Chapitre 3 – Méthode d’analyse environnementale et d’éco-conception
1. Impacts environnementaux d’un service informationnel
1.1. Les impacts d’une information
Nous discutons ici d’une classification des impacts de l’information semblable à celle
donnée par Berkhout et Hertin (2001) dans le cadre des TIC, c'est-à-dire identifiant
comme générateurs d’impacts d’une part les moyens de génération d’information, et
d’autre part l’utilisation de cette information. Nous défendrons ainsi que l’information
a deux types d’impacts : les impacts directs – induits par leur génération ; les impacts
indirects – induits par les conséquences de leur existence.
1.1.1. Impacts directs : la fabrication de l’information-objet
Le concept d’information est ambigu et renvoie conjointement à l’information-objet,
c'est-à-dire l’exemplaire, le support pouvant être lu et interprété, et à
l’information-sujet, le signifié immatériel, c'est-à-dire l’idée comprise et vécue par une personne.
Notamment lorsqu’elle fait l’objet d’un commerce, quand il est nécessaire de la
stocker, de la dupliquer, de la diffuser ou de la traiter, l’information est médiatisée.
Elle nous est alors sensible au travers d’un support (Peaucelle, 1986), d’une
composante physique, se substituant au geste et à la parole et constituant un
exemplaire de l’information (pierre gravée, traces dans du sable, livre, mémoire
électronique, etc.). Nous qualifierons dans le reste de ce document de « direct » les
impacts engendrés par la génération d’information et de ses exemplaires.
1.1.2. Impacts indirects : l’usage de l’information-sujet
Outre l’impact de la fabrication de l’information en tant qu’objet, l’information en tant
que sujet agit au travers des décisions prises à sa lueur, comme un modificateur des
impacts d’autres activités. L’information sert en effet à décider (Peaucelle, 1986), et
l’activité d’un système peut être modifiée par la connaissance d’information le
concernant. Un consommateur peut ainsi être incité à modifier sa consommation de
gaz après avoir pris connaissance de sa facture. Un site de production peut modifier
ses activités suite à la prise de connaissance d’informations relatives à leurs rejets dans
l’environnement.
Si l’information a bien une conséquence environnementale, il n’est cependant pas
correct de parler d’impact environnemental de l’information. L’information-sujet est
immatérielle, son utilisation n’est pas un processus physique nécessitant des intrants
et émettant des sortants. L’information ne génère donc pas d’impact en elle-même.
Cependant, l’information modifie l’impact du système sur lequel elle porte – système
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que nous désignerons par domaine d’application. Les conséquences
environnement-ales de l’information doivent donc être abordées par comparaison : elles sont définies
par la différence d’impact environnemental du domaine d’application dans deux
situations hypothétiques concurrentes, le cas où l’information est mise en œuvre et le
cas où elle n’est pas mise en œuvre.
S’il y a bien un lien entre l’existence d’une information et la modification des impacts
de son domaine d’application, il serait également incorrect d’y voir un rapport de
cause à effet : l’information n’a de conséquences que parce qu’un acteur en prend
connaissance, prend une décision et met en œuvre des actions répondant à cette
décision. Le rapport entre l’information et l’impact environnemental de son
application est donc médiat et contingent. Nous généralisons donc ici le propos de
Loerincik (2006) pour qui les bénéfices environnementaux des TIC ne sont pas des
conséquences directes de leur installation : ils sont le résultat de la mise en œuvre
d’actions permises par la prise de connaissance des données que ces systèmes
fournissent.
Ces spécificités font qu’il est nécessaire d’analyser les conséquences
environnemen-tales de l’information dans le cadre d’une ACV conséquentielle. En opposition à l’ACV
attributionnelle, dont le but est de décrire les flux physiques entrant et sortant d’un
système, l’ACV conséquentielle a pour but de décrire les changements intervenant
dans ces flux physiques provoqués par une prise de décision (Ekvall et Weidema,
2004). Ce qui est manipulé dans une ACV conséquentielle ne sont donc pas des
impacts, mais des différences d’impacts. L’utilisation de cette méthode permet
d’évaluer l’impact des changements que la prise de décision rendue possible par
l’information a provoqués dans le domaine d’application.
Par abus de langage et par confort, nous parlerons tout de même « d’impacts
indirects » - par opposition aux impacts « directs » de la production de l’information –
en gardant à l’esprit qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’impacts, mais de
différence d’impacts entre deux systèmes. Notons que dans le cas où les conséquences
d’une information vont dans le sens d’une diminution de l’impact de son domaine
d’application, la comparaison fait apparaitre des flux « négatifs ». Ce chiffre négatif ne
signifie en rien la génération d’impacts positifs sur l’environnement, mais simplement
qu’un des deux systèmes génère moins d’impacts. Il s’agit d’évitement d’impacts.
1.1.3. Modèle d’impact d’une information
La définition des impacts directs et indirects de l’information nous permet de proposer
un modèle d’impacts environnementaux de l’information. De même que « le gain […]
lié à l’emploi de l’information doit être diminué du coût des systèmes d’information
mis en œuvre » (Peaucelle, 1986, p. 428), le calcul du coût environnemental d’une
information doit faire apparaitre conjointement l’investissement qu’il représente et les
modifications qu’il apporte à son domaine d’application. En d’autres mots, doivent
être comptés les impacts directs comme indirects. Nous proposons donc de formuler
l’impact de l’information comme suit.
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(2)
Où :
- E est l’impact environnemental de l’information, ou, à proprement parler : les
changements d’impacts induits par la génération et l’utilisation de
l’information ;
- D est l’impact direct de l’information ;
- I est son impact indirect, défini par la comparaison entre deux configurations
hypothétiques et concurrentes du domaine d’application :
(3)
Où :
- Ω
0est l’impact environnemental du domaine d’application dans le cas où
l’information n’est pas mise en œuvre (et éventuellement n’existe pas) ;
- Ω
1est l’impact environnemental du domaine d’application dans le cas où
l’information existe et est mise en œuvre ;
Une valeur de I négative traduit le fait que l’information permet une réduction des
impacts environnementaux de son domaine d’application : ceux-ci sont moins
importants dans le cas où l’information est connue et mise en œuvre que dans le cas
où l’information n’existe pas et n’est pas mise en œuvre. Un résultat positif traduit au
contraire une augmentation de l’impact due à la mise en œuvre de l’information. Une
valeur de E négative traduit quant à elle le fait que le système complet composé par la
génération de l’information et sa mise en œuvre dans son domaine d’application est
moins impactant que ce même domaine d’application sans l’existence de
l’information. En d’autres termes :
(4)
Dans la pratique, nous préfèrerons manipuler des chiffres qui représentent des
impacts plutôt qu’une différence d’impacts. On s’attachera ainsi, plus qu’à calculer le
terme E, à calculer séparément les deux termes de cette dernière inéquation (I+Ω
1et
Ω
0), qui, eux, représentent des impacts. En d’autres termes, on s’attachera à rester
dans un cadre d’ACV attributionnelle plutôt que conséquentielle, dont le cadre
d’analyse est plus large et intègre notamment des réflexions économiques qui ne
sauraient être traitées ici.
Notons que le besoin de comparer les impacts potentiels de deux versions du même
domaine d’application assujettit l’analyse au besoin de disposer de scénarios
hypothétiques, dont l’utilisation est source d’incertitudes (Pesonen et al., 2000) et
influencent beaucoup les résultats (Sivaraman et al., 2007; Reap et al., 2008). De plus,
les problèmes intrinsèques aux méthodes d’analyse environnementale font qu’il peut
être hasardeux d’en tirer des conclusions du type « le système A est moins impactant
pour l’environnement que le système B » (Finnveden, 2000) sans recourir à des règles
de comparabilité conservatrices telle que la « rule of thumb » donnée par Finnveden et
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Lindfors (1998)
51. Les conclusions tirées du signe de l’inégalité présenté ci-dessus
doivent donc être formulées avec prudence.
Dans le document
Analyse environnementale et éco-conception de services informationnels
(Page 77-80)