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b Implication des espèces carbonées dans les processus cathodiques

II.2. Corrosion uniforme des aciers en milieu aqueux contenant du CO

II.2.1. b Implication des espèces carbonées dans les processus cathodiques

Il est systématiquement rapporté que le courant de dégagement cathodique de H2 sur les aciers est plus élevé dans une solution contenant du CO2 dissous que dans une solution d’acide fort de même pH [Gray1, DeWa1, Nesi1-2]. De nombreux mécanismes ont été proposés afin d’expliquer cette contribution cathodique du CO2 dissous. Ces mécanismes sont de nature variée. Bien que la plupart d’entre eux fassent intervenir la déprotonation directe d’une espèce carbonée, la possibilité d’un simple « effet tampon » induit par la présence de CO2 a également été suggérée par certains auteurs. Une revue de ces différents mécanismes est proposée ci-dessous.

Mécanismes E (Electrochimique) impliquant la réaction d’une espèce carbonée à l’électrode

Ce type de mécanisme a été proposé pour la première fois par De Waard et Milliams en 1975 [DeWa1]. En se basant sur des mesures de vitesses de corrosion effectuées dans une solution saturée en CO2 (pH = 4), ces auteurs ont considéré que seule l’existence d’une réaction cathodique supplémentaire à la réduction du proton permettait d’interpréter quantitativement les caractéristiques icorr-PCO2 observées expérimentalement. Le mécanisme proposé par ces auteurs est

H2CO3ads + e-→ Hads + HCO3-ads étape E cinétiquement limitante (II.X) HCO3-ads + H+⇔ H2CO3ads (II.XI) 2 Hads→ H2 (II.XII)

En se basant sur leurs travaux dans une solution contenant des bicarbonates et du CO2 (à pH égal à 5), Ogundele et White [Ogun1] ont proposé le mécanisme (II.XIII) (II.XIV) alternatif à celui de De Waard et coll. [DeWa1] :

HCO3- + e-→ Hads + CO32- étape E cinétiquement limitante (II.XIII) HCO3- + Hads + e-⇔ H2 + CO32- (II.XIV)

Selon ces auteurs, l’acide carbonique ne réagit donc pas directement à l’électrode. Le courant cathodique global est limité, d’après eux, par la diffusion des bicarbonates en solution.

On notera que le point commun entre les travaux décrits dans le présent paragraphe est qu’ils ont été conduits dans des conditions hydrodynamiques non contrôlées. Cette lacune rend donc l’interprétation des résultats expérimentaux obtenus par ces auteurs assez discutable [DeWa1, Ogun1].

Mécanismes EC (Electrochimique-Chimique) impliquant la réaction d’une espèce carbonée à l’électrode

Dans une solution saturée en CO2 sous 1 bar, Wieckowski et coll. [Wiek1] considèrent que les molécules d’acide carbonique et les ions bicarbonates peuvent tous deux se réduire à la surface du fer « nu » (en l’absence de produit de corrosion). En se basant sur des mesures non stationnaires (voltampérométrie cyclique), le mécanisme qu’ils proposent pour ces réactions est de type catalytique EC :

H2CO3 + e-→ Hads + HCO3- (II.XV)

HCO3- + e-→ Hads + CO32- (II.XVI)

B + H2O → A + OH- (II.XVII)

2 Hads→ H2 (II.XVIII)

où A est soit H2CO3 soit HCO3- et B est soit HCO3- soit CO32-

Wieckowski et coll. [Wiek2] ont également utilisé du CO2 marqué à l’aide de carbone 14 afin de caractériser une éventuelle adsorption des espèces carbonées réactives (H2CO3 ; HCO3-) à la surface du fer. Leurs résultats montrent qu’en l’absence de produits de corrosion à la surface de l’électrode, aucune adsorption significative d’espèces carbonées n’est détectable à l’interface. Au contraire, lorsqu’un film de corrosion est présent, une adsorption d’espèces carbonées qui dépend du potentiel appliqué à l’électrode est mise en évidence. Les auteurs concluent donc à la validité de leur mécanisme ((II.XV) à (II.XVIII)) sur fer « nu ». En présence d’un film de corrosion, leurs résultats valident en revanche, selon eux, le mécanisme de De Waard et coll. [DeWa1].

Mécanismes CE (Chimique-Electrochimique) impliquant la réaction d’une espèce carbonée à l’électrode

Les premiers à avoir interprété leurs résultats sur acier en présence de CO2 dissous par le biais de ce type de mécanisme sont Schmitt et Rothmann [Schm1] en 1977. Contrairement aux travaux présentés dans les paragraphes précédents [DeWa1, Ogun1, Wiek1-2], ces auteurs ont réalisé des mesures stationnaires dans des conditions hydrodynamiques bien contrôlées à l’aide d’une Electrode à Disque Tournant (EDT). Selon eux, le CO2 dissous contribue principalement au courant cathodique observé sur acier via le mécanisme :

CO2(diss)→ CO2(ads) (II.XIX)

CO2(ads) + H2O → H2CO3(ads) étape C cinétiquement limitante (II.XX) H2CO3(ads) + e-→ H(ads) + HCO3-(ads) (II.XXI)

2 H(ads)→ H2 (II.XXII)

Plus récemment, Gray et coll. [Gray1] puis Nesic et coll. [Nesi1] ont proposé un mécanisme CE très similaire à celui de Schmitt et Rothmann [Schm1-2]. Cependant, selon ces auteurs, le CO2 dissous ne s’adsorberait pas à l’électrode et s’hydraterait en phase homogène selon (II.VI), le mécanisme qu’ils retiennent pour expliquer la contribution cathodique du CO2 dissous est donc :

CO2(diss) + H2O → H2CO3 étape C cinétiquement limitante (II.VI) H2CO3 + e-→ H(ads) + HCO3-(ads) (II.XXI)

2 H(ads)→ H2 (II.XXII)

On notera cependant que l'interprétation qui est faite dans la littérature du mécanisme de Schmitt et Rothman [Schm1] est assez confuse. Ainsi, la plupart des auteurs [Nesi1, Gray1, Lint1] entende l'étape (II.XXI) comme une déprotonation directe de l'acide carbonique tandis que Bonis [Boni] l'interprète comme la combinaison de (II.XXI') et (II.XXI").

H2CO3(ads)→ H+(ads) + HCO3-(ads) (II.XXI') H+(ads) + e-→ H(ads) (II.XXI")

Mécanismes CE n’impliquant pas la réaction d’une espèce carbonée à l’électrode : Effet tampon

En présence de CO2, les protons libres consommés à la surface de l’acier par la réaction cathodique (II.VIII) sont susceptibles d’être renouvelés en volume, tout au moins partiellement, par le biais des réactions de dissociation acide du CO2 dissous ((II.II) et (II.III)). Ce caractère tampon singularise fortement les solutions contenant du CO2 dissous des solutions d’acide fort. Cet effet tampon expliquerait complètement selon quelques auteurs [Lint1, Schw1] l’augmentation du courant cathodique observée dans une solution contenant du CO2 dissous, comparativement à une solution d’acide fort de même pH. Le CO2 dissous constituerait ainsi, du fait de sa capacité à se dissocier selon (II.II) et (II.III), une sorte de réservoir volumique supplémentaire de protons disponibles au voisinage de l’acier pour la réaction cathodique classique de réduction du proton. En présence de CO2 dissous, la prise en compte d’hypothétiques réactions cathodiques impliquant des espèces carbonées (en plus des réactions (II.VIII) et (X.IX) existantes) n’aurait donc pas lieu d’être selon ces auteurs. Le mécanisme retenu pour résumer cette contribution cathodique du CO2 dissous est le suivant

(II.II) + − + ⇔ +CO HCO H O H2 2(aq) 3 (II.III) + − − + H CO HCO3 32 (II.VIII) 2 2 2H+ + e− →H

D’une façon indirecte, Linter et Burstein [Lint1] ont prouvé expérimentalement l’influence que pouvait avoir l’effet tampon décrit ci-dessus sur les courants cathodiques mesurés sur les aciers lors de la réaction de dégagement de dihydrogène. En présence d’un tampon phtalate (pH égal à 4), ces auteurs ont en effet montré que les courants cathodiques mesurés dans une solution désaérée étaient identiques que du CO2 soit présent ou non dans l’électrolyte. Ces auteurs ont également prouvé que le courant limite de réduction détecté en l’absence de CO2 sur acier dépendait à pH constant de la concentration en tampon. Linter et Burstein ont donc conclu de manière assez tranchée de leur travaux que le caractère tampon des solutions contenant du CO2 dissous expliquait pleinement l’importance des courants cathodiques

mesurés sur les aciers dans ce type de milieu aqueux en comparaison de ceux mesurés dans des solutions d’acide fort de même pH. Nous noterons cependant pour notre part que, bien qu’a priori pertinentes, les analyses livrées par ces auteurs demeurent essentiellement de nature qualitative.

Tout en étant plus nuancé sur le rôle joué par le caractère tampon des solutions contenant du CO2, Crolet [Crol5] rappelle pour sa part que la réduction directe d’espèces carbonatées à l’électrode est équivalente en terme de bilan de matière à la génération « sur place » de protons avant réduction. Cette relation d’équivalence entre les deux types de mécanismes proposés (« effet tampon » et réaction directe d’espèces carbonées à l’interface) n’est évidemment plus vérifiée du point de vue du transport de matière.

Enfin, plus quantitativement mais dans un autre contexte (solution aérée ne contenant pas de

CO2, électrode d’or), nous remarquerons que Deslouis et coll. [Desl1] ont mis

expérimentalement en évidence l’influence de l’effet tampon induit par la présence d’ions bicarbonate en solution sur la valeur des pH interfaciaux atteints lors de la réduction de l’oxygène dissous.

Conclusion II.2.1

Tout comme dans n’importe quelle solution acide, les réactions de réduction du proton et de réduction de l’eau interviennent toutes deux à la surface des aciers qui se corrodent en solution aqueuse désaérée contenant du CO2 dissous. Le CO2 dissous intervient cependant également dans le mécanisme du dégagement cathodique d’hydrogène sur acier car le courant cathodique mesuré en présence de CO2 dissous est supérieur à celui mesuré dans une solution d’acide fort de même pH. La nature de cette contribution reste néanmoins très discutée. Selon certains auteurs, celle-ci est directe et consiste en une déprotonation électrochimique d’espèces dissoutes dérivées du CO2 (H2CO3 ou HCO3-). Pour d'autres auteurs, cette contribution s’effectuerait uniquement par le biais de l’effet tampon induit par la présence de CO2 en solution. La simple analyse de la littérature ne permet donc pas de faire un choix clair parmi les différents mécanismes proposés. Dans la perspective de la réalisation d’un modèle de corrosion (cf. partie VI.2), un tel choix est cependant nécessaire. Une étude de la nature des processus cathodiques intervenant sur les aciers en présence de CO2 dissous a donc été menée dans le cadre de cette thèse. Les résultats de cette étude sont présentés dans la partie VI.1 de ce mémoire.