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4. CONSTRUIRE UNE CATEGORIE DE PERSONNES VACCINABLES ET NORMER DES

4.3.2. De celles et ceux qui en sont inclu-e-s

Comment est pensé le rapport sexuel permettant la transmission de HPV ? Nous avons vu qu’il s’inscrit dans le cadre de la norme de l’hétérosexualité impliquant un homme et une femme. Plus précisément, les HPV peuvent être transmis par contact direct de peau à peau ou de muqueuse à muqueuse (Siegrist, 2007). Par conséquent, les préservatifs utilisés dans la prévention des infections sexuellement transmissibles sont considérés comme peu efficaces dans le cas du HPV (OFSP, 2008a :1). On peut alors imaginer que les modalités du rapport permettant la transmission de virus soient assez larges, comprenant des rapports sans pénétration vaginale et/ou oraux et anaux. Or, les cancers anaux et oraux pouvant être provoqués par des HPV ne sont jamais évoqués dans les discours publics en lien avec la mise en place de la campagne de vaccination anti-HPV qui se focalisent sur le cancer du col de l’utérus. De plus, l’explication donnée autour des micro-traumatismes provoqués par les rapports sexuels laisse à penser que la définition principale et normative du rapport sexuel dans lequel s’inscrit la transmission de HPV est un rapport hétérosexuel vaginal.

On assiste ainsi à la sexualisation genrée d’une pathologie, qui apparaîtra différemment selon la version choisie. Celle, dominante, mise en avant, fait des infections HPV un cancer du col utérin – et non anal, oral ou du pénis – et contribue à inscrire la figure de l’adolescente visée par la vaccination dans une norme hétérosexuelle, comprenant des rapports sexuels vaginaux, une différence fondée biologiquement entre garçons et filles et le fait que ces dernières sont pensées comme des mères en devenir. Ce faisant, elle contribue à consolider les normes de genre.

On constate, en Suisse, une absence de débat public sur la sexualité en lien avec la vaccination HPV, contrairement à ce qui s’est passé aux USA par exemple (Casper et Carpenter, 2008 ; Gilman et al., 2009). Ceci relève à la fois d’une volonté de ne pas présenter

cette vaccination comme étant liée à des questions de sexualité, volonté explicite qui s’est traduite par l’indication selon laquelle aucune anamnèse sexuelle ne devait être faite et par l’accent mis sur le cancer dans la présentation du vaccin, et à la fois d’une absence de débat public sur la sexualité en général. En effet, en Suisse, il n’y a pas de mouvement moral conservateur qui met ce sujet sur le devant de la scène, contrairement à ce qui se passe aux USA, et la sexualité n’est pas construite comme objet de débat public, mais plutôt comme relevant de la sphère privée et individuelle.Si la vaccination anti-HPV inscrit la sexualité adolescente dans le registre de l’hétérosexualité normative, elle contribue également à la présenter comme faisant partie du développement « normal » des adolesent-e-s, relevant d’une sphère individuelle à respecter et ne nécessitant pas une visibilisation publique importante.

Dans cette partie, j’ai montré que la catégorie de personnes vaccinables construite au travers de la vaccination HPV participe à faire du vaccin un « bon outil ». En mettant en avant, des filles jeunes, rationnelles, en bonne santé, mais qui pour des raisons indépendantes de leur volonté – le passé sexuel de leur partenaire et la fragilité immunitaire de leur appareil génital – risquent de souffrir des conséquences d’une infection HPV, mais également des effets iatrogènes du dépistage et ce notamment dans leurs projets de maternités, le vaccin apparaît comme un outil protecteur marquant une reconnaissance de ces vulnérabilités. Il participe ainsi de la constitution de la santé sexuelle et reproductive des femmes en souci politique, souci qui vient légitimer de manière importante la mise en place de la vaccination, bénéfice sanitaire des jeunes filles et bénéfices financiers des firmes pharmaceutiques se confondant.

Le vaccin vient également renforcer une définition normative des jeunes filles pensées en lien avec leur corps et comme des mères en devenir. Les discours qui l’entourent tendent à définir les jeunes filles en lien avec un rôle de future mère et comme seules responsables de ce qui touche leur corps, leur sexualité et leur maternité, en lien avec le partage des tâches auxquelles les femmes sont encore en grande partie contraintes aujourd’hui. Il participe ainsi à l’affirmation d’une différence biologique naturelle entre jeunes hommes et jeunes filles, différence qui peut être considérée positivement ou négativement selon que l’on considère qu’elle est problématique ou non. On peut imaginer que la vaccination des jeunes hommes en général ou celle des homosexuels en particulier aurait été moins consensuelle et aurait fait du vaccin un bien moins bon outil du point de vue de l’économie de la santé publique, mais

également en regard des normes sociales de genre. Par contre, on peut faire l’hypothèse que l’inclusion d’une population masculine dans le cadre de la vaccination aurait fait du vaccin un meilleur outil pour les firmes qui le vendent, car permettant de plus grands bénéfices financiers. En se basant sur le principe d’une société hétérorexuelle, la vaccination contribue à consolider une définition normative des jeunes femmes dans un alignement parfait entre sexe, genre et sexualité (Butler, 2006), ce qui d’un point de vue féministe est problématique car contribuant à la reproduction des rapports ingéalitaires de genre. Cependant, c’est par la mise en avant des jeunes filles comprises comme s’inscrivant dans une norme hétérosexuelle, que le vaccin est susceptible de leur apporter un bénéfice sanitaire. Entre invisibilisation et survisibilisation, le rapport de la santé publique aux jeunes femmes semble constituer un nœud pour une pensée féministe partagée entre efficacité pragmatique et déconstruction théorique de la binarité.

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