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G. Autres implications physiologiques et pathologiques des PADs

2. Implications des PADs en pathologies

a. Polyarthrite rhumatoïde

La polyarthrite rhumatoïde (OMIM #180300) est une maladie auto-immune touchant 0,5 à 1 % de la population mondiale. Elle est caractérisée par une inflammation chronique des articulations synoviales qui peut aboutir à une érosion ostéo-cartilagineuse douloureuse et handicapante. Plus précisément, l’inflammation du tissu synovial de l’articulation engendre son bourgeonnement, on parle alors de panus synovial, et s’accompagne, comme toute inflammation, d’une infiltration tissulaire de cellules immunitaires.

De nombreux auto-anticorps sont présents dans le sérum des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. Parmi eux, on distingue une population hautement spécifique de la maladie : les auto- anticorps anti-protéines citrullinés (ACPAs pour « anti-citrullinated proteins autoantibodies » en anglais), présents chez environ 70% des patients. Les ACPAs apparaissent très précocement dans le sérum des patients, parfois plusieurs années avant l’apparition des premiers signes cliniques, et sont actuellement utilisés pour le diagnostic de la maladie.

Les principaux auto-antigènes reconnus par les ACPAs dans l’articulation synoviale correspondent à des formes désiminées des chaînes Aα et Bβ de la fibrine. La fibrine est une protéine insoluble, impliquée dans le processus de coagulation. Elle est formée à partir du fibrinogène, glycoprotéine soluble majoritairement synthétisée par les hépatocytes et présente dans le plasma, sous l’action de la thrombine. La thrombine initie la polymérisation de la fibrine en clivant les régions amino- terminales des chaînes Aα et Bβ du fibrinogène, ce qui provoque une modification de leur charge et permet leur interaction. Les polymères de fibrine sont ensuite stabilisés par des liaisons covalentes sous l’action d’une TGase, le facteur XIIIa. Comme dans toute inflammation, un dépôt de fibrine est observé dans les articulations rhumatoïdes suite à l’extravasation de plasma au niveau du tissu enflammé. Le conflit antigène/anticorps entre le dépôt extravasculaire de fibrine désiminée et les ACPAs participe ainsi à l’auto-entretien de la maladie (Figure 60). Dans le tissu synovial rhumatoïde, les PADs 2 et 4 sont présentes et leur expression est corrélée à l’intensité de l’inflammation

(Foulquier et al., 2007). Elles sont donc probablement toutes deux responsables de la désimination de la fibrine. Cependant, la fibrine est désiminée lors de la cicatrisation de la peau des souris dont le gène Padi2 a été inactivé ; dans ce cas, la présence de Pad2 ne semble donc pas nécessaire pour que la fibrine soit correctement désiminée (Coudane et al., 2011). De plus, la fibrine désiminée n’est pas spécifique de la polyarthrite rhumatoïde, puisqu’elle est présente dans de nombreuses maladies articulaires inflammatoires, contrairement aux ACPAs qui sont eux hautement spécifiques de la maladie (Chapuy-Regaud et al., 2005).

Une autre classe d’auto-anticorps spécifiques de la polyarthrite rhumatoïde a plus récemment été décrite : il s’agit d’auto-anticorps anti-PAD4. La présence de ces auto-anticorps a de plus été associée à des formes plus sévères de la maladie (Harris et al., 2008 ; Halvorsen et al., 2008). En se fixant à la PAD4, ils augmenteraient sa sensibilité au calcium et donc son activité (Darrah et al., 2013).

La polyarthrite rhumatoïde est une pathologie multifactorielle pour laquelle plusieurs facteurs génétiques ont été impliqués. Le polymorphisme le plus fortement associé à cette maladie est celui du gène HLA-DRB1, codant la chaîne β de la molécule HLA-DR (Zanelli et al., 2000). La molécule HLA- DR est un hétérodimère, constitué d’une chaîne α (HLA-DRA) et d’une chaîne β (HLA-DRB), enchâssé dans la membrane plasmique des cellules présentatrices d’antigènes. C’est cet hétérodimère qui interagit avec les peptides antigéniques et les présente aux lymphocytes T. De manière intéressante,

Figure 60 : Implication des PADs 2 et 4 dans l’auto-entretien de la polyarthrite rhumatoïde. Voir le texte pour

détails. D’après (Foulquier et al., 2007).

la protéine HLA-DR1001, codée par l’allèle de susceptibilité à la polyarthrite rhumatoïde HLA-

DRB1*1001, montre une plus grande affinité pour les peptides désiminés que les autres formes

d’HLA-DR, ce qui prouve encore le rôle prépondérant des auto-antigènes désiminés dans la maladie

(James et al., 2010).

Un autre facteur de prédisposition important est un polymorphisme spécifique (p.Arg620Trp) du gène PTPN22 (protein phosphatase tyrosine non-receptor type 22) qui augmente encore le risque de développer la maladie chez les porteurs d’un polymorphisme HLA-DR. La protéine PTPTN22 est exprimée dans les cellules mononuclées du sang périphérique ainsi que dans les neutrophiles. Il a récemment été démontré que PTPN22 est un inhibiteur de la PAD4. PTPN22 inhibe la PAD4, indépendamment de son activité phosphatase, en interagissant avec l’enzyme. Or, lorsque le résidu arginine 620 de PTPN22 est converti en tyrosine, elle est incapable d’interagir avec la PAD4 (Chang et

al., 2015). Ceci suggère donc que le polymorphisme p.Arg620Trp du gène PTPN22 augmente le risque de développer une polyarthrite rhumatoïde en induisant une désimination excessive, la PAD4 n’étant plus inhibée.

Enfin, une association entre certains haplotypes du gène PADI4 et la polyarthrite rhumatoïde a été retrouvée dans des populations japonaises, coréennes, nord-américaines et françaises (Suzuki et

al., 2003 ; Ikari et al., 2005 ; Plenge et al., 2005 ; Kang et al., 2006 ; Gandjbakhch et al., 2009 ; Kochi et al., 2011). Elle n’a cependant pas été retrouvée dans d’autres études réalisées sur des populations indiennes, chinoises, anglaises, françaises et espagnoles (Barton et al., 2004 ; Caponi et al., 2005,

Martinez et al., 2005 ; Chen et al., 2011). Il a été suggéré que les ARNm codés par le gène PADI4 portant ces haplotypes pourraient être plus stables, ce qui conduirait à une augmentation de l’expression protéique de la PAD4 dans les tissus synoviaux rhumatoïdes (Suzuki et al., 2003).

L’ensemble de ces données suggère que les PADs et la désimination jouent un rôle prépondérant dans la physiopathologie de la polyarthrite rhumatoïde. Cette hypothèse a été renforcée par les résultats obtenus suite à l’inhibition des Pads dans un modèle murin d’arthrite induite par le collagène. En effet, le traitement des souris avec le Cl-amidine entraîne une diminution de la citrullination des tissus synoviaux atteints et de la sévérité des symptômes, avec une diminution de l’inflammation, une réduction de l’épaisseur du panus synovial ainsi qu’une diminution de la destruction de l’os et du cartilage, en comparaison aux souris contrôles. En outre, cet effet est dose- dépendant (Willis et al., 2011). Les PADs semblent donc constituées des cibles thérapeutiques intéressantes pour le traitement de la maladie.

b. Sclérose en plaques et autres maladies neurodégénératives

La sclérose en plaques (OMIM #126200) est la maladie auto-immune du système nerveux central la plus fréquente. Elle est caractérisée par une destruction progressive des gaines de myéline entourant les axones au sein de la substance blanche. Cette démyélinisation entraîne un déclin progressif des capacités motrices, sensitives et cognitives des patients. Bien que la cause de cette maladie ne soit pas connue, de multiples facteurs (génétiques, immunologiques ou encore environnementaux) semblent être impliqués.

Dans le cerveau des patients atteints de sclérose en plaques, une forte augmentation du taux de désimination de la MBP ainsi qu’une augmentation de l’expression et de l’activité des PADs 2 et 4 ont été rapportées. Plus de 45 % de la MBP est en effet désiminée dans le système nerveux central des patients contre 20 % chez les individus sains. Le taux de désimination de la MBP est proportionnel à la sévérité de la maladie et s’élève jusqu’à 90 % dans la forme fulgurante de Marburg.

Il a ainsi été proposé que l’hypercitrullination de la MBP joue un rôle majeur dans le développement de la maladie. Ceci a été démontré par la génération de souris transgéniques surexprimant la Pad2 sous contrôle du promoteur du gène Mbp. Ces souris présentent une forte augmentation de la désimination de la Mbp, accompagnée d’une importante démyélinisation des axones. La démyélinisation est proportionnelle à l’expression de Pad2 puisqu’elle est plus sévère dans le cerveau des souris homozygotes que des hétérozygotes. De plus, une augmentation du nombre d’astrocytes et de macrophages, de la quantité de cytokine pro-inflammatoire TNF-α, de l’expression de la Pad4 et de la citrullination des histones sont autant de caractéristiques de la sclérose en plaques retrouvées dans le système nerveux central de ces souris transgéniques (Musse

et al., 2008). L’ensemble de ces résultats suggèrent que l’élévation du taux de PADs dans le système nerveux central pourrait être un évènement précoce du développement de la maladie précédant la démyélinisation.

De plus, lorsque des modèles murins de sclérose en plaques (présentant tous une hyperdésimination de la MBP) sont traités avec du 2-chloroacetamidine, un autre inhibiteur de PADs, les symptômes de la maladie sont atténués (Moscarello et al., 2013). Une diminution de l’infiltrat de cellules immunitaires et une remyélinisation sont observées dans le système nerveux central des souris traitées. Ceci démontre l’implication de l’ hyperdésimination dans la physiopathologie de la maladie et suggère fortement que les PADs pourraient être là aussi des cibles thérapeutiques intéressantes.

Les nombreux travaux réalisés par l’équipe de Moscarello et Mastronardi leur ont permis de proposer un modèle physiopathologique de la sclérose en plaques dans lequel les PADs 2 et 4 jouent un rôle de premier plan. Dans ce modèle, une expression anormalement élevée de la PAD2 (qui pourrait être due à une hypométhylation de son promoteur) entraîne une hypercitrullination de la MBP, ce qui fragilise la gaine de myéline. De la MBP désiminée et des fragments désiminés de MBP sont alors libérés de la gaine et induisent une réponse inflammatoire. Des cellules immunitaires sont recrutées au niveau du système nerveux central et attaquent la gaine de myéline, déjà fragilisée par l’hypercitrullination, entraînant sa destruction. En parallèle, l’augmentation de TNF-α induit la translocation de la PAD4 au noyau, ce qui provoque une augmentation de la citrullination des histones. Ceci participerait à l’induction de l’apoptose des oligodendrocytes aggravant encore d’avantage la démyélinisation (Figure 61 ; Moscarello, 2014).

Figure 61 : Implication des PADs dans la physiopathologie de la sclérose en plaques. Voir le texte ci-dessus

Les PADs et la désimination ont aussi été impliquées dans d’autres maladies neurodégénératives. Dans la maladie d’Alzheimer, par exemple, une augmentation de l’expression de la PAD2 est observée post-mortem, au niveau de l’hippocampe des patients. De plus, des protéines désiminées sont détectées dans cette même région du cerveau chez les individus atteints alors qu’il n’y en a pas dans celui des individus contrôles (Ishigami et al., 2005). Deux de ces protéines désiminées ont été identifiées : il s’agit de la vimentine et de la GFAP (Ishigami et Maruyama, 2010). Il est intéressant de noter que cela concerne les astrocytes (cellules nourricières du système nerveux central), et non pas les cellules nerveuses elles-mêmes. Par ailleurs, dans les maladies à prions, une expression accrue de la PAD2 et une augmentation de la désimination ont été observées dans le système nerveux central des souris infectées par la protéine scrapie et chez des patients atteints de la maladie de Creutzfeldt- Jakob. Les protéines hyperdésiminées correspondent ici à la MBP, la GFAP, la vimentine (protéines structurales) ainsi que l’énolase, l’aldolase et la phosphoglycérate kinase (enzymes de la glycolyse ou du cycle de Krebs ; Jang et al., 2013).

Des troubles de la régulation du calcium cellulaire sont observés dans la majorité des maladies neurodégénératives. Ceux-ci pourraient expliquer l’augmentation de l’activité des PADs et donc de la quantité de protéines désiminées observée dans les pathologies décrites ci-dessus (Yang et al., 2016).

c. Cancers

Des analyses immunohistologiques menées sur un large panel de tumeurs ont mis en évidence une surexpression ou une expression ectopique de la PAD4 ainsi qu’une augmentation du taux de protéines désiminées dans la majorité des tumeurs cancéreuses analysées comparativement aux tumeurs bénignes (Chang et Han, 2006). De plus, un taux sérique élevé de PAD4 ainsi que d’anti- thrombine désiminée a été trouvé chez les patients atteints de diverses tumeurs malignes, ce taux sérique diminuant considérablement après ablation chirurgicale de la tumeur (Chang et al., 2009, Ordóñez et al., 2010). Par ailleurs, il a été montré que la désimination de l’antithrombine abolit son activité inhibitrice de la thrombine, ce qui pourrait favoriser l’angiogenèse et l’invasion par les cellules tumorales (Ordóñez et al., 2009).

Les modifications épigénétiques, et en particulier les modifications des histones, jouent un rôle majeur dans la tumorigenèse. En effet, l’expression de gènes suppresseurs de tumeurs, tels que p53 et ses cibles, est fréquemment inhibée dans les cellules cancéreuses par le biais d’enzymes catalysant des modifications épigénétiques des histones (Kandoth et al., 2013). Étant donné le lien entre la PAD4 et p53 (voir paragraphe IV.G.1.c), il a été supposé que la surexpression de la PAD4 pourrait être directement impliquée dans le développement des cancers. Ceci a depuis été largement démontré via l’utilisation d’inhibiteurs de PADs, sur des lignées cancéreuses in vitro, et dans des modèles

murins in vivo. Par exemple, in vitro le Cl-amidine diminue la viabilité des cellules cancéreuses (HL-60, MCF-7 et HT-29) via une augmentation de l’expression de p21 alors qu’il n’a pas d’effet sur la croissance des cellules saines (NIH 3T3 par exemple) (Slack et al., 2011a). In vivo, dans des modèles murins de xénogreffes de sarcome ou de cancer du sein, le traitement avec l’inhibiteur YW3-56 spécifique de la PAD4 induit une nette diminution de la croissance des cellules cancéreuses et une réduction significative de la taille des tumeurs (Wang et al., 2012 ; Wang et al., 2015). Comme discuté plus haut, il semblerait que l’inhibition de la PAD4 induise la mort des cellules malignes via une activation de l’apoptose médiée par la voie p53 ou de l’autophagie (voir paragraphes IV.G.1.c et d). Les PADs semblent ici encore constituer de nouvelles cibles thérapeutiques prometteuses pour le traitement des cancers.