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2. FAIRE DU CANCER DU COL UN PROBLEME DE SANTE PUBLIQUE SAILLANT :

2.3. C ANCER OU MALADIE SEXUELLEMENT TRANSMISSIBLE  : DE QUEL RISQUE PARLENT - ILS ?

2.3.1. Le cancer, fléau du 20 ème siècle

« Premier vaccin contre un cancer ». Cette expression souvent utilisée pour qualifier le vaccin anti-HPV reflète un progrès décisif dans la lutte contre le cancer et vient signer l’espoir de la fin d’un cancer (Monsonégo, 2007). Espoir proportionnel aux représentations de la gravité de la pathologie qu’il vient prévenir et permet potentiellement de vaincre. En effet, le cancer est non seulement associé à l’idée d’une maladie très grave, impliquant des traitements lourds et parfois inutiles, de grandes souffrances physiques et morales, mais aussi avec l’idée

48 La vaccination généralisée des adolescent-e-s en Suisse a débuté en 1998.

49 La comparaison entre le vaccin contre l’hépatite B et le vaccin anti-HPV a été plusieurs fois évoquée par les médecins et infirmières interviewé-e-s.

d’incurabilité pendant longtemps indissociable de cette maladie, c’est-à-dire la mort. A la crainte associée au diagnostic s’ajoute une dimension de jugement moral, comme le montrent Clarke et Everest dans leur « portrait » du cancer dans les médias de masse imprimés au Canada et aux Etats-Unis : « cancer has been described as the most feared of modern diseases.

It has been associated with death, with long and sickening treatments, with punishment, lack of cleanliness, contagion, unpredictability, and traitorousness among other things. Fear has led people with cancer to be stigmatized and isolated from social life » (2006 : 2591). Ainsi prévenir un cancer par un vaccin a ceci de révolutionnaire que cela permet de s’attaquer à l’une des maladies les plus craintes du 20ème siècle dans les pays occidentaux. De plus, l’idée d’un vaccin – c’est-à-dire un moyen de prévention considéré comme relativement simple à implanter, sûr et efficace – contre un cancer ouvre les espoirs les plus fous quant au pronostic d’une maladie grave, souvent mortelle, et pour laquelle jusque-là, n’existait aucun moyen de prévention primaire, ni de test diagnostic permettant d’organiser un dépistage, faute d’un agent causal connu (Pinell, 1992 : 11 et 255). Peur, dimension collective de la lutte et progrès scientifique: trois éléments qui se trouvent mêlés dans l’histoire du cancer dans laquelle vient s’inscrire le vaccin HPV et que je vais présenter maintenant.

Tout d’abord, premier point relevé par la plupart de mes interlocuteur-trice-s, le cancer est une maladie qui fait peur, peur qui a probablement joué un rôle important à la fois dans la rapide implantation de la vaccination et dans l’acceptation du vaccin dans la population comme on peut le lire dans les deux extraits d’entretien suivants. Par exemple, une médecin interviewée, me parlant de l’implantation de la vaccination :

« […] Il y a eu un enthousiasme pour ce vaccin qui a été présenté comme LE vaccin contre le cancer qui était un enthousiasme parfois un peu délirant, largement soutenu par un financement massif […] Je pense que ce qui fait fort c’est le mot cancer. Ça a été un argument massue. Là aussi, c’est une réflexion intéressante. Quand le sida est apparu, et j’ai vécu toute cette époque, je me rappelle les années 84-88, où il y a eu cette irruption, les gens avaient la pétoche, et le fric a débarqué. Enfin, il y a eu des sommes qui sont venues pour la recherche du jour au lendemain, comme maintenant sur la grippe.

Malheureusement, la peur est très très efficace pour dégager de l’argent et je ne peux pas m’empêcher de penser que le mot cancer à joué un rôle, alors que ce cancer, soyons honnête, il ne tue pas tellement par rapport à beaucoup d’autres choses […] » (DH, 29.04.09).

Un autre médecin, à propos de l’acceptation de la vaccination, me partage son avis :

« Je pense que malgré tout et quelque soit l’âge, les choix de prévention sont toujours basés sur la peur et le cancer ça fait peur. L’autre élément je pense c’est que c’est un cancer qui de nos jours est très présent dans la vie des femmes […] Dans 20 ans, ça sera beaucoup plus difficile parce que dans 20 ans, l’incidence aura beaucoup diminué, et ce sera comme la polio maintenant. Maintenant, il y a des gens qui disent pourquoi je vaccinerais contre la polio, je ne connais personne qui a eu la polio, il n’y a plus de polio en Suisse. Alors que là, c’est quand même un cancer très présent dans la vie d’une femme [...]» (KL, 08.05.09).

Ces deux extraits d’entretien montrent que la peur est au centre des dispositifs de prévention. En effet, la peur suscitée par le spectre du cancer semble constituer un bon moteur à la fois de l’acceptation du vaccin – remède à cette anxiété – et de la mise en place rapide de la vaccination – lutter contre une maladie terrifiante relève du devoir de l’Etat face à ces citoyens et permet à un financement très important de se dégager. Le sentiment de peur peut aussi être considéré comme un élément négatif pour les personnes exclues du programme de prévention, car leur faisant prendre conscience d’un grand risque, très présent, sans leur donner les moyens de s’en protéger, comme l’exprime cette médecin, parlant des « effets collatéraux » produits par la vaccination :

« […] et donc nous avons aussi à rassurer nos patientes hors programme. Je crois que, peut-être, on l’oublie un tout petit peu, mais c’est aussi important. Les filles de 22 ans qui viennent à notre consultation, qui ne vont pas faire le vaccin ou en tout cas auxquelles il ne serait pas remboursé, elles ont été alarmées par cette campagne, parce que, malheureusement, les termes utilisés c’était “vaccin contre le cancer”, par conséquent celles qui ne sont pas vaccinées sont à risque de cancer. On a dû ainsi renforcer l’information individuelle, pour leur dire : “mais on fait de la prévention avec vous, C’est pour cela que vous êtes là aujourd’hui. On vous fait votre frottis de dépistage et on le refera dans une année et voilà” » (IP, 19.05.09).

Deuxièmement, plus qu’une simple peur associée depuis toujours aux signes de la maladie, Pinell (1992) montre, dans son analyse socio-historique de la lutte contre le cancer en France (1890-1940), que le cancer en tant que catégorie médicale a été construit comme le fléau du 20ème siècle impliquant en cela une dimension collective en raison de l’ampleur du mal qu’il

génère et celle des mesures prises pour le combattre : « La peur et l’horreur du cancer sont donc des sentiments attachés à l’histoire de cette catégorie médicale et aussi anciens qu’elle.

Mais – et c’est là qu’un tournant s’opère au début du XXème – ces sentiments qui, jusque-là, s’éprouvaient vis-à-vis d’une maladie “exceptionnelle” – tant par ses caractéristiques que par sa rareté – commencent à s’exprimer dans un discours public à propos d’une maladie à qui l’on prête une dimension “ sociale” » (Pinell, 1992 : 9). En effet, si contrairement aux idées reçues le cancer n’est pas une maladie « moderne », c’est bien au 20ème siècle que « l’idée que cette maladie représente par son incidence une menace pour la société prend peu à peu consistance » (ibid. : 10), ainsi que naissent les politiques sanitaires de lutte contre le cancer.

Ainsi, bien que le cancer du col utérin ne relève pas directement de la catégorie des épidémies impliquant une dimension collective, par son inscription dans la lutte contre le cancer en général, il acquiert une dimension de santé publique. La construction du cancer comme

« fléau » vient par conséquent encore renforcer la peur suscitée par l’évocation du mot cancer, en l’inscrivant dans une dimension collective.

Troisièmement, ce vaccin est issu de technologies de pointe telles que l’hybridation d’ADN ou la « fabrique » de « virus like particle » (VLP) relevant des domaines du génie génétique et de la biologie moléculaire dont la plupart des médecins interviewé-e-s sont très admiratif-ve-s. Le vaccin HPV s’inscrit ainsi dans une lecture de l’histoire mettant en avant les progrès réalisés par les sciences pour vaincre la maladie, et plus précisément relève de l’association « fléau meurtrier - progrès de la science » analysée par Pinell :

«  Ainsi, la réunion des conditions rendant possible l’émergence de la représentation du cancer fléau correspond à un moment où sa place dans les sciences de la vie apparaît si centrale que la résolution de son énigme pourrait coïncider avec celle des grands problèmes du vieillissement, de telle sorte que, par un renversement dialectique, le

« monstrueux » fléau universel devient porteur de l’utopie scientiste par excellence celle qui imagine la maîtrise de l’homme sur l’évolution de la vie et le recul des frontières de la mort. Cette représentation, en faisant du cancer l’objet « clef » d’une biologie moderne

« post-pasteurienne », celui qui peut ouvrir l’accès à la connaissance des processus vitaux, situe son importance sociale au-delà de la seule question de son incidence sur la mortalité » (Pinell, 1992 : 297).

Ainsi, l’idée de pouvoir prévenir le cancer par un vaccin représente une avancée scientifique reconnue comme très importante par mes interlocuteur-trice-s. Mais, plus que cela, elle représente également un changement de perspective médicale, qualifié de « génial », car opérant la requalification du cancer comme maladie infectieuse :

« Ce qui est génial avec le vaccin, et que les gynécologues ne se rendent pas compte, c’est qu’on est en train de changer la médecine. Pourquoi ? Parce qu’en 1950 quand Papanicolau disait de faire un frottis, c’était une prévention secondaire, parce qu’on dépiste la maladie. Mais le vaccin c’est une prévention primaire, donc on va complètement changer. Et puis, ce qui est encore plus génial, c’est que l’on va utiliser un outil qu’on a en nous, notre immunité, pour se protéger d’un virus qui est inducteur d’un cancer. En gros, on va éviter un cancer par un vaccin, et ça jusqu’à maintenant… Si on avait dit ça il y a 20 ans, on aurait dit : “non mais attendez, vous voulez éviter un cancer en faisant un vaccin ? Mais on vaccine pas contre le cancer…” Mais il y en a plein maintenant des cancers, je crois que 25 % des cancers, de mémoire, 25% des cancers sont liés à une maladie infectieuse » (VR, 06.05.09).

Cet extrait d’entretien nous montre que l’aura scientifique du vaccin est à la mesure de l’ampleur du terrible mal qu’il vient combattre, et que parler de vaccin contre un cancer, c’est l’inscrire dans la longue histoire de la lutte contre ce  fléau du 20ème siècle et le faire apparaître comme « le bon outil » novateur, révolutionnaire et salvateur. On constate également que la peur produite par l’évocation du risque de cancer peut être considérée par mes interlocuteur-trice-s à la fois comme positive car bon moteur des actions de prévention, et à la fois comme négative, car suscitant un engagement des autorités sanitaires « émotionnel » au détriment d’autres problématiques de santé, et car faisant peser le spectre d’une grande menace sans donner les moyens de pouvoir s’en protéger aux jeunes filles exclues du programme de vaccination. Mettre l’accent sur le cancer, en parlant de cancer du col c’est aussi omettre de parler de sa transmission sexuelle, élément très discuté par mes interlocuteur-trice-s.

2.3.2. Infection sexuellement transmissible. D’une vie sexuelle dangereuse au

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