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3. ORGANISER UNE CAMPAGNE DE VACCINATION : RENDRE LE VACCIN GRATUIT ET

3.1. C ALCULER DES COUTS ET GERER DES INCERTITUDES AVEC DES MODELES MATHEMATIQUES

3.1.2. Des coûts, du bénéfice et du rapport entre les deux

L’étude du rapport coût-bénéfices de la vaccination HPV en Suisse (Szucs et al., 2008 : 1473-1483) a été effectuée à la demande de la CFV et financée par Sanofi-Pasteur-MSD.

Trois des membres de l’équipe qui l’a élaborée sont consultants pour cette firme. L’étude compare deux stratégies : le dépistage cytologique conventionnel et la vaccination HPV suivie du dépistage cytologique. Il ne s’agit pas de comparer directement une mesure à l’autre, comme si l’une pouvait remplacer l’autre, mais bien d’évaluer l’impact du rajout de la vaccination au système existant. Pour ce faire, les auteurs ont adapté le modèle statistique probabiliste de Markov simulant l’histoire naturelle de l’infection HPV et du cancer du col utérin, au contexte suisse. Ils-elles l’ont appliqué à une cohorte virtuelle de 41 200 jeunes filles âgées de 11 ans en les suivant tout au long de leur vie.

Ce modèle nécessite de traduire l’histoire naturelle compliquée de la maladie en divers paramètres simulant l’infection naturelle. Ainsi, huit états sont distingués : cytologie normale, infectée, verrues génitales, CIN1, CIN2, CIN3, cancer du col, mort. Chaque année voit s’opérer une transition de la cohorte d’un état à un autre. Par exemple, les femmes infectées avec du HPV peuvent voir leur infection s’éliminer, progresser ou persister ou des femmes ayant des CIN 1,2 ou 3, peuvent voir leurs lésions progresser vers le stade suivant, régresser ou persister. Par ailleurs, les auteur-e-s ont postulé un taux de couverture vaccinale de 80% et ont supposé que le vaccin fournissait une protection à vie, sans besoin d’un rappel. Etant donné les incertitudes demeurant à ce sujet, ils-elles ont également testé la vaccination avec un rappel dix ans après.

Au niveau financier, les auteur-e-s n’ont pris en compte que les coûts directs, c’est-à-dire les frais médicaux du dépistage et des traitements du cancer du col – incluant le montant d’une visite chez le gynécologue, d’un frottis de routine, d’une colposcopie, d’une biopsie, d’un test d’ADN HPV, des traitements des CIN 1, 2, 3 et des verrues génitales – ainsi que de la vaccination – comprenant trois doses à CHF 236,85.-, plus les frais entraînés par l’administration du vaccin. Leurs résultats montrent que l’ajout du vaccin HPV quadrivalent au programme de dépistage actuel entraîne un rapport coût-efficacité de CHF 45'000.- par LYG (Life Years Gained) et de CHF 26'000.- par QALY (quality-adjusted life years).

Comme, il n’existe pas, en Suisse, de seuil officiellement accepté au-dessous duquel une mesure devrait être adoptée et considérée comme rentable, les auteur-e-s se basent sur les normes européennes qui acceptent des seuils variant de 50’000 Euros à 200’000 Euros et concluent que le rapport coût-efficacité du vaccin HPV est avantageux (Szucs et al., 2008 : 1482). Et ce, d’autant plus que leur modèle ne prend pas en compte les bénéfices apportés par l’immunité de groupe (herd immunity), ni les coûts directs et indirects entraînés par les naissances prématurées, ni les frais indirects (arrêts de travail, suivi des complications) des traitements des lésions précancéreuses, ni l’effet de protection croisée susceptible d’être apporté par le vaccin.

L’un des premiers points qui m’a frappé à la lecture de cet article est le nombre d’hypothèses posées quant à des issues incertaines. L’utilisation de modèles mathématiques cherchant à les maîtriser de manière objective et chiffrée fait de ce genre d’étude une manière scientifique de lire l’avenir à partir du présent. Cohorte virtuelle, simulation d’une infection naturelle, suppositions et hypothèses quant à la durée de protection fournie par le vaccin, à l’éventuelle nécessité d’un rappel, autant d’éléments discutés qui doivent être fixés pour effectuer l’étude, chaque question fonctionnant comme une « boîte noire » (Latour, 1989) pouvant être ouverte et débouchant sur d’autres hypothèses et d’autres incertitudes. Un éditorial du prestigieux New England Journal of Medicine (NEJM) qui a beaucoup circulé et était connu de la majorité de mes interlocuteur-trice-s66 discute de cette question de prise de décision sous incertitude en lien avec une étude coût-efficacité sur le vaccin HPV. L’auteure part du constat que de nombreuses inconnues demeurent à propos de ce vaccin, auxquelles des

66 Dans les entretiens, la référence à cet éditorial est revenue très souvent. Il m’est aussi parvenu deux fois dans des documents que des médecins m’ont envoyés. Je l’ai trouvé également dans la revue Sages-femmes (janvier 2009), traduit en français. Il apparaît ainsi comme la référence scientifique critique de la vaccination.

réponses ne pourront être apportées que dans plusieurs décennies, dont voici quelques exemples :

« For instance, will the vaccine ultimately prevent not only cervical lesions, but also cervical cancer and death ? How long will protection conferred by the vaccine last ? Since most HPV infections are easily cleared by the immune system, how will vaccination affect natural immunity against HPV and with what implications ? How will the vaccine affect preadolescent girls, given that the only trials conducted in this cohort have been on the immune response ? […] How will the vaccine affect other oncogenic strains of HPV ? » (Haug, 2008  : 861).

Elle s’interroge sur la manière de prendre des « bonnes » décisions de santé publique, quand les effets – positifs comme négatifs – de la vaccination ne seront pas connus avant plusieurs années. Elle souligne que ces analyses en elles-mêmes ne fournissent pas directement de preuves de l’efficacité d’une mesure. En commentant l’article de Kim et Goldie, dans la même revue, présentant une analyse coûts-efficacité, elle montre que les paramètres suivant devraient apparaître :

« The analysis has to model the natural history of HPV infection in this cohort of girls over their lifetime, the effect of the vaccine over all those years (wether it is the same effect or one that is waning), the effect on other HPV strains, the effect of the vaccine on the natural immunity against HPV infections, the sexual behavior of the girls and women and their partners, and finally, women’s cervical-cancer screening practices » (Ibid. : 862).

Si la plupart des points identifiés dans l’éditorial du NEJM sont traités dans l’étude suisse de Scuzs et al. (2008), d’autres points sont laissés dans l’obscurité, notamment les questions touchant l’effet du vaccin sur les autres souches HPV, ainsi que sur l’immunité naturelle contre l’infection. Cette étude procède ainsi par réduction. Ne pouvant maîtriser tous les facteurs incertains de l’avenir, il s’agit d’en sélectionner quelques-uns et de faire des hypothèses à leur sujet en se basant sur l’état du savoir présent. Cette part d’incertitude prend toute son importance quand on sait que « les réponses aux questions ouvertes peuvent influencer les résultats » (OFSP et al., 2008b : 1990), résultats qui vont être ensuite utilisés politiquement pour décider de la mise en place d’une mesure médicale ou de santé publique.

Le bien d’une population résultant, à terme, des hypothèses posées et des choix effectués, ce

genre d’étude soulève des enjeux politiques de taille et pose la question du degré d’incertitude acceptable quand le bien de toutes et tous est en jeu.

3.1.3. Les incertitudes : de vraies questions ou une manière émotionnelle de mettre en

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