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De l'impossibilité d'une mécanique intelligible à la possibilité d'une mécanique intelligentepossibilité d'une mécanique intelligente

Le modèle monadologique chez Maupertuis

I. De l'impossibilité d'une mécanique intelligible à la possibilité d'une mécanique intelligentepossibilité d'une mécanique intelligente

Si l'on souhaite comprendre la raison pour laquelle Maupertuis use du monadisme afin de construire sa théorie de la génération, on doit considérer l'enchaînement des textes, non comme l'expression progressive d'un système cohérent de philosophie naturelle, mais plutôt comme la tentative réitérée de surmonter des obstacles théoriques. É. Callot, au contraire, propose de porter prioritairement l'attention sur le Système de la nature plutôt que sur la Vénus physique au motif que « la philosophie biologique n'est qu'une partie de la philosophie de la nature. »10 Autrement dit, il procède à l'inversion de la chronologie au profit d'une organisation systématique des textes : la Vénus physique exposerait les principes de la génération des êtres vivants, et constituerait en ceci une partie d'une exposition plus générale, opérée dans le Système de la nature. Mais cette reconstruction a posteriori ne nous semble répondre ni aux intentions de Maupertuis, ni à la lettre des textes : artificielle, elle conduit à brouiller le pouvoir explicatif des outils d'interprétation. C'est pourquoi Callot peut s'autoriser de formules trop générales, comme lorsqu'il affirme que « ce système est une sorte de cartésianisme corrigé par un newtonianisme et doublé d'un dynamisme psychique où l'on sent l'influence du monadisme leibnizien. »11 Présentée ainsi, la théorie maupertuisienne de la génération passe pour un mélange indécis de divers matériaux. Or, il nous semble qu'on gagnerait à envisager ce triptyque selon l'ordre des difficultés rencontrées dans la construction d'une théorie épigénétique : la figure cartésienne apparaît dans la Vénus physique en tant qu'elle permet une explication de l'ontogenèse en termes strictement mécaniques. Mais, le texte expose immédiatement l'échec d'une telle entreprise en reconduisant la théorie

10 É. Callot, La philosophie de la nature au XVIIIème siècle, Paris, Marcel Rivière et compagnie, 1965, p.162.

11 Ibid., p.172.

cartésienne de la formation du fœtus aux mêmes types d'impasses que celles rencontrées par le préformationnisme. C'est en ce sens qu'apparaît la référence à Newton et à la notion d'attraction : cette dernière doit pouvoir rendre compte du fait que l'ontogenèse constitue un processus ordonné et conduit au développement d'un être organisé. En diversifiant les types d'attractions selon les types de matières se combinant lors de la formation d'un nouvel être, Maupertuis pense pouvoir résoudre l'aporie d'un mécanisme aveugle dont les lois s'appliqueraient identiquement aux différents composants de l'individu vivant. Seulement, on le voit, cette solution implique une différenciation interne des parties moindres de l'organisme qui puisse rendre raison de leur comportement différencié. Elle suppose donc une activité propre des éléments de la matière en fonction de leurs propriétés. On quitte alors le strict champ de la science newtonienne puisqu'on ne se contente plus de postuler des types d'attractions spécifiques lors de l'ontogenèse, mais qu'on se prononce—à titre conjectural—

sur la cause de cette spécificité. Le premier rapprochement notable avec le monadisme leibnizien intervient alors dans les toutes dernières sections de la Vénus physique : Maupertuis fait l'hypothèse d'un instinct qui fait « apercevoir » aux parties animales la place qui leur convient dans le processus de formation d'un vivant et va jusqu'à parler, dans ce cadre, d' « harmonie préétablie. »12 À ce titre, Maupertuis entend substituer l'idée d'une mécanique intelligente à celle d'une mécanique intelligible. S. Schmitt repère bien cette rupture opérée dans la conclusion de la Vénus physique lorsqu'il affirme qu'« on voit donc Maupertuis passer dès 1745 d'un modèle plutôt 'newtonien', envisageant des particules matérielles assez passives organisées par des forces spécifiques, à un modèle plutôt 'leibnizien', où il explique la formation des êtres organisés en mettant d'avantage l'accent sur les propriétés inhérentes aux particules elles-mêmes. »13 Il s'agira, pour nous, non pas de constater cette rupture qui mène à la possibilité d'un usage conjectural du monadisme dans la théorie de la génération, mais d'en rendre raison. Ainsi, si la solution leibnizienne est envisagée, c'est avant tout en vertu des échecs respectifs des approches cartésienne et newtonienne.

12 O, II, VP, p.132.

13 S. Schmitt, « Mécanisme et épigenèse : les conceptions de Bourguet et de Maupertuis sur la génération », Dix-huitième siècle, La découverte, 2014/1, n.46, p.492.

En prenant l'angle des impasses14 qui se présentent à Maupertuis dans la Vénus physique, il nous semble d'ailleurs être fidèle au statut du texte. Ce dernier constitue en effet moins l'exposition d'une doctrine établie et assumée par l'auteur, que la réfutation systématique des théories préformationnistes.15 La construction positive d'une alternative théorique à la préformation n'est pas l'objet principal de la Vénus physique. C'est pourquoi, nous commencerons par ce point.

Critiques du préformationnisme

L a Vénus physique se présente d'abord comme l'exposition des diverses hypothèses historiques avancées pour rendre compte de la génération des vivants. Maupertuis met en scène l'opposition entre les anciens, qui « croyaient que le fœtus était formé du mélange des liqueurs que chacun des sexes répand »,16 et les physiciens modernes, qui envisagent la génération comme le développement d'un germe préformé. L'option préformationniste, à son tour, peut se décliner comme « système des œufs », ou comme « système des animaux spermatiques », selon que l'on considère que le germe se trouve dans les ovaires, ou dans le sperme. Or, le texte fournit un certain nombre d'objections au préformationnisme, quelle qu'en soit la version. Ces critiques sont capitales, non seulement parce qu'elles ouvrent la voie à un tout nouveau type d'épigenèse, Maupertuis ne se contentant pas de simplement revenir aux anciens ; mais, aussi, parce que les arguments avancés permettent de construire, en creux, les critères de validité d'une hypothèse et les phénomènes qu'une théorie de la génération doit pouvoir expliquer. Dans ce cadre, la Vénus physique propose trois types de critiques à la théorie des germes.

L'objection principale réside dans la confrontation empirique entre explanans et explanandum. Il est des phénomènes constatés empiriquement dont l'hypothèse préformationniste ne parvient pas à rendre compte. Dans une formule bien connue,

14 Notre approche se distingue en ce sens, par exemple, de celle de M. Tyrall, qui propose un commentaire suivi de la Vénus physique. Cf The man who flattened the Earth : Maupertuis and the Science in the Enlightenment, Chicago-London, The University of Chicago Press, 2002. 211-218. Cette approche ne nous semble pas pouvoir rendre compte adéquatement de l'intervention d'un vocabulaire leibnizien dans les « Doutes et questions » qui achèvent l'ouvrage, puisqu'elle les considère, non pas comme l'expression d'un échec des développements précédents, mais comme une manière d'ouvrir la réflexion à de nouvelles interrogations à partir d'eux. Ibid., p.223.

15 C'est pourquoi M. H. Hoffheimer concentre ses analyses de l'intervention de Maupertuis en biologie sur le thème de la « critique de la préexistence ». Cf « Maupertuis and the Eighteenth-century Critique of Preexistence », dans Journal of the History of biology, vol. 15, no.1, Spring 1982, 119-144.

16 O, II, VP, p.11.

Maupertuis ouvre la Vénus physique par l'affirmation d'un positionnement méthodologique clair :

« Ce n'est donc point en métaphysicien que je veux toucher à ces questions, ce n'est qu'en anatomiste. Je laisse à des esprits plus sublimes à vous dire, s'ils peuvent, ce que c'est que votre âme, quand et comment elle est venue vous éclairer. Je tâcherai seulement de vous faire connaître l'origine de votre corps, et les différents états par lesquels vous avez passés, avant que d'être dans l'état où vous êtes. »17

La partition proposée semble de prime abord désigner, classiquement, une distinction de deux types de sciences par leurs objets : à la métaphysique échoit l'étude de l'âme, tandis que l'anatomie étudie le corps et les différentes phases de son développement. Néanmoins, procéder en anatomiste implique encore une réorientation méthodologique. Il s'agit, en clair, d'évaluer les « différents systèmes qui ont partagé les philosophes sur la manière dont se fait la génération »18 à l'aune de phénomènes cruciaux, c'est-à-dire dont l'explication adéquate constitue une condition sine qua non de la validité des premiers. Maupertuis analyse par exemple les cas de générations monstrueuses (Chapitre XIV). Mais, le fait le plus frappant, dont l'explication détermine la recevabilité d'une hypothèse, est sans conteste le phénomène de bi-hérédité. Au chapitre XIII, Maupertuis rappelle ainsi que « l'enfant naît tantôt avec les traits du père, tantôt avec ceux de la mère, il naît avec leurs défauts et leurs habitudes, et paraît tenir d'eux jusqu'aux inclinations et aux qualités de l'esprit. »19 Cette simple observation suffit, aux yeux du scientifique malouin, à préférer une hypothèse épigénétique, car « tout concourt à faire croire que l'animal qui naît, est un composé des deux semences. »20 Le constat de l'hybridation intra-spécifique se double d'ailleurs de celui de l'hybridation inter-spécifique : un mulet est bien la preuve du mélange des semences d'un âne et d'une jument.

Une hypothèse incapable de rendre compte de ces phénomènes se trouvera donc ipso facto affaiblie. De fait, l'observation sert surtout à disqualifier toute forme de préformationnisme—

tant dans sa version oviste qu'animalculiste : comment considérer que le fœtus préexiste dans le mâle ou la femelle si l'individu qui se développe manifeste les caractères des deux géniteurs

? Maupertuis insiste largement sur cette conséquence :

« Si tous les animaux d'une espèce, étaient déjà formés et contenus dans un seul père, ou une seule mère, soit sous la forme de vers, soit sous la forme d'œufs, observerait-on ces alternatives de ressemblances ? »21

17 Ibid., p.5-6.

18 Ibid., p.7.

19 Ibid., p.68-69.

20 Ibid., p.70.

21 Idem.

« Mais l'un et l'autre de ces deux systèmes [celui des œufs et celui des animaux spermatiques] me paraissent encore plus sûrement détruits par la ressemblance de l'enfant, tantôt au père, tantôt à la mère : et par les animaux mi-partis qui naissent des deux espèces différentes. »22

On le voit, l'anatomiste envisage le « système » du point de vue de sa capacité à intégrer des phénomènes cruciaux, en l'occurrence le partage des caractères parentaux chez l'enfant. Il suggère ainsi que l'explanans proposé par les préformationnistes n'est pas adapté par rapport aux faits dont on est sommé de rendre compte—l'explanandum. L'argument est si probant aux yeux de Maupertuis, qu'on le retrouve sous une forme plus élaborée dans la Lettre sur la génération des animaux, jointe à l'édition des Œuvres de 1756. Maupertuis traite alors un cas spécifique de transmission héréditaire en s'intéressant aux cas de sexdigitisme répétés dans une même lignée. Or, s'appuyant sur la généalogie de la famille Ruhe, à Berlin, Maupertuis remarque que « cette singularité de doigts surnuméraires se trouve dans l'espèce humaine, s'étend à des races entières ; et l'on voit qu'elle y est également transmise par les pères et par les mères. »23 Il nie ensuite, par un calcul de probabilité, la possibilité d'expliquer l'itération du caractère par le moyen du hasard : il s'agit, non pas de l'apparition spontanée quoique répétée d'une singularité physique, mais bien de sa transmission, effectuée tout autant par les pères que par les mères de la famille Ruhe. Il est intéressant que, dans la Lettre sur la génération des animaux, l'explanandum ne consiste plus seulement en une observation de phénomènes, mais soit encore caractérisé mathématiquement : plus le caractère de sexdigitisme se répète dans une même lignée, plus la probabilité de sa distribution hasardeuse est faible. Autrement dit, la force explicative des hypothèses préformationnistes diminue à mesure que le calcul mathématique dévoile la baisse d'une telle probabilité. Maupertuis suggère ainsi, en creux, une définition rigoureuse de l'explanans dans les sciences du vivant : est préférable une théorie de la génération qui ne diminue pas arbitrairement la probabilité d'une résurgence de caractères singuliers dans une même lignée. La critique porte alors bien sur l'inadéquation de l'explication avec les phénomènes à expliquer.

La deuxième objection portée contre les hypothèses ovistes et animalculistes concerne une nouvelle fois les rapports entre hypothèses et expérience, mais place la discussion sur le plan de la confirmation expérimentale. Pour le cas des monstres, Maupertuis insiste par exemple sur la contradiction des données récoltées : il rappelle la controverse, à l'Académie royale des sciences, entre Littre et Méry, sur la possibilité d'expliquer les difformités par des

22 Ibid., p.81.

23 Ibid., « Lettre XIV. Sur la génération des animaux. », p.307.

altérations spécifiques des ovaires, puis note que les expériences menées ne permettent pas de conclure en faveur du système oviste. Mais c'est un autre protocole expérimental qui intéresse particulièrement Maupertuis. Il s'agit des expériences conduites par Harvey sur la génération des animaux. Harvey, en effet, disséquant des biches après saillie, ne trouva jamais « dans la matrice, de liqueur séminale du mâle, jamais d'œuf dans les trompes, jamais d'altération au prétendu ovaire. »24 On pourrait au premier abord considérer qu'il s'agit d'une référence maladroite pour qui veut, précisément, penser la génération comme combinaison des semences parentales, puisque les observations de Harvey tendent à nier la présence du sperme dans l'utérus au moment de la fécondation. Cependant, Maupertuis en use de manière à disqualifier l'hypothèse des germes. C'est qu'en effet, si Harvey ne décrit pas la fécondation elle-même, il donne une version alternative du développement du fœtus :

« [ce qu'Harvey a observé] ne fut point un animal tout organisé, comme on le devrait attendre des systèmes précédents : ce fut le principe d'un animal ; un point vivant, avant qu'aucune des autres parties ne fussent formées. »25

Ainsi, Maupertuis retient des expériences de Harvey, moins l'inobservation de la combinaison des semences, que celle d'individus déjà organisés, dont la fécondation ne ferait que déclencher le développement. Tout en fournissant une réfutation expérimentale au préformationnisme,26 Harvey fournit aussi un modèle pour penser la génération selon le schème de la juxtaposition de points organiques. Au développement, Maupertuis substitue donc la notion d'accroissement : « Tout le reste n'est plus que différents degrés d'accroissement que le fœtus reçoit chaque jour. »27 Il ne reste dès lors plus qu'à corriger l'idée que les semences ne se combinent pas dans l'utérus, par exemple en supposant l'arrivée du sperme en quantité si faible qu'elle échappe à l'observation,28 afin d'envisager la génération comme une véritable épigenèse. Ici, le préformationnisme est disqualifié, non en vertu de phénomènes cruciaux, constatés empiriquement, dont il ne parviendrait pas à fournir l'explication, mais du point de vue des protocoles expérimentaux qui l'infirment. Une théorie de la génération doit pouvoir passer l'épreuve d'une confirmation expérimentale. L'idée pourrait passer pour évidente : elle implique néanmoins des considérations sur le statut-même

24 Ibid., VP, p.37.

25 Ibid., p.40.

26 La conséquence est claire pour Maupertuis : « Voilà quelles furent les observations de Harvey. Elles paraissent si peu compatibles avec le système des œufs et celui des animaux spermatiques, que si je les avais rapportées avant que d'exposer ces systèmes, j'aurais craint qu'elles ne prévinssent trop contr'eux, et n'empêchassent de les écouter avec assez d'attention. » Ibid., p.43.

27 Ibid., p.42.

28 Ibid., p.83.

des sciences du vivant. Procéder en anatomiste, c'est ainsi réorienter la méthode de celles-ci autant que distinguer leur objet. On retrouve là une constante de la façon dont Maupertuis envisage les rapports entre sciences naturelles et hypothèses générales. Comme l'a montré C. Leduc,29 pour le cas du principe de conservation de la force, Maupertuis ne considère pas la métaphysique comme une science fondamentale, au sens où elle établirait les axiomes à partir desquels s'enclenche le savoir. Au contraire, ce sont les résultats des sciences naturelles qui déterminent quel type d'hypothèse générale est recevable. Dans le cadre d'une théorie de la génération, ceci signifie que les conjectures ne peuvent qu'être secondes par rapport à l'expérience de certains phénomènes, dont elles doivent fournir l'explication. En outre, toute hypothèse est bien entendue soumise à l'expérimentation. Sans renoncer à la prétention d'énoncer une théorie générale, qui dépasse, comme on le verra, largement le cadre de l'observable et de l'expérimentable,30 Maupertuis fait de l'observation et de l'expérimentation les critères à l'aune desquels doivent être évaluées les hypothèses. Celles-ci se caractérisent alors comme des interprétations générales, cohérentes et possibles des phénomènes. Elles ont en réalité bien plus l'allure du modèle scientifique que du système.

Maupertuis traite les hypothèses préformationnistes de la même manière qu'il traite les systèmes métaphysiques. Il s'agit là du troisième type d'objections envers les théories des germes repérable dans la Vénus physique. La démarche consiste alors à dévoiler les présupposés métaphysiques impliqués par les hypothèses ovistes et animalculistes. Il n'est pas anodin qu'au moment de la première mention du « système des œufs contenant le fœtus » (Chapitre III), après avoir exposé l'idée selon laquelle « les fœtus [sont] peut-être contenus et déjà tout formés dans chacun des œufs, et que ce qu'on [prend] pour une nouvelle production, [n'est] que le développement de leurs parties rendues sensibles par l'accroissement »,31 Maupertuis note aussitôt :

« La matière divisible à l'infini forme aussi distinctement dans son œuf le fœtus qui naîtra dans mille ans, que celui qui doit naître dans neuf mois »32

Au détour de cette phrase, on comprend que l'hypothèse des germes requiert comme l'un de ses axiomes la divisibilité actuelle et infinie de la matière. En effet, si tous les individus

29 C. Leduc, « Les métaphysiques de la nature à l'Académie de Berlin », Philosophiques, La philosophie à l’Académie de Berlin au XVIIIème siècle, numéro dir. par C. Leduc et D. Dumouchel, 42/1, 2015.

30 L'avertissement de l'Essai sur la formation des corps organisés, version française du Système de la nature, datée de 1754, va même jusqu'à dire qu'il s'agit d'« un des meilleurs ouvrages de métaphysique, ou du moins un des mieux faits. » cf Essai sur la formation des corps organisés, Berlin, 1754.

31 O, II, VP, p.14.

32 Ibid., p.14-15.

appelés à se développer sont déjà formés, il faut les supposer imbriqués les uns dans les autres, selon une régression dont on ne saisit pas les bornes au sein des parties moindres de la matière. Le préformationnisme se présente ainsi tout autrement que comme un modèle général d'interprétation des phénomènes biologiques : il se prononce implicitement—et arbitrairement

—sur la constitution même de la réalité matérielle. Il s'adapte à un système métaphysique, qui lui sert de toile de fond, beaucoup plus qu'aux phénomènes dont il prétend donner l'explication. Pire, il ne fournit, finalement, aucune explication. L'idée-force de Maupertuis consiste en effet à traiter le recours au « développement » comme le signe d'une nullité épistémologique. Car, si l'on accepte que la génération ne consiste qu'en un processus de développement de germes préformés, alors on évacue ce qui, précisément, est en question, à savoir la formation originelle de ce qui se développe. S'effectue dès lors un nouveau déplacement : l'objet d'une théorie de la génération est proprement l'ontogenèse. On comprend maintenant le sens de cette formule du premier chapitre, lorsque Maupertuis affirme que la tâche de l'anatomiste consiste à découvrir « l'origine de [n]otre corps ». Ici s'établit déjà la confrontation avec les systèmes préformationnistes. Car, ceux-ci expulsent la question de l'origine hors du domaine de la science. Maupertuis revient sur ce point au Chapitre XII, intitulé « Réflexion sur les systèmes des développements » :

« (...) il est vrai qu'on ne comprend point comment à chaque génération, un corps organisé, un animal, se peut former : mais comprend-on mieux comment cette suite infinie d'animaux contenus les uns dans les autres, aurait été formée tout à la fois ? Il me semble qu'on se fait ici une illusion, et qu'on croit résoudre une difficulté en l'éloignant

« (...) il est vrai qu'on ne comprend point comment à chaque génération, un corps organisé, un animal, se peut former : mais comprend-on mieux comment cette suite infinie d'animaux contenus les uns dans les autres, aurait été formée tout à la fois ? Il me semble qu'on se fait ici une illusion, et qu'on croit résoudre une difficulté en l'éloignant