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4. CONSTRUIRE UNE CATEGORIE DE PERSONNES VACCINABLES ET NORMER DES

4.1. L A FRONTIERE DE L ’ AGE  : DES ADOLESCENTES VIERGES ET MERES EN DEVENIR

4.1.2. Des adolescentes, soucieuses de leur santé et aptes à décider pour elles-mêmes

attentes normatives qui déterminent cette catégorie d’âge et de genre? Un sujet discuté dans les entretiens autour duquel s’articulent ces questions est l’autorité parentale ou la question de savoir à partir de quand les jeunes filles sont considérées comme aptes à choisir ce qui est bien pour elles-mêmes en termes de vaccination, comme me l’explique ce médecin :

« Bon, une jeune fille est légitimée pour décider elle-même d’une vaccination HPV. Ça, c’est le principe, contrairement à la scolarité obligatoire où là on demande la signature des parents. Si une jeune fille de 13 ans, sous la scolarité obligatoire, ou 14 ans, pour prendre un âge un peu plus simple sur le plan de la jurisprudence, si une jeune fille de 14 ans veut se faire vacciner mais que ses parents s’y opposent, elle devrait pouvoir être vaccinée » (FE, 15.05.09).

On retrouve dans cet extrait la distinction entre deux sous-catégories de jeunes filles.

Premièrement, celle des jeunes filles de 11 à 14 ans, qui sont dans le cadre de l’école obligatoire et soumises à l’autorité parentale. Deuxièmement, celle des jeuns filles dès 15 ans – ou 14 ans selon les propos du médecin cité ci-dessus – considérées comme capables de décider pour elles-mêmes de participer ou non à la vaccination. Cette distinction s’est traduite formellement par une demande d’autorisation signée par les parents au niveau secondaire, alors que les adolescentes en post-obligatoire on pu signer elles-mêmes le formulaire leur permettant de se faire vacciner. Cette distinction qui se formalise autour de la fin de la

scolarité obligatoire est également corrélée à la limite d’âge définie légalement comme étant celle de la majorité sexuelle, c’est-à-dire 16 ans :

« A Genève, on a discuté de l’âge en-dessous duquel on pouvait vacciner sans le consentement parental, parce que la majorité officielle c’est 18 ans. Et au départ, sur la première circulaire qu’on a vu passer c’était ça. Et on est monté aux barricades en disant

“à Genève, on peut avorter à 16 ans sans le consentement des parents” puisque la maturité sexuelle c’est le 16ème anniversaire. Et donc moi, j’ai lancé partout une petite phrase qui a fait beaucoup avancer les choses, parce que j’ai dit : “j’ai une nièce de 17 ans qui me dit : “tu prétends que j’ai le droit de me faire avorter sans le dire à mes parents, mais pas de me faire vacciner contre une maladie”. Donc du coup c’est l’argument qui a convaincu les juristes, […] » (KL, 08.05.09).

La comparaison avec l’avortement est utilisée ici pour défendre le droit des jeunes filles à disposer de leur corps en lien avec le domaine de la sexualité. Elle permet aussi de ramener au même niveau deux actes – se faire avorter, se faire vacciner – qui autrement révéleraient une gravité différentielle inversément proportionnelle à l’importance qu’on leur attribue dans le sens commun.

Les jeunes filles de plus de 15 ans étant considérées par les médecins engagé-e-s dans la mise en place de la vaccination comme aptes à décider de ce qui est bon pour elles en termes de vaccination, la responsabilité du choix leur incombe. Celle-ci repose sur le principe de consentement éclairé, aboutissement d’un processus décisionnel rationnel, et est soutenue par l’idée d’une information de qualité, permettant de décider en connaissance de cause. Cette volonté de rendre les individus responsables de leur santé s’inscrit dans la politique défendue par l’OFSP et fait partie de ses principes directeurs (2006 : 7). Alors que les vaccinations peuvent, selon les pays et les moments, être imposées de manière autoritaire, ici se trouve la volonté des médecins de laisser de la place à une démarche décisionnelle individuelle.

Plusieurs considèrent que cette vaccination s’inscrit dans le registre d’une prévention à un niveau individuel, dans le sens où ce sont avant tout les conséquences sur la propre santé d’une personne qui sont en jeu et non sur la santé de la population en entier comme lors d’une épidémie. Selon eux, il s’agit de prendre une décision par rapport à des risques encourus au niveau personnel et non par rapport à des risques que l’on imposerait aux autres, considérés comme plus vulnérables :

« Je pense qu’il faut que ça reste un choix individuel, c’est pas comme d’autres maladies transmissibles comme par exemple la rougeole où ce n’est pas tellement un choix individuel. La rougeole met en danger d’autres personnes qui ne peuvent pas être immunisées, pour une raison quelconque. Par exemple, des gens qui sont gravement malades ou qui ont des cancers, des leucémies, ou qui sont HIV positifs, qui ne peuvent pas être vaccinés contre la rougeole. En conséquent, les gens qui ne se font pas vacciner contre la rougeole mettent en danger justement ces autres populations, donc il y a une double responsabilité de se faire vacciner contre la rougeole ou des maladies semblables.

Pour le HPV, là, je pense que c’est pas tout à fait la même chose, on est responsable pour soi-même, et puis on se protège soi-même ou pas, […] » (ZB, 20.04.09).

Cette responsabilité à décider pour soi-même de ce qui est bon en termes de vaccination a été vue positivement par quasi tous-tes mes interlocuteur-trice-s car, d’une part, elle facilite les démarches permettant à la vaccination de se réaliser en réduisant le nombre d’interlocuteur-trice-s impliqué-e-s et, d’autre part, elle permet d’exercer une aptitude au choix rationnel, participant d’une certaine forme d’émancipation ou de passage à l’âge adulte :

« Enquêtrice : Est-ce que vacciner des adolescents pose des problèmes particuliers par rapport à la vaccination des enfants?

FE : Ça a plutôt fourni des opportunités particulières. C’est des opportunités de débats, de discussion et donc de choix raisonné. Bon, nous trouvons que c’est un excellent moment pour le faire aussi, parce que ça permet, au delà de la vaccination particulière qui est proposée là, de les mettre en discussion sur ce type de choix, y compris sur le fait qu’un jour ils seront parents, les questions à se poser pour leurs enfants, qu’ils comprennent les termes de cette problématique et les termes du choix, et de ses implications, alors problème, non, non, non du tout, alors plutôt une vraie opportunité » (FE, 15.05.09).

Ici, la situation créée par la mise en place de la vaccination est considérée comme une opportunité particulière de promouvoir une responsabilité individuelle face aux choix de santé effectués dans un esprit rationnel. On retrouve dans le discours de ces médecins une économie morale orientée vers un devoir d’intégration des dimensions psycho-sociales à leur pratique.

Le vaccin est utilisé pour défendre une santé publique qui n’est pas centrée sur les seuls

aspects biologiques ou financiers et qui ne s’impose pas de manière autoritaire, mais qui prend en compte les dimensions psycho-sociales des individus et les invite à prendre eux-mêmes leurs décisions. Dans les faits, cette éthique d’une « bonne » santé publique se trouve en conflit avec l’impératif économique de mettre en place une vaccination à grande échelle laissant peu d’espace pour la promotion des valeurs défendues.

La perspective de genre permet d’éclairer un peu différemment ce souci de promouvoir la responsabilité des individus face à leur santé. Dans l’extrait d’entretien cité, le mot « parents » est utilisé de manière neutre sans préciser s’il s’agit des mères ou des pères et est élargi à d’autres vaccinations. Cependant, dans le cadre de la vaccination HPV, ce sont bien les jeunes filles qui sont visées et pour lesquelles l’opportunité d’un choix rationnel se présente. Dans le cas précis, on ne demande pas aux garçons de se positionner par rapport aux risques qu’ils prennent pour eux ou pour autrui. Ainsi, plutôt qu’à des « parents », c’est à des futures mères devant décider plus tard des vaccinations de leurs enfants, auxquels elles sont déjà implicitement associées, que l’utilité de ce choix s’adresse.

La corrélation entre une exigence de rationnalité et de responsabilité et des adolescentes pensées en lien avec une future maternité se retrouve également dans l’article des deux pédiatres (Caflisch et Duran, 2008 ). Celles-ci recommandent de développer un discours spécifique selon l’âge des adolescentes visées. Les personnes en fin d’adolescence (dès 17 ans) sont considérées comme « pouvant se projeter dans le futur (et être) sensible par exemple aux réflexions quant à des grossesses compliquées suite à des traitements de dysplasie cervicale » (2008). Il s’agit de leur faire « comprendre les effets à long terme et l’impact sur le futur pour soi-même et les autres » (ibid.). A nouveau, ce sont les futures femmes enceintes qui sont convoquées et incitées à réfléchir en prenant en compte autrui – dans l’exemple donné l’éventuel fœtus – en raisons des conséquences que telle ou telle décision peut avoir sur lui. On voit dans cet exemple, que si les jeunes filles sont invitées à décider pour elles-mêmes de ce qui est bien, elles sont également comprises comme devant naturellement déjà développer le souci de protection d’un autrui, en l’occurrence le fœtus.

Ainsi est construite une figure d’adolescente raisonnable, apte à décider pour elle-même de ce qui est bien, capable de se projeter dans un futur lointain et de penser aux conséquences à long terme de ses choix présents. Ces traits semblent plus caractéristiques de l’âge adulte que de l’adolescence telle qu’elle est présentée dans le discours médical. En effet, le rapport entre

cette période d’âge et la vaccination et considéré comme problématique. Plus précisément, les caractéristiques de « robustesse physique », « bonne santé évidente », « prises de risque » et

« insoumission » sont pensées comme en opposition aux valeurs sous-jacentes à la prévention vaccinale, telles que souci de protéger les plus vulnérables et désir de protéger l’avenir (Siegrist, 2003 ). Le décalage entre les caractéristiques de l’adolescente et celles de l’adolescence laisse à penser que la catégorie des jeunes filles visées par la vaccination anti-HPV est genrée de manière féminine. D’un point de vue de production des identités de genre, il est intéressant de voir que c’est justement dans une période d’adolescence construite comme une phase d’apprentissage d’une rationnalité adulte qu’interviennent des définitions genrées de ce qu’est une femme pensée en lien avec une future maternité.

Par contre, l’élément de « bonne santé évidente » considéré comme caractéristique de l’adolescence est très présent dans la figure d’« adolescente vaccinable contre HPV » s’illustrant dans les medias ou les documents de santé publique. En effet, ce sont toujours des jeunes filles éclatantes de santé qui sont présentées. Cet élément joue probablement un rôle dans la construction du vaccin comme « bon outil », dans le sens où il vient justement protéger une catégorie de personnes construites comme jeunes en bonne santé et ayant l’avenir – entre autres maternel – devant elles.

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