• Aucun résultat trouvé

3. ORGANISER UNE CAMPAGNE DE VACCINATION : RENDRE LE VACCIN GRATUIT ET

3.2. N EGOCIER UN PRIX ET DES CONDITIONS DE REMBOURSEMENT

3.2.1. Attente, sentiment d’urgence et médecine à deux vitesses

Rendre le vaccin gratuit et accessible pour la population visée constitue un enjeu de grande importance d’un point de vue de santé publique car son prix élevé le réserve à une élite riche et informée. Ne pas statuer sur ce point en termes de santé publique génère la crainte d’une médecine à deux vitesses renforçant des inégalités socio-économiques, plutôt que de tenter d’y remédier, ce qui va à l’encontre de son objectif qui est que « chacun puisse bénéficier du meilleur système de santé possible » (OFSP, 2009 : 6). Cet argument est d’autant plus

67 Site Internet

http://www.bag.admin.ch/dokumentation/medieninformationen/01217/index.html?lang=fr&msg-id=15800 Consulté le 19.04.10.

important que l’une des limites du dépistage cytologique est sa couverture inégalitaire selon le niveau socio-économique des femmes visées. Fort-e-s de ce constat, plusieurs politicien-ne-s de droite et de gauche ont déposé des postulats et une motion demandant son remboursement par les assurances-maladies (voir postulat Ory du 21.06.2007 ou celui de Gutzwiller du 22.06.2007). L’extrait du blog de Marianne Huguenin du 15.10.200768 illustre bien le climat tendu généré par l’attente de la décision du remboursement :

«  […] Le coût prohibitif de 700 francs empêche clairement toute politique de santé publique, réservant le vaccin à une toute petite minorité. Une vraie politique de santé publique exige à la fois le remboursement du vaccin par l’assurance de base et une pression sur le fabricant pour en faire baisser le coût. J’ai déposé en juin de cette année une motion invitant le Conseil fédéral à aller dans ce sens, motion cosignée par des femmes et des parlementaires de tous les bords politiques du parlement. En règle générale, le Conseil fédéral répond aux motions lors de la session parlementaire qui suit, sa réponse était donc attendue pour la session de septembre qui vient de s’écouler. Silence radio. Ça semble négocier sec entre les deux commissions concernées à ce stade (commission fédérale des prestations et commission fédérale des médicaments), l’industrie pharmaceutique et le département fédéral de l’intérieur qui doit prendre la décision. Pendant ce temps, dans un des pays les plus riches du monde, dans le pays de l’industrie pharmaceutique, 400 jeunes femmes par mois sont infectées… ».

Cette période d’attente a été vécue de manière inconfortable par plusieurs de mes interlocuteur-trice-s. En effet, l’annonce du « premier vaccin contre un cancer » et la manière dont a été visibilisé le cancer du col comme problème de santé publique majeur ont créé un fort sentiment d’attente au sein de la population visée. Celui-ci s’est traduit par de nombreux téléphones de mamans inquiètes et désireuses de faire vacciner leurs filles au plus vite mais cherchant également des informations quant à son remboursement. Cet inconfort est révélateur de la tension entre le devoir de santé publique de rendre le vaccin accessible à toutes dans les plus courts délais et celui de le faire au moindre coût (OFSP, 2009 : 8). Le bien des jeunes femmes est ici utilisé pour montrer que le premier devoir devrait primer sur le second. Cependant, faire primer le devoir d’accessibilité au plus grand nombre et au plus vite est susceptible également de favoriser les intérêts financiers des firmes.

68 Site Internet http://www.mariannehuguenin.ch/content/blogcategory/49/50/ Consulté le 01.02.10

La lettre69 de la Société Suisse de Pédiatrie (SSP), adressée à Pascal Couchepin, chef du DFI et Conseiller fédéral, aux directrices et directeurs cantonaux de la santé et au directeur de Santésuisse, en date du 4 février 2008 (Paediatrica 2008b) illustre la prise de position officielle d’un groupe profssionnel en lien avec ces questions :

« Les pédiatres suisses se trouvent depuis un mois dans une situation contraire à leur devoir éthique. En effet depuis une année un vaccin permet de protéger les femmes jeunes contre le deuxième cancer féminin en terme de fréquence, le cancer du col de l’utérus. Il diminue le risque d’être atteinte par cette maladie de plus de 70 %. Depuis le premier janvier 2008, selon une décision de l’OFSP, ce vaccin est sur la liste des prestations prises en charge par l’assurance de base pour autant qu’un programme de vaccination cantonal soit mis en place. Or, un mois plus tard, de tels programmes cantonaux ne sont toujours pas généralisés. Pouvez-vous imaginer notre malaise éthique lorsque l’adolescente assise en face de nous demande à être protégée contre une contamination virale, dont elle sait qu’elle la mènera probablement aux pires complications médicales, voire à la mort ! Nous vous rappelons que l’on peut estimer que chaque semaine qui passe, en Suisse, quelques centaines d’adolescentes sont contaminées. Qui supportera la responsabilité humaine, éthique, voire légale, des nombreux cancers qui en découleront ?70 Certes, nous vaccinons certaines de nos jeunes patientes : celles qui disposent d’une assurance privée ainsi que les patientes dont les parents peuvent en assumer les frais. Ce faisant, nous pratiquons une médecine à deux vitesses, offrant une protection efficace aux plus favorisées et négligeant les autres. Nous ne pouvons plus tolérer cette situation anachronique et pensons qu’il n’est pas acceptable que celle-ci se prolonge. Conscients qu’un problème financier pèse lourd face à notre problème médical et éthique, nous ne doutons pas que vous prendrez les mesures nécessaires dans un pays où les considérations économiques ne peuvent impunément ignorer la responsabilité morale ».

Dans cette lettre, le sentiment d’attente et d’impuissance ressenti par les pédiatres et leur vécu d’une situation considérée comme non-éthique sont corrélés au mode d’urgence sanitaire sur lequel a été visibilisé le cancer du col suite à l’introduction d’un moyen matériel de prévention – le vaccin – sur le marché. On retrouve l’idée selon laquelle le cancer du col est le deuxième cancer féminin, sans préciser si ces chiffres sont valables pour la Suisse ou le reste du monde. On retrouve également l’effacement de la distinction entre HPV et cancer du col,

69 Reproduite ici en intégralité, à l’exception des formules de politesse.

70 La mise en évidence en gras est dans l’original.

toute infection étant considérée comme susceptible d’apporter la mort, ainsi que l’accent mis sur le cancer. Ainsi, le sentiment d’attente créé dans la population et le malaise éthique qui en découle auprès des professionnel-le-s sont proportionnels au mal que le vaccin permet de prévenir et de construire. A noter, le registre intensément « émotionnel » mobilisé dans cette lettre, montrant bien que l’utilisation des registres « émotionnel » et « rationnel » varie selon les contextes et que leur opposition ne sert pas toujours les mêmes intérêts. Ici, en effet, le registre émotionnel est mis au service de la défense du bien des jeunes filles et des choix de santé publique, alors que dans d’autres contextes il est utilisé pour disqualifier les critiques portant sur la vaccination anti-HPV.

Cette lettre illustre également la tension entre le devoir « éthique » des médecins de

« sauver les jeunes filles de la mort » et un souci économique se traduisant par la conscience qu’un problème financier important empêche la réalisation de ce projet, le premier devant clairement primer sur le second. Le souci éthique de la santé des jeunes filles mis en avant sert paradoxalement l’économie financière et notamment les intérêts financiers des producteurs du vaccin en faisant pression sur la santé publique pour une mise en place rapide de programmes cantonaux. On assiste ainsi à la mobilisation stratégique d’un devoir éthique servant indirectement une médecine entrepreneuriale dont, par ailleurs, la majorité des médecins cherchent à se distinguer.

3.2.2. Les conditions d’un remboursement : achat en gros et vaccination à grande

Outline

Documents relatifs