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2. FAIRE DU CANCER DU COL UN PROBLEME DE SANTE PUBLIQUE SAILLANT :

2.4. HPV ET CANCER DU COL  : EFFACEMENT D ’ UNE COMPLEXITE

2.4.1. Un vaccin contre un cancer, une appellation techniquement justifiée ?

L’appellation « vaccin contre un cancer » est considérée comme problématique par plusieurs médecins interviewé-e-s à un deuxième niveau : celui de l’histoire naturelle de la maladie. En effet, parler d’un vaccin contre un cancer donne l’impression que le vaccin agit directement contre un cancer, ce qui n’est techniquement pas tout à fait juste pour plusieurs raisons et évacue la complexité du développement de la maladie.

Tout d’abord, les tests de phase 2 et 351 n’ont pour des raisons éthiques52 pas attendu le stade du cancer pour vérifier l’efficacité du vaccin. Celle-ci est prouvée pour la prévention de

51 « Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de la genèse d’un médicament, il faut connaître les phases de la recherche pharmaceutique depuis la synthèse de la substance active (substance qui entraîne une action ou

dysplasies et non directement contre le cancer du col de l’utérus lui-même, bien que tous les cancers du col aient commencé par le développement de lésions dysplasiques, comme me l’explique une médecin interviewée :

« J’ai donc dit que c’est un vaccin qui est censé prévenir les cancers. On n’a pas de preuves que ça va vraiment être le cas. On sait que ça prévient les précancéroses, donc les lésions précancéreuses qui mènent habituellement ou qui peuvent mener éventuellement à un cancer à un stade ultérieur, mais voilà on sait seulement que ça prévient un stade avant-coureur d’un possible cancer ultérieur. […] Il y a des jeunes filles qui développent ces lésions précancéreuses très tôt après l’infection. Maintenant, est-ce que ça prévient des lésions précancéreuses tardives, qui viennent seulement après 10 ans, ou 15 ans, 20 ans après une infection, ça personne ne le sait […] » (ZB, 20.04.09).

Deuxièmement, le vaccin commercialisé en Suisse agit efficacement contre quatre types de HPV, le 16, le 18, le 6 et le 11. De ces quatre souches, deux peuvent provoquer des condylomes et les deux autres sont des types à haut risque, c’est-à-dire fortement oncogènes, parmi les plus répandus dans le monde et responsables du développement de 70% des cancers du col utérin. Ainsi, le vaccin ne protège pas contre tous les risques de cancer du col, mais contre deux types de HPV responsables de 70% des cancers, c’est-à-dire que 30% restent non-couverts par cette vaccination.

Troisièmement, parler de vaccin contre un cancer constitue un raccourci qui évacue la complexité du lien entre HPV et cancer du col. En effet, les souches HPV 16 et 18 peuvent provoquer des infections qui peuvent provoquer des dysplasies qui peuvent à leur tour si l’infection est persistante se transformer en cancer, mais qui peuvent aussi s’éliminer naturellement et dont le développement est lié à d’autres facteurs de risque :

une réaction dans l’organisme) jusqu’à la mise sur le marché du médicament. Ce processus peut prendre une dizaine d’années, mais tend actuellement à être raccourci pour des raisons commerciales. [] En phase clinique I, on teste à doses croissantes la pharmacologie et la tolérance chez des volontaires sains. Même processus en phase clinique II, mais chez un nombre sélectionné de malades. On détermine l’efficacité thérapeutique, le dosage et le seuil de toxicité. En phase clinique III, on confirme chez un plus grand nombre de malades les résultats de phase 2. […] » (Boschetti et al. 2006 : 29).

52 Des médecins m’ont expliqué que pour des raisons éthiques on ne pouvait attendre de voir si un cancer se développait. Il paraît en effet peu éthique d’attendre qu’un cancer soit installé pour vérifier l’efficacité du vaccin, alors que ce moyen de prévention existe et est potentiellement efficace.

« Entre 5 et 40% des femmes en âge de reproduction souffrent d’infection à HPV asymptomatique. Cependant, cette dernière peut être intermittente et transitoire car seule une petite proportion d’entre elles développent une néoplasie cervicale intra-épithéliale (CIN). Cette progression survient lors d’infections répétées et persistantes dues à ce virus.

[…] D’autres facteurs coexistant tels que le tabagisme, le polymorphisme de p53, les contraceptifs oraux pendant plus d’une quinzaine d’années, la parité, le début de l’activité sexuelle, le nombre de partenaires sexuels, la présence de verrues génitales (condylomes) chez un des partenaires, etc. augmentent également les risques d’infection » (Joris et Gaudin, 2002).

La question de savoir pourquoi certaines infections sont persistantes et provoquent des cancers, alors que d’autres s’éliminent, demeure à ma connaissance débattue et ouverte (Woodman et al., 2007 ; Franco, Bosch et al, 2006).

2.4.2. Cancer du col = HPV. HPV = cancer du col ? Un équation complexe

Dans les documents de santé publique et articles de la presse romande étudiés, HPV et cancer du col de l’utérus sont régulièrement utilisés de manière conjointe et tendent à être pris comme des synonymes. La connaissance du HPV et de son lien avec le cancer du col avant l’implantation de la vaccination étant assez bas (Sherris et al., 2006 ; Giles and Garland, 2006), leur association constante dans les articles est probablement un élément important permettant au grand public de reconnaître que les HPV sont des agents causals nécessaires au développement du cancer du col et de comprendre le pourquoi de la vaccination. En même temps, la tendance à les utiliser de manière interchangeable élimine les nuances évoquées ci-dessus, telles que distinction entre HPV à bas risque et HPV à haut risque, et le fait que de nombreuses infections régressent spontanément. S’il est juste de dire que le HPV est un agent causal nécessaire au développement du cancer du col et que, comme le dit Claire-Anne Siegsrist, présidente de la CFV « sans HPV, pas de cancer du col » (2007 : 41), l’équation tend à devenir « avec HPV, un cancer du col » ce qui vu la forte prévalence de l’infection HPV53 ne peut qu’être considéré comme très alarmant.

On constate ainsi un effacement des distinctions entre les différents stades de la progression de la maladie, mais également un effacement de la distinction entre un risque,

53 « La détection d’un virus HPV au cours des trois premières années atteint jusqu’à 70% des filles, dont trois quarts seront à nouveau négatives après 24 mois. Seulement 1,4 à 2,5 % des filles HPV positives présenteront un CIN bas grade/LSIL, signe d’une réplication virale, dont 90% régresseront spontanément.. » (Renteria et De Grandi Revue Médicale Suisse, 09.11.2005.)

dans le sens d’une probabilité, et le fait d’avoir un maladie. L’effacement de cette complexité, renforçant l’équation HPV = cancer du col, vient accentuer la peur véhiculée par la notion de cancer, en donnant l’impression que «contracter » ce cancer est extrêmement fréquent, et explique également pourquoi cancer et MST s’entremêlent en de multiples facettes. Ce raccourci comporte une forte dimension morale dès qu’il s’agit de s’intéresser aux personnes non vaccinées, qu’il s’agisse des jeunes femmes en-dehors du programme de vaccination, ayant pris conscience d’une menace de cancer mais n’ayant pas les moyens de s’en protéger selon les nouvelles normes préventives, ou qu’il s’agisse des personnes refusant de se vacciner ou de faire vacciner leur fille, telle cette mère, opposée à la vaccination de sa fille, et qui devait répondre à l’accusation de son entourage professionnel, selon laquelle si elle ne voulait pas vacciner sa fille, cela signifiait qu’elle voulait qu’elle ait un cancer. Jugement accusateur opérant sur le raccourci réducteur selon lequel HPV = cancer, et intégrant parfaitement l’obligation morale de se prémunir contre tout risque susceptible de menacer la santé (Lupton, 1993).

En conclusion de cette partie, on peut dire qu’on assiste avec l’arrivée du vaccin anti-HPV sur le marché à une co-production du risque et du remède, participant au processus faisant du vaccin anti-HPV « le bon outil pour la tâche ». En effet, la manière dont est décrite et visibilisée l’entité « cancer du col de l’utérus » au temps du vaccin passe par l’utilisation d’un langage épidémiologique qui tend à construire ce mal comme une menace grave et un risque très présent dans la vie des femmes et jeunes filles visées par la vaccination et par-là un problème de santé publique majeur, auquel le vaccin apporte une solution. Bien que différentes facettes du risque soient mobilisées dans les discours sur le vaccin, l’accent mis sur le cancer et l’effacement de la complexité du lien entre HPV et cancer du col de l’utérus au sens de l’effacement de la distinction entre différents stades de progression de la maladie, et entre une probabilité et l’actualisation de la maladie, sont sources de production d’anxiété.

Cette anxiété est utilisée de manière sanitaire par la santé publique pour promouvoir la vaccination, de manière économique par les firmes pharmaceutiques qui cherchent avant tout à vendre un produit et entre en conflit avec la volonté des médecins rencontré-e-s de promouvoir un processus décisionnel rationnel menant au libre choix de la vaccination.

Au niveau de la promotion du vaccin par les firmes et les organes de santé publique, le vaccin est associé de manière forte au cancer. Pourtant, c’est par l’identification des HPV comme agents causals du développement du cancer du col utérin que cette maladie peut être

prévenue par un vaccin et être qualifiée de maladie sexuellement transmissible. La dimension sexuelle de la pathologie rendue visible par l’arrivée du vaccin sur le marché est considérée de manière problématique par plusieurs médecins rencontré-e-s. Elle suscite un conflit entre une volonté de profiter du vaccin pour promouvoir une prévention des maladies sexuellement transmissibles de manière plus générale et une crainte de présenter la sexualité comme un danger, de moraliser des comportements sexuels ou de générer une intrusion dans l’intimité des jeunes filles concernées.

Si la visibilisation soudaine du cancer du col de l’utérus comme problème de santé publique majeur peut provoquer de la peur, considérée comme une réaction émotionnelle que certain-e-s professionnel-le-s cherchent à éviter, mais que d’autres considèrent comme la source d’une bonne adhésion à la vaccination, tant du côté des jeunes filles que du côté des organes de santé publique, elle fournit peut-être aussi l’occasion de parler d’un problème de santé qui jusque-là était occulté par la banalité des dépistages, participant ainsi à une reconnaissance des souffrances psychique et physiques liées aux effets iatrogènes du dépistage et des traitements des lésions dysplasiques (voir Petit-Pierre, 2007).

3. ORGANISER UNE CAMPAGNE DE VACCINATION : RENDRE LE

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