas contraintes de bien séparer les budgets des services du budget général.

Ces travaux pionniers en la matière permettent d'affirmer qu'il n'est pas possible, pour une étude de corrélations entre le prix de l'eau et ses déterminants, de faire abstraction des mécanismes de sa formation, et que les coûts et les prix sont bien deux éléments distincts. La qualité du service fait partie des déterminants du prix, mais, d'après ces travaux, ses effets semblent réduits par rapport à des variables décrivant la gestion du service.

Le BIPE a effectué une étude sur les prix de l'eau (Leflaive, Ibid., 2001). Elle met particulièrement l'accent sur les questions d'inégalités de contexte technique entre les territoires : la ressource (quantité et qualité), le dénivelé, et l'histoire du service du fait d'une gestion de long terme. Les risques d'exploitation prennent en compte, d'après les auteurs, la qualité de la ressource, le volume constituant l'assiette de la facturation, le financement et la réalisation d'ouvrages, les erreurs d'évaluation des coûts, ainsi que les impayés. Ces risques sont partagés par la collectivité et l'opérateur. Cette étude décrit

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aussi le mode de régulation français, ainsi que la structure des prix, en les comparant à d'autres pays européens.

Un article (Huet et Saussier, 2003) appliquant la théorie de coûts de transaction aux services d'eau potable Français, montre les impacts des modes d'organisation et de contrat sur plusieurs paramètres de qualité du service. Sur la base de comparaisons de moyennes sur 5 000 communes, issues des données 1998 de la base IFEN et de la base de la Direction Générale de la Santé, l'auteur aboutit à plusieurs conclusions, convergeant vers le fait que le mode d'organisation influe sur les caractéristiques de qualité du service : - Les interruptions de services sont plus fréquentes en régie et en concession, l'affermage et les modes de gestion intermédiaires permettant une meilleure qualité de service.

- Les différents types de traitement78 et le mode d'organisation influent sur le prix des services : les modes de gestion intermédiaires impliquent un prix plus élevé, ce qui est corrélé avec une prédominance des traitements complexes (A2 et A3). Les contrats d'affermage sont liés à un traitement de type A1 majoritaire, comme les services en gestion directe. Ces derniers sont pourtant moins chers. La complexité de traitement est assimilée à la hauteur des investissements spécifiques.

Certains auteurs (Bouscasse, Ibid., 2006) montrent que les opérateurs publics semblent moins efficaces en termes de coût, mais ces observations sont tempérées par la prise en compte de la qualité du service fourni (représentée par le nombre de plaintes). D'autres (Ménard et Saussier, 2003) montrent que la performance des services, approchée par la qualité de l'eau distribuée, est moins bonne en régie qu'en délégation. En revanche, lorsque les auteurs prennent en compte l'effet de sélection du mode de gestion (un traitement complexe influant sur le choix de la délégation), les régies ont un avantage sur la délégation.

Ainsi, les valeurs représentatives de la qualité de service semblent être difficilement liées au prix, et le mode de gestion paraît lié à cette qualité. Les risques liés à l'exploitation du service sont réels et peuvent expliquer en partie les différences entre le prix (qui correspond à une prévision) et la qualité réalisée du service. Si les études "grand public" montrent généralement un prix plus élevé en délégation qu'en régie, ceci peut être modéré par le fait que le choix du mode de gestion semble lié aux caractéristiques techniques. Pour caractériser le coût du service, il semble donc pertinent de prendre en

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voir annexe 2. pour la définition des types de traitement

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compte à la fois la technicité et le mode de gestion. La variable "mode de gestion" pourra ainsi notamment capter les effets du partage du risque.

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